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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LA MUSIQUE DE SUPERMARCHÉ, À QUOI SERT-ELLE ?

En guise d’introduction, voici en clin d’œil l’adaptation détournée de la présentation de la série culte américaine ‘Les Envahisseurs’ revue pour la circonstance : « Les Supermarchés. Ces garde-manger gigantesques nés pour broyer le petit commerce. Leur destination : les gogos. Leur but : agrandir leur univers. David Vincent les connaît bien. Pour lui, tout a commencé un jour de semaine, le long d’une route en périphérie urbaine, guidé par un raccourci bordé de panneaux publicitaires. Cela a commencé par un gros caddie poussé dans une allée, et par un manque de sommeil qui l’avait rendu trop las pour éviter de se cogner la tête dans les pancartes promotionnelles. Cela a commencé par des annonces commerciales sur une musique abrutissante qui lui dictait ce qu’il devait acheter. Maintenant, il sait que les Supermarchés sont là, qu’ils cherchent à prendre le contrôle, et qu’il lui faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar ne fait que commencer. »


LA MUSIQUE DANS LE SUPERMARCHÉ

Plaisanterie mis à part, les supermarchés et autres grandes surfaces ont toujours surfé sur la vague commerciale de façon habile. À coup de promotion, dans une ambiance sécurisante, ils dilapident le porte-monnaie du client potentiel, allant jusqu’à créer des cartes de fidélités. La musique de fond est un ‘élément décoratif’ parmi d’autres. Elle contribue à renforcer le marketing et ses mécanismes. Elle est là et sa présence invite le client à rester encore plus longtemps… De temps en temps, un message jaillit des haut-parleurs et une voix annonce : « Aujourd’hui, nos magasins offrent à leurs nouveaux clients une promotion exceptionnelle. En vous rendant à notre accueil, nos hôtesses vous remettront… etc. »

La musique de supermarché serait-elle indispensable ? Il est certain que son absence serait remarquée. Il est difficile de se rendre dans une grande surface sans entendre de la musique. Parfois, sur le parking, celle-ci nous montre déjà le chemin en nous indiquant que nous approchons de la ‘zone à risque’… L’entrée, c’est par ici !

Les haut-parleurs placés à l’extérieur diffusent de la musique à tue-tête. À cause du bruit provenant de la circulation, le son joue la surenchère, quitte à rendre les annonces inaudibles et le son détestable. Mais qu’importe, la musique crée l’ambiance et prend le client par la main pour l’attirer vers l’intérieur. C’est là sa première victoire.

Une fois arrivé à destination, que vous vous précipitiez dans une grande surface alimentaire, dans un grand magasin de bricolage ou dans un salon pour l’auto, le principe du fond sonore ne varie guère. Généralement, les blancs musicaux sont proscrits. La musique doit conserver une certaine homogénéité pour que celle-ci devienne comme un halo sonore capable d’enrober le visiteur dans une sorte de bien-être sécurisant.

Ce fond sonore est parfois entrecoupé par des annonces promotionnelles. Un animateur possédant le timbre de voix adéquat - souvent un intermittent du spectacle - est engagé pour animer la quinzaine commerciale, la période des soldes ou bien celle de fin d’année. Il sert de relais avec la musique. Ses interventions sont faites de jeux et d’offres exceptionnelles. Il a pour but d’attirer le client dans un lieu bien précis du supermarché.

Dans une grande surface, pour renforcer les ventes, les marchandises sont disposées d’une façon quasi ‘scientifique’. Cette disposition a un impact sur la clientèle, surtout auprès des jeunes gens. Ce n’est donc pas un hasard si le rayon consacré aux produits high-tech et à la musique sont situés près de l’entrée. Avec les livres, c’est le ‘parc culturel’ de la grande surface.

Pour n’importe quel établissement, la bosse du commerce, c’est de savoir discerner les priorités, et pour un supermarché, ce sont d’abord ‘les loisirs’ puis les ‘produits de base’. C’est devenu une pratique courante qui, malheureusement, ne surprend plus personne.


