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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

ROCK AND ROLL ET SÉGRÉGATION AUX ÉTATS-UNIS

« Nous avons non seulement le droit, mais aussi le devoir d’être libres. Lorsque dans le bus, vous vous asseyez à l’avant ou à côté d’une personne blanche, vous le faites parce que c’est votre devoir, pas seulement votre droit. C’est votre devoir, car tant que vous vous assoirez au fond, vous vous sentirez faussement inférieurs. Tant que vous laisserez le Blanc vous pousser vers le fond, il se sentira faussement supérieur. » (Martin Luther King, 14 novembre 1956)


UN RHYTHM’AND’BLUES POUR LES BLANCS

Au début des années 50, l’arrivée du rhythm and blues annonçait une nouvelle ère où les barrières raciales s’effondraient une à une. Dans les salles de concert, blancs et noirs étaient séparés par une corde gardée par des policiers, mais happée par la chaleur de la musique, la foule se mélangeait, provoquant la police qui finissait par arrêter danseurs et musiciens, jusqu’au prochain concert où tout recommençait.

Le rhythm and blues rapprochait la jeunesse blanche et noire, et en 1954, la cour suprême rendit ce rapprochement obligatoire lorsqu’elle déclara que la ségrégation dans les écoles était contraire à la constitution. Tous ces signes annonçaient des temps nouveaux, des temps où blancs et noirs pourraient vivre ensemble, étudier ensemble, travailler ensemble, danser ensemble ou simplement s’ignorer comme deux inconnus s’ignorent, sans se haïr, sans se craindre, en oubliant qu’ils sont noirs ou qu’ils sont blancs.

Tous ces signes étaient les prémices d’un bouleversement immense, bien plus grand qu’eux, qui allait balayer l’Amérique pendant vingt ans et dont elle sortirait profondément transformée. Un bouleversement que la musique a chanté et célébré tantôt en précédant le mouvement, tantôt en le suivant, mais en l’accompagnant toujours dans un élan phénoménal de créativité et d’émotion.

Ce bouleversement a commencé quand tous ces blancs passionnés de rhythm and blues se sont mis à en faire à leur tour. Bill Halley montra la voie en 1954 quand il reprenait les chansons de Big Joe Turner, le plus grand chanteur de blues de Kansas City. Bill Halley était vieux, polie et vaguement ridicule dans ses costumes de cow-boy d’opérette, mais il introduisit le rhythm and blues auprès des millions de teenagers blancs qui n’osaient pas ou qui ne pouvaient pas l’écouter, et pour cela, il devient mondialement célèbre en quelques mois. Cependant, ce n’était pas lui qui déchaînait les foules, c’était la musique qu’il jouait : le rock’n’roll.


LES PREMIERS PAS DU ROCK’N’ROLL

Le rock’n’roll, une musique sauvage, simpliste, gorgée d’hormones et d’électricité, un décalque brutal de rhythm and blues que célébraient des prophètes délirants et que le petit écran débarquait dans la salle à manger familiale… Tous ces prophètes étaient des noirs, des noirs qui ne cherchaient pas à faire oublier qu’ils étaient des noirs, bien au contraire. Tout, dans leurs attitudes extravagantes, venait rappeler au bien-pensant leur plus grande terreur, celui d’une domination des noirs sur les blancs.

Il y avait Chuck Berry, les yeux écarquillés, la bouche humide, qui célébrait avec jubilation les déhanchements des pucelles de 16 ans de Boston à Pittsburgh jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Il y avait cette grande folle de Little Richard qui célébrait les plaisirs douloureux de l’amour à l’envers, dans un déluge de cris suraigus et d’onomatopées délirantes (Tutti Frutti)…

Et puis, il y eut Elvis Presley. Elvis qu’on disait blanc, mais qui s’habillait comme un maquereau du ghetto de Memphis, qui chantait comme un possédé et qui exhalait la vulgarité, le sexe et l’urgence par tous les pores de sa peau. Elvis qui était au-delà des races, Elvis qui plaisait aux blancs, Elvis qui plaisait aux noirs, et c’est cela qui effrayait tous les tenants de la ségrégation. Cette musique menaçait l’ordre établi !

Le speaker blanc et raciste proclamant la disparition du rock’n’roll cassait devant la caméra le disque en prouvant que c‘était là le meilleur moyen, alors que des politiciens ne voyaient dans cette musique qu’obscénité et vulgarité, une musique capable de rabaisser le Blanc et ses enfants au niveau de l’homme de couleur. De son côté, le Ku Klux Klan résumait l’avènement du rock’n’roll par ces mots-là : « Ils veulent mêler enfants blancs et noirs dans le creuset de l’intégration. Il en ressortirait un métissage, une classe de mulâtres et de bâtards ! Les deux races seraient détruites par ce brassage. » Le rock’n’roll rassemblait les jeunesses blanches et noires, tandis que les racistes luttaient pour qu’elles restent à tout jamais séparées.

Face à la décision de la cour suprême, lorsque les premiers étudiants noirs voulurent s’inscrire dans les établissements réservés aux blancs, c’est avec des pierres et des insultes qu’ils furent accueillis : pas d’intégration ici !, pouvait-on entendre. Le racisme était là, palpable, odieux sur les visages et dans les mots. Il était là, même chez ces jeunes qui, comme tous les teenagers des années 50, devaient écouter du rock’n’roll, et qui pourtant crachaient leur haine parce que tout simplement les gens d’en face étaient noir. Le rock’n’roll, malgré sa puissance intégratrice, n’était finalement qu’une musique, et que, à elle seule, une musique ne pouvait renverser 300 ans de préjugés.

La musique ne peut pas vaincre l’injustice, mais elle peut faire rêver. Elle peut donner du courage, elle peut entraîner. Elle avait réchauffé le cœur des noirs d’Amérique au temps de l’esclavage et elle était toujours là, le jour où ils décidèrent de se lever contre les lois ‘Jim Crown’, depuis ce jour de 1954 où à Montgomery dans l’Alabama, une petite couturière, Rosa Parks, refusa de céder sa place de bus à un Monsieur Blanc.

Ce n’était pas plus que cela et pourtant, c’était énorme, car le geste de Rosa Parks mit en mouvement toute la communauté noire de Montgomery, qui boycotta pendant des mois les bus municipaux pour la soutenir… Et de ce petit boycotte local allait sortir le grand mouvement des droits civiques. Un mouvement qui partit des églises noires où la communauté se retrouvait pour venir écouter ce révérend charismatique, Martin Luther King.

par Patrick Martial (06/2011)

Source : d’après Des chaînes de fer aux chaînes en or de Pierre Evil

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