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JAZZ ET INFLUENCES


INTERVIEW RICHARD GALLIANO (évocation de la carrière artistique et de la place de l'accordéon)

Gus Viseur, Marcel Azzola, Tony Murena sont des noms qui ne parleront peut-être pas à la jeune génération. Pourtant, Marcel Azzola, celui qui mit le feu à Jacques Brel dans la valse 'Vesoul', n’est-il pas l’une des meilleures représentations de ce peut être aujourd’hui encore l’accordéon ? Et que dire du tango et du bandonéon d’Astor Piazzolla qui fit de cette danse sensuelle une musique de concert ! Ces danses de salons aux formes désuètes se retrouvent rajeunies dans un même élan de créativité sous les doigts de Richard Galliano. L’accordéon, le musicien l’explore sous toutes ses facettes et lui arrache, de bien des façons, les clichés qui lui courent après.


RICHARD GALLIANO, INTERVIEW À BÂTONS ROMPUS

Le Cannois Richard Galliano, né en 1950, commence très tôt à jouer de l'accordéon et remporte à douze ans un concours de jeunes prodiges. Sa fréquentation des milieux du jazz remonte aux années 80. Sur sa route, il y aura de nombreux musiciens célèbres, de Chet Baker à Michel Portal en passant par Eddy Louiss ou Enrico Rava. Mais c'est la rencontre, en 1983, d'Astor Piazzola qui sera pour lui déterminante. Elle marque le début d'une longue amitié et donne à sa carrière une nouvelle orientation : il crée le concept de "New Musette", à l'image du "New Tango" de l'Argentin et va dès lors connaître un succès constant dans les contextes les plus divers.


Bonjour Richard Galliano. Commençons par évoquer le tango "Vie violence" écrit à l’intention de Claude Nougaro et qui est une merveilleuse passerelle entre la chanson et l’accordéon jazz.

Richard Galliano : En ce qui concerne cette chanson, c’est une commande de Claude Nougaro 10 ans après que l’on ait cessé de collaborer, du moins en concert. On s’est croisé dans un studio. Je ne sais plus lequel, à Paris. Claude me dit : “Richard, il faut que tu me composes un tango rock”. Pour cela, il m’a donné l'idée de départ, l’inspiration. Je me suis mis au piano et le morceau est né…

© Mario Bertocchi (flickr.com)

Il y a plusieurs manières de faire une chanson.

Moi j’ai pris goût à faire des chansons avec Claude en commençant avec le texte et en mettant la musique sur le texte ou inversement. Claude aimait aussi entendre une musique instrumentale et raconter une histoire dessus. Il a fait ça sur de nombreux standards de jazz.

Quand on évoque Richard Galliano, on parle de chansons parce qu'on fait le lien avec Nougaro.

Au départ, l'essence, c’est la chanson. Mes différents passages chez Claude Nougaro, Barbara, Reggiani, m’ont permis de prendre goût à trouver une mélodie, même quand on veut composer quelque chose de plus grandiloquent, comme une symphonie… S’il n’y a pas au milieu d’une chanson un thème fort, c’est frustrant. Pour moi, c’est quelque part de la musique ennuyeuse. C’est à la mode maintenant dans la musique contemporaine. C’est toujours de belles harmonies, de belles orchestrations, mais il manque toujours cette mélodie propre aux chansons.

Comme avec "La foule" d’Édith Piaf, un live que vous avez enregistré à Marciac avec Winton Marsalis. Cette chanson, c’est un peu la passerelle entre Billie Holiday et Édith Piaf

… Qui était née à la même date, en 1915. Je suis assez fier de ma rencontre avec le trompettiste Marsalis. J’ai quand même réussi à faire jouer la musique de Piaf aux Américains. J'ai été agréablement surpris par le respect et la manière dont ils ont abordé ce répertoire ; en le dérivant à moment donné vers le jazz, toujours avec une intelligence musicale, une écoute.


RICHARD GALLIANO : 'NEW-YORK TANGO' (live 'Jazz in Marciac - 2013)
Richard Galliano  accordéon, Bertrand Cervera  premier violon, Saskia Lethiec  second violon, Jean-Paul Minali-Bella  violon alto, Éric Levionnois  violoncelle, Sylvain le Provost  contrebasse (NB. Cette musique a été l'indicatif de la série télévisée 'PJ'.)

Parmi les œuvres à évoquer et que vous avez enregistré, le nom de Nino Rota surgit et l’on plonge dans l’univers de Fellini à travers un album qui lui est consacré. Pourquoi Nino Rota ? Qu'y a-il de particulier dans cette musique ?

C’était un projet que j’avais fait spontanément. J’avais fait à l'époque pas mal de concerts avec Enrico Rava à la trompette, Daniel Humair à la batterie et Jenny-Clark à la contrebasse. J'étais chez ‘Dreyfus jazz’ et il se trouve que lorsque je commençais à faire le premier disque chez ‘Deutsche Grammophon’, "Bach", ils m’ont demandé? pour le centenaire de la naissance de Nino Rota, un disque sur sa musique. Or, sa musique dormait dans mon tiroir depuis plus de 15 ans. Dans le disque, j’ai fait appel à des musiciens américains comme Dave Douglas à la trompette, John Surman au saxophone.

Parmi les éminents musiciens avec qui vous avez collaboré, on peut citer Chet Baker, Ron Carter ou Astor Piazzolla, et en France, le guitariste Sylvain Luc avec qui vous avez enregistré un album hommage à Édith Piaf qui s’appelle "La vie en rose".

