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JAZZ ET INFLUENCES

OSCAR PETERSON PORTRAIT - UN SOIR DE CONCERT

Avec ses 1 m 86 et ses plus de 100 kilos, la stature d’Oscar Peterson en imposait dans ses concerts. Sur scène, le pianiste canadien impressionnait les spectateurs, le choc n’était pas seulement physique, mais surtout sonore et auditif…


OSCAR PETERSON, UN JAZZ BÂTI SUR DU ROC

Comme si c'était hier... je me souviens de ce pianiste s'avançant au devant de la scène. Essoufflé, un peu en retard, Oscar Peterson salue, le visage souriant, élégant, comme à son habitude. Que dire du personnage, si ce n’est qu’il a été l'un des derniers représentants de la grande école du jazz. Citer les artistes qu’il a accompagnés ? La liste serait longue. Si je nommais seulement Charlie Parker, Billie Holiday, Count Basie, Dizzy Gillespie et Ella Fitzgerald, je ferais certainement du tort à bien d’autres.

En arrêt devant le piano, comme un rhinocéros s'apprêtant à charger, c’est un déluge de notes qui inonde la salle, une cascade de plaisir que le pianiste ne dissimule pas. Toute l'histoire du jazz en quelques accords, peut-être bien… Une puissance de jeu tout en délicatesse, assurément ! L’apparente facilité est toujours là, avec quelquefois de la retenue, une modestie qui fera le bonheur des chanteuses qu'il sut si bien accompagner.

Son aisance technique, il l’a mis au service d'un répertoire varié. Ce géant du jazz a influencé un bon nombre de pianistes, tout en étant à son tour influencé par la haute volée technique d’Art Tatum. De ce maître du piano jazz, Oscar Peterson a créé son propre style, immédiatement identifiable dès les premières mesures. S'il ne fallait qu'un mot pour le résumer, c’est le mot swing qui me viendrait en tête immédiatement. Le swing, il savait l’installer, que ce soit à travers ses échappées les plus romantiques ou à travers quelques fugues improvisées. Le pianiste Herbie Hancock dira de lui : « Il a mis du velours au bout de mes doigts. », une façon pour le pianiste américain de signaler que si la virtuosité conduite par Peterson a toujours été présente, ce n’était pas là l’essentiel de sa puissance artistique.

Sensible aux nouvelles expériences du jazz, Oscar Peterson n'a toutefois jamais couru après les musiques jazz très « tendances ». Son indifférence aux modes lui a valu quelques détracteurs. Il lui fut reproché de se répéter, de ne rien inventer. Injustes reproches à ce virtuose jouant par plaisir et ignorant les castes. « La critique est facile et l’art est difficile », comme disait Destouches.


OSCAR PETERSON OU L’ART DU TRIO

De toutes les formations, Oscar Peterson a toujours privilégié le trio. Dès les années 50, le trio composé du fidèle Ray Brown à la contrebasse et d'Ed Thigpen sera ouvrir les chemins qui conduisent à la célébrité. Les trois musiciens enregistreront pas moins d’une centaine d’albums avec une nette préférence pour les standards. Sinatra, Gershwin, Irving Berlin, Cole Porter ou Duke Ellington seront réinventés par les doigts magiques et véloces. Plus tard, d’autres musiciens prendront place, notamment le contrebassiste Neils-Henning Orsted Pedersen et le guitariste Joe Pass pour quelques passes d’armes.

Oscar Peterson appartient à la génération des pianistes première époque, capable de développer sous ses doigts les composantes du parfait pianiste de jazz, aussi habile à s’immiscer dans l’art du trio, du solo que dans celui de l’accompagnement. Après divers changements de formation durant les années 1960, Peterson court l’aventure de l’exercice solitaire. En solo, porté par le retentissement de sa prestation au Newport Jazz Festival de 1972, le grand Oscar Peterson apporte au piano solo sa touche personnelle à une époque où le genre est encore peu couru.

Dernier volet de son talent, l’accompagnement. Lors de sa longue carrière, le pianiste canadien a mis en valeur les plus belles voix féminines (Billie Holiday, Ella Fitzgerald…), tout en offrant son talent à la gent masculine (Fred Astaire). Comme d’autres pianistes accompagnateurs, Peterson était un sideman efficace qui sut servir la crème du jazz d’alors : Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Stan Getz, Louis Armstrong. Lionel Hampton... Finalement, pour le simple amateur de jazz que je suis, il serait certainement très difficile d’emporter sur une île déserte un, deux ou trois de ses disques.


OSCAR PETERSON : BOSSA BEGUINE


UN COLOSSE À LA SANTÉ FRAGILE

Derrière le fougueux pianiste se cachait un être à la santé fragile, une santé qui a joué un rôle non seulement dans sa légende, mais aussi dans sa carrière. À l’âge de 5 ans, il échappe miraculeusement à la tuberculose (il séjournera pendant 13 mois au Children’s Memorial Hospital de Montréal), ce qui l’oblige à faire l’impasse sur l’instrument qu’il aime, la trompette. Par imitation et par jeu, il suit les traces de son père qui était pianiste amateur, mais à l’adolescence, Oscar est atteint d’arthrite. Toute sa vie, il va devoir vivre avec. Lors de ses prestations, il apprendra à masquer la douleur pour offrir au public seulement des sensations positives. La bonne humeur, il en avait le secret.

Les pépins physiques seront la face cachée de l’artiste. En 1993, il est victime d’un accident vasculaire cérébral lors d’un concert à New York en compagnie de son mythique trio des années 1950. Fidèle à son habitude, le pianiste termine le concert. Sa main gauche paralysée, le Canadien entreprend alors un programme de rééducation et, contre toute attente, reprend la route moins d’un an plus tard.

Malgré tous ces aléas que peut apporter l’existence, Oscar Peterson s’engagera dans la cause des Noirs. En 1962, il compose Hymn to Freedom en protestation à la ségrégation raciale et en soutien à Martin Luther King. La pièce connaîtra une glorieuse postérité entretenue par le musicien lui-même qui l’intégrera de nombreuses fois à ses disques. Son engagement se fera sans tambours ni trompettes, plus par la musique que par les discours : comme si pour lui une note valait bien plus que les plus belles paroles du monde.

par N. Verdon (Cadence Info - 04/2014)

À consulter : OSCAR PETERSON, LE ROI DU PIANO SWING.


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