L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui

CHANSON


PORTRAIT STROMAE, BIOGRAPHIE DU CHANTEUR BRUXELLOIS

Ah, ils y vont fort dans la presse et sur Internet pour saluer le talent de cet artiste bruxellois ! Coup de chance, hasard ou coïncidence, le petit génie de la « com » a produit tout un abatage médiatique autour de sa personne. Deux disques à ce jour et des superlatifs qui abondent. Ses chansons, on en parle. Musicalement, on évoque un mélange des genres, entre hip-hop et musique électronique, et côté texte, des paroles sensiblement obscures. Mais Stromae est surtout devenu l‘icône des réseaux sociaux. Prenant à témoin le cinéma comme moyen d’expression, il dessine dans ses clips des personnages du quotidien noyés dans une société individualiste et déshumanisée. Mais sur le fond, qui est donc ce garçon sensible, élancé comme un échalas, à la voix râpeuse et au discours théâtral ? À qui cherche-t-il à plaire ? Ce portrait tente d’y répondre.


STROMAE... PETITE PIQURE DE RAPPEL

Alors on danse ? Un appel d’air auquel l’artiste nous invite sur son premier album Cheese (2010). Le titre cartonne à sa sortie et un large public découvre à cette occasion Stromae. Content de son sort, le chanteur bruxellois savoure cela. Nous aussi. Festif, entraînant, alerte, sans autre agressivité, Alors on danse ? dresse pourtant un tableau très sombre. Une génération d’ados absorbe les paroles et glisse entre ses vagues au son d’une ritournelle obsédante.

Un brin défaitiste le Stromae ? Serait-il écrasé par trop de problèmes ou, comme bien d'autres, victime d’une société qui cherche désespérément une porte de sortie plus humaine ? Les paroles de la chanson tombent sous le sens. Mais ces paroles ne sont pas juste un appel de détresse, mais une observation, la sienne, sur le conditionnement des êtres.

Exigeant, un peu dur envers lui-même, Stromae doute de ce premier succès, du moins de sa justification. Le chanteur est influencé par le rap, mais ce qu’il chante n’est pas du rap, du moins dans sa forme. Le basculement couplet/refrain est marqué ; et à ceci s’ajoute un slogan qui résonne à la façon d’un « bourrage de crâne ». Vous me direz, un slogan est souvent synonyme de revendication, du moins, c’est son but. En tout cas, la chanson Alors on danse ? recevra de nombreuses récompenses dont un "Award NRJ" en 2009 et une "Victoire de la Musique" en 2011.

Élevé par sa mère aux sons de la salsa, de la musique africaine, du zouk et des disques de la 'Tamla Motown', Stromae aborde la musique à travers les percussions. Le rythme devient le moteur. À l’adolescence, il découvre le rap lors de son séjour en internat. C’est pour lui une découverte, la possibilité d’échanger musicalement et humainement. Cette expérience le poussera à former le groupe Suspicion, d’où émergera un titre prémonitoire : Faut qu’t’arrêtes le rap. Il a alors 18 ans. Déjà, à cet âge, il n’a pas le look agressif que l’on prête généralement aux rappeurs. Avec sa frêle silhouette et son visage lisse, les gens diraient plutôt de lui : « C’est un gentil. ».

Stromae se cherche, du moins il cherche une voie dans laquelle sa personnalité va pouvoir s’épanouir. Il est sensible à la chanson française, celle des grands : Aznavour, Brel, Nougaro ou Piaf. Sa recherche musicale va le conduire à mixer cette culture avec celle de son enfance pour produire le personnage que nous connaissons.

Entre temps il y aura quelques intermèdes… Celui de la "Hip-Hop Family" et du "Juste debout Benelux", une compétition de danse hip-hop. Ça, c’est pour la musique et le fun, car, côté alimentaire et pour financer un autre projet qui lui tient à cœur – celui de suivre des études cinématographiques -, le jeune Stromae est obligé de trouver un emploi. Ce sera le travail à la chaîne dans un Quick durant plusieurs mois.