C’est un album duo avec une guitare purement acoustique. C’est magnifique, parce que Sylvain Luc est un orchestre à lui tout seul, humainement et musicalement.

Astor Piazzolla, lui qui avait revu le tango et qui l’avait reconsidéré, vous dit à moment donné de revenir à vos origines de l’accordéon musette, mais en apportant quelque chose de nouveau, à la Galliano. C’est lui qui vous donne cette appellation du ‘new musette’, finalement.

Oui, il m’a dit tout simplement : “Écoutez Richard, moi j’ai fais le ‘New tango’, il faut absolument que vous fassiez le ‘New Musette’.” Moi, je pensais déjà à ça, mais je n’osais pas faire la démarche de redécouvrir mes racines, tous ces chefs-d'œuvre de Tony Murena, de Gus Viseur, comme "L’indifférence", qui est la plus belle valse à avoir été écrite dans ce style.

Ce titre fait partie de l’album "Tangaria Quartet" où on l’entend…

Ce qui est intéressant, c’est le fait que je joue avec des musiciens vénézuéliens et mélanger la valse à la manière musette avec des tempi de valse vénézuélienne, cela a donné quelque chose d’unique.


RICHARD GALLIANO : 'LA FOULE' (live 'Jazz in Marciac 2014)
Une rencontre entre l’accordéoniste et le trompettiste Winton Marsalis, l’un et l’autre adulés par le public marciacais. Richard Galliano  accordéon, Wynton Marsalis  trompette, Walter Blending  saxophone, Dan Nimmer  piano, Carlos Enriquez  contrebasse, Ali Jackson  batterie.

Au départ, vous aviez été repoussé par le musette. Vous aviez eu une petite réaction contrariée...

Dans mon adolescence, il existait un côté de l’accordéon très populaire, qui faisait ressortir une seule sorte de musique, et moi j’étais un peu malheureux de ça. J'entendais les accordéonistes américains, brésiliens, le côté classique aussi, alors j’étais un peu en révolte… À moment donné, pour Piazzolla, c’était la même chose. Il a eu un mouvement de rejet vis-à-vis du tango. C’est sa rencontre avec Nadia Boulanger (pianiste pédagogue, ndlr) qui l’a remis sur les rails, lui disant : "Ne quittez jamais cette musique, sinon vous perdez.” Et il a fait la même chose avec moi… Je me revendique jazz, mais pour moi la véritable essence, c’est le musette. C’est la chose la plus délicate à jouer... Si l'on veut vraiment le jouer en étant à la hauteur du passé, c’est-à-dire à la hauteur de tous les musiciens cités, Marcel Azzola, Gus Viseur… en les réécoutant, je prends une claque !

On parle tout de même ici d’un genre assez évolué dans le domaine de l’accordéon, car il y a des musiciens qui ont fait un peu de mal à cet instrument, limite imposture…

Il y a de la place pour tout le monde… Côté populaire, ces musiciens-là sont scéniques. Inconsciemment, je m'en suis inspiré. Il m’arrive même d’écouter Aimable. Il jouait à sa manière, mais d’une façon sincère. Je n’ai pas de jugement à apporter là-dessus.

La seule chose qui compte serait cette sincérité ?

Ils ont eu du succès et cela ne me déplairait pas d’en avoir autant.

Vous êtes conscient, au-delà de l’accordéon, d'avoir amené quelque chose de très fort dans la musique contemporaine et que, finalement, cet instrument devient au bout d’un moment, un détail.

Oui, c’est sûr que j’ai plus envie d’être un musicien qu’un accordéoniste ou un instrumentiste, mais bon, l’accordéon ça me colle à la peau, ça fait partie de mon corps… Dans ma démarche, j’ai été aidé par Nougaro, Piazzolla, Barbara. Ce sont des gens qui m’ont aidé à me construire. Mon père, au départ aussi. Ce sont des repères très forts qui font que j’ai toujours eu un fil rouge, même si je m’en éloigne un peu.


RICHARD GALLIANO : 'MA PLUS BELLE HISTOIRE D'AMOUR' (2021)
Une reprise de la chanson de Barbara en solo et dont il fut l'accompagnateur (danseurs : Maud Noharet & Myke Vangout).

Avant de nous quitter, évoquons l’album 'Mozart' et ses thèmes qui ne sont pas destinés à l’accordéon. Dans ma tête, je fais le lien avec Maurice André qui a apporté des lettres de noblesse à des œuvres qui n’étaient pas du toutes écrites pour la trompette et qu’il a retranscrit. Et vous, c’est Mozart que vous jouez à l’accordéon…

J’ai enregistré cet album chez 'Deutsche Grammophon’. Au départ, j’ai trouvé cette solution avec les disques "Bach" et "Vivaldi". J'ai pris des partitions de violons, d’autres instruments - ou de clarinette pour "Mozart" -, non pas pour les adapter à l’accordéon, mais pour les jouer textuellement. Cela fonctionne très bien et cela donne une autre approche sans oser dire que c’est mieux que la clarinette… Dans la partition de "Mozart", j’ai repris la partition originale prévue pour cor de basset et qui descend beaucoup plus grave que la clarinette. À l’accordéon, je ne trahis pas Mozart et, à l’écoute, ça marche ou ça ne marche pas… C’est assez simple finalement. Si je joue seul une partition de Vivaldi ou de Mozart, cela reste toujours un morceau d’accordéon, mais le fait d’être dans un écrin de musiciens classiques, comme un quintette à cordes, l’accordéon devient un instrument classique. J’ai découvert cela sur le tard et il a fallu que j’attende d’avoir 66 ans !

Cadence Info (06-2016, mis à jour 03-2022)


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