LE CHOIX DE LA MUSIQUE

Pour le consommateur lambda, le fond musical fait partie du mobilier. Il traverse les oreilles du client en diffusant son lot de messages, de mélodies et de rythmes. Le client sait qu’en entrant dans une grande surface, il va devoir s’accoutumer à une musique plus ou moins digeste et parfois agressive (vous aurez sans doute remarqué que le volume sonore a tendance à augmenter au moment des promotions ou des soldes).

D’une surface à l’autre, la musique diffusée peut être très différente. Il peut s’agir d’une musique épousant des sonorités actuelles ou reposant sur des succès passés. C’est souvent la direction de l’établissement qui est en charge du choix musical. La musique est établie suivant des critères précis correspondant au profil général de la clientèle, mais pas seulement, car il dépend également du type de grande surface : automobiles, habillement, alimentation… Généralement, une même grande surface utilise plus ou moins le même programme musical ; certaines se contentant de diffuser la musique provenant d’une radio spécialisée.

La musique de supermarché ne doit pas devenir trop envahissante, sinon au lieu de favoriser l’achat, celle-ci produirait l’effet inverse en faisant fuir le consommateur. De temps en temps, les choix musicaux sont discutables. Le programme musical demande des compétences pour être efficace et augmenter le volume sonore ne signifie pas pour autant que les ventes partiront à la hausse.

Imaginez un seul instant que vous deviez faire vos courses dans un déluge sonore semblable à une discothèque… je sais, j’exagère ! Toutefois, je suis sûr que vous aurez parfois trouvé la musique trop forte, gênante, allant jusqu’à perturber votre concentration. Avez-vous remarqué les personnes qui, en arrivant aux caisses, oublient des marchandises et repartent en courant ? Serions-nous tous et toutes des têtes de linotte ? Le stress, le manque de temps, n’explique pas tout. Le bruit ambiant en est souvent la cause.

Alors que la diffusion d’une musique populaire et commerciale apporte un comportement capable de booster la vente, une musique de Mozart ou de Chopin serait rarement en adéquation avec le commerce agressif de la grande surface. Si le classique convient bien à l’illustration musicale d’une publicité pour la télévision ou le cinéma, sa diffusion en grande surface, avec ses pianissimo et ses forte, la rend inadéquate. C’est une musique trop en retrait pour stimuler le désir d’acheter. À l’opposé, de la musique rock serait jugée trop agressive.

Les musiques légèrement rythmées sont idéales. Ainsi, une musique brésilienne ou des rythmes évoquant les vacances, les îles et la chaleur, sont capables d’apporter un sentiment d’énergie apte à doper la vente. Mais le plus souvent, ce sont les musiques et les chansons populaires qui remportent tous les suffrages.

Quand vous croisez une personne qui fredonne ou qui siffle dans une allée de grande surface, c’est souvent le signe que la musique diffusée est reçue positivement. Le signe que la musique a son utilité. Si quelques personnes sont capables de l’exprimer extérieurement, c’est qu’un plus grand nombre la ressent intérieurement. C’est en se basant notamment sur ces constatations que la musique a envahies les petites et grandes surfaces. Un mariage qui dure depuis plus de 40 ans et qui nous provient des États-Unis. D’ailleurs, chez eux, la musique de supermarché s’exporte un peu partout, même dans les ascenseurs !


LA MUSIQUE DE SUPERMARCHÉ, COTÉ COMPOSITEUR

La musique de supermarché a ses revers, notamment auprès des compositeurs chez qui elle n’a pas bonne presse. En effet, traiter une création musicale de “musique pour supermarché” est plutôt affligeant pour celui qui l’a écrite. Généralement, la musique de supermarché est synonyme de musique insipide, terne, sans saveur et passe partout.

Un exemple parmi d’autres, le pianiste américain Bob James. Très populaire dans son pays, celui-ci a souvent produit des disques de qualité aux couleurs jazz, mais qui ont souvent été l’objet de cette comparaison absurde. Absurde, car même s’il existe des musiques jazz dites d’ambiance, allez demander à un Georges Benson ou à un Quincy Jones ce qu’ils en pensent, et vous risquez bien d’être reconduit manu militari jusqu’à la porte !