Avec l’argent qu’il récolte, il autoproduit quatre titres. L’aventure semblait vouloir s’arrêter là quand, en 2008, il signe chez "Because Music" pour quatre ans. Stromae se met alors à écrire pour d’autres artistes : Melissa M, Kerey James, Anggun, et joue également la carte Internet où il présente sa vision artistique sous l’appellation Les leçons de Stromae. Parallèlement à cette approche médiatique, il crée sa propre entreprise qu’il baptise de l’anagramme "Mosaert", puis signe avec Universal Music.

© Eddy Berthier - Stromae (2011)


CHEESE, UN PREMIER ALBUM PROMETTEUR

« Je vous souris. Je suis là, public ! »… En 2010, avec la sortie de son premier album, Cheese, le succès arrive d’un coup. Pascal Nègre - connut pour sa « chasse aux sorcières » des pirates du Net - remarque sur Internet les textes et la personnalité du jeune chanteur et l’encourage à poursuivre. Les comparatifs commencent à fuser. On compare sa voix à celle du chanteur Gaëtan Roussel du groupe français Louise Attaque. Plus tard, avec la chanson Formidable issue de son second album, ce sera au tour de Brel. Point de vue peut-être plus discutable, mais qui, en retour, harmonisera avantageusement sa personnalité.

Si le succès rencontré est déstabilisant, vertigineux, il est toujours proportionnel à son rayonnement. Stromae se pose alors quelques questions logiques sur l’avenir : « Est-ce que je ne vais pas décevoir ? Vais-je faire mieux ou moins bien ? » Le chanteur n’oublie pas que la musique, il l’a d’abord choisie pour lui. Attirer les regards est certes gratifiant, mais pour conserver une certaine lucidité, un certain recul est toujours nécessaire. Le succès, c’est à la fois rassurant et effrayant, mieux vaut alors suivre son instinct.


HISTOIRES DE CLIP ET COUP DE COM

Ses études de cinéma à l’INRACI (Bruxelles) lui permettent de découvrir les innombrables possibilités offertes par l’image. C’est un moyen supplémentaire de s’exprimer, de communiquer de façon efficace. C'est aussi une voie par laquelle il est possible de "jouer" avec le public. Sa rencontre avec Jérôme Guiot, réalisateur de ses clips, lui permet d’aborder sereinement cet univers. Jusqu’à présent, dans ses clips, Stromae incarne des citoyens ordinaires. Dans Alors on danse ?, il est l’employé écrasé par la charge de son travail et qui tente par tous les moyens d’échapper au système économique et à tous les problèmes que celui-ci soulève.

Pour Papaoutai, Stromae devient « l’enfant transfuge » qui chante tout haut sa souffrance, le manque d’un père disparu en 1994 lors du génocide du Rwanda. Dans cette chanson, la douleur ne se chante pas dans le recueillement, mais dans un rythme aussi joyeux qu’entraînant, au point qu’on peut se demander, après coup, si ce genre de paroles a ici vraiment toute sa place. Or, pour Stromae tout est une question de décalage, de culture et de sensation. La danse devient ici une échappatoire à la morosité.

Le coup d’éclat, pour ne pas dire le coup de maître, nous parviendra quand sortira le clip de la chanson Formidable. Tourné en caméra cachée sur le rond-point Louise, en plein centre de Bruxelles le 21 mai 2013, Stromae incarne Stromae. Ce n’est plus un personnage de fiction, mais le vrai chanteur qui déambule sur une place de la ville, totalement ivre, en perdition depuis qu’il vient de se faire plaquer. Le personnage n’est plus imaginaire. On le reconnaît, c’est Stromae. Les gens sont intrigués, mais indifférents à son sort. Seuls un ou deux passants et des agents de la force publique chercheront à lui venir en aide.

« Hier formidable et aujourd’hui à la dérive », cette mise en scène travaillée apporte une réponse, sa réponse à l'indifférence. Dans le texte, Stromae se parle à lui-même : Formidable / Tu étais formidable, j'étais fort minable / Nous étions formidables. Le texte résume le constat d’un échec ; la désacralisation d’un artiste qui existe comme ses semblables, avec ses peines et ses espoirs.