En France, Jean-Michel Jarre a tenté l’aventure en 1983, avec un album intitulé Musique pour supermarché. Le fait notable et rarissime provient de son tirage à un seul exemplaire. Pour son auteur, le disque avait été conçu et voulu comme une œuvre d’art unique : master détruit et vente à l’hôtel Drouot pour 69 000 Fr. Pour attiser la curiosité, on ne fait pas mieux ! Musique pour supermarché est une parenthèse dans la carrière de cet artiste anticonformiste. Toutefois, à l’intention de ses fans, l’auteur réutilisera certaines plages du disque sur d’autres productions (Rendez-vous, Zoolook…).

Des compositeurs moins célèbres ont bien essayé d’esquisser des musiques dites ‘au mètre’, logiquement taillées et formatées pour supermarché. La ‘musique au mètre’, une expression qui résume bien la valeur musicale et l’ambition de ceux qui la produisent. Des disques programmés ‘à la manière de’ sont sortis à une époque des tiroirs pour un coût de revient dérisoire. Certains studios d’enregistrement étaient même spécialisés dans ce genre de travail.

Mais au lieu d’être utilisé comme support pour créer des fonds sonores pour supermarché, la ‘musique au mètre’ est venue grossir le lot impressionnant des œuvres ciblant le film documentaire et le cinéma pornographique. Cette dérive montre bien les limites d’une musique, quand ses contours sont basés sur des normes invérifiables, sur de soi-disant études comportementales. Et dans ce cas, la ‘musique au mètre’ a toujours eu besoin d’images pour se justifier et exister.

Il faut bien comprendre que l’époque où l’on cherchait à diffuser dans les grandes surfaces une musique impersonnelle avec des normes prédéfinies n’est plus d’actualité. La musique de supermarché ne doit plus être neutre. Elle doit contenir un lien avec le consommateur. Et ce lien, c’est dans la musique et la chanson populaire qu’on le trouve. C’est souvent avec les derniers hits à la mode entrecoupés de quelques standards que sont ‘fabriquées’ les musiques de supermarché… C’est, pour la grande surface, une façon très habile de toucher ‘l’affectif’ d’un grand nombre de clients.


L’IMPACT DE LA MUSIQUE DE FOND SUR LA CLIENTÈLE

Si la musique n’avait aucun impact sur la vente et sur les consommateurs, elle se ferait certainement plus discrète. Mais de là à devenir absente, je ne le pense pas. D’ailleurs, la musique que l’on diffuse aujourd’hui dans les cafés, restaurants et tous les autres commerces est reçue par les oreilles de la clientèle comme un fond sonore, peut-être transparent, mais nécessaire.

La musique a une tâche précise, celle de remplir le silence. Elle est tellement devenue omniprésente que sans sa présence un malaise existentiel se produirait chez certaines personnes. Le silence, mais également le bruit, sont les ennemis jurés des temps modernes et des villes bruyantes. Le plus souvent, la musique ne fait que chercher à contrebalancer ces maux-là.

Dans la grande surface, le fond musical fait oublier pour un moment le bruit des moteurs et des klaxons. La musique entre alors dans une continuité sonore qui ne lâche plus l’individu. Entre le moment où la personne entre dans le magasin et celui où elle en sort, le fond musical est toujours là… “Pauvre de nous“, s’écrie le rat des champs. “Qu’est-ce que vous dites ?” Répond le rat des villes, la main contre l’oreille.


ET SI LA MUSIQUE DE SUPERMARCHÉ DISPARAISSAIT !

Depuis que la ‘rémunération équitable’ a vu le jour, on est en droit de se poser la question. Cette taxe (une de plus) est payée par les propriétaires des lieux sonorisés. Cela va du modeste bar de quartier jusqu’aux supermarchés, en passant par les restaurants et les petits commerces. Fixée à 18 % des droits d’auteur celle-ci pourrait bien voir son taux doubler pour passer à 35,75 %. Et si l’on ajoute à cela les droits SACEM, diffuser de la musique publiquement va devenir horriblement cher. Cette taxe est reversée aux artistes interprètes et aux producteurs.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2012)


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