Lors de la diffusion, le clip produit une sorte d’électrochoc. Il fonctionne si bien que des vidéos amateurs fleurissent en quelques heures sur le Net. Tout le monde croit à l’incroyable : Stromae, bourré sur une place bruxelloise ! Les rumeurs enflent, d’autant plus que le chanteur arrive les heures suivantes, sur les plateaux de télévision, dans le même état. Des personnes s’interrogent et pensent que le chanteur est devenu alcoolique, qu’il traverse une mauvaise passe suite à des raisons sentimentales.


STROMAE - FORMIDABLE

Estimant que la plaisanterie avait assez durée et que le "coup de com" avait fonctionné au-delà de ses espérances, Stromae posta quelques jours plus tard le clip de la même chanson, mais en proposant d’autres images sous des angles différents. La supercherie est ainsi dévoilée aux yeux de tous, laissant les uns sans voix et les autres médusés par le "coup de com" magistral. En une semaine, le clip totalisera plus de quatre millions de vues sur YouTube.

Au-delà de l'effet produit, bien plus porteur que la meilleure des publicités télévisuelles, le clip de la chanson Formidable a surtout été le révélateur d’un certain type de conditionnement dans lequel, vous et moi, nous vivons. Un coup porté à la voracité des médias et de notre rapport à l’image qui, sans contrôle, est seulement capable d’alimenter notre voyeurisme.


STROMAE : POINT D’ORGUE

On se doute qu'après un si brillant départ, le talentueux « fabricant » de buzz ne pouvait sortir que du lot. Sa chance est d’avoir su créer ce qui lui tenait peut-être le plus à cœur : un personnage singulier, pas totalement rappeur, pas totalement chansonnier, un être sensible qui a capté l'attention de ses semblables tout en exerçant le métier qu’il aime avec exigence et passion.

Stromae n'est pas un héros solitaire. Il ne traverse pas son existence sans penser au lendemain, à ce qu'il était et à ce qu'il représente aujourd'hui. Autour de lui, travaille une fidèle équipe de collaborateur, graphiste, styliste, et deux de ses frères, l’un s’occupant de la photo et l’autre de la direction artistique. Toutefois, le chanteur garde toujours un œil sur ce qui se passe. Il contrôle tout ou presque : photos, affiches, vêtements, etc. Tout est une question de marketing. Pour Stromae, il est important de prévoir, puis le cas échéant, de stimuler, susciter ou d’être à l’écoute du public tout en conservant son indépendance sacrée.

La popularité de son second album, Racine carrée, a tellement été fracassante, que le chanteur a estimé qu'une telle réussite ne pouvait qu’être qu’irrationnelle. Mesuré dans son attitude, lucide, Stromae a décidé de prendre du recul pour une durée indéterminée. Il doit faire le point et faire redescendre la pression médiatique. Se faire oublier un peu. C’est vital pour lui. D’ailleurs, comment ne pas perdre l’équilibre et se poser mille questions quand on est devenu en trois, quatre ans l’artiste francophone le plus populaire. Les fans devront attendre peut être un an, deux ans, voire plus, qui sait, pour qu’un nouveau disque voit le jour. Les autres diront certainement : « Ouf, il était temps que l'on passe à autre chose ! »

Le chanteur ne chante pas spécialement pour un certain type de public ou pour plaire à tout prix. Comme il le dit lui-même : « Je fais de la musique d'abord pour moi-même, ensuite pour mes proches et enfin pour un public que je ne choisis pas. Et c’est tant mieux ! ». L’exercice est certes périlleux à une époque où les goûts et les couleurs changent aussi vite que la pluie et le beau temps. Sachez que par le passé, bien d’autres artistes populaires, pour se protéger d’eux-mêmes, ont eu la même attitude. Être artiste, c'est savoir gérer et savoir rebondir. Puis, de toute façon, les comebacks réussis ne sont pas rares de nos jours, alors !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 01/2015)


RETOUR SOMMAIRE
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale