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JAZZ ET INFLUENCES

IBRAHIM MAALOUF PORTRAIT INTERVIEW DU TROMPETTISTE

Virtuose de la trompette et du bugle à 4 pistons, Ibrahim Maalouf est un voyageur infatigable qui exerce son art aux quatre coins de la planète. En dix ans de carrière et huit albums, le trompettiste s’est imposé comme une grande figure de jazz moderne, mais aussi de la musique arabe. Conquérant, Ibrahim Maalouf a déjà reçu deux victoires du jazz et une victoire de la musique pour son album Illusion en 2014 ; duettiste auprès d’artistes qui le réclament : Sting, ‘M’, Oxmo Puccino et Grand Corps Malade (pour qui il a composé et réalisé l’album Funambule), le musicien se veut ouvert à toutes les tendances, celles d’hier et d’aujourd’hui, avec pour point commun de réserver une grande place à l’improvisation.


IBRAHIM MAALOUF INTERVIEW

Bonjour Ibrahim… Vous êtes un virtuose de la trompette. Ma première question sera : C’est elle qui vous possède ou c’est vous qui la possédez ?

Ibrahim Maalouf : c’est elle qui me possède… Quand je devais avoir sept ans, j’ai demandé à mon papa s’il pouvait me donner un cours à la trompette, car il était trompettiste, et il m’a dit : « Si je te donne un cours de trompette, tu continueras de jouer de la trompette. » J’ai hésité un court instant et j’ai fini par répondre oui. Et depuis ce moment-là, j’ai le sentiment que c’est ma trompette qui décide toujours à ma place si je dois continuer à en jouer.

Vous êtes née en 1981 à Beyrouth. À l’époque, c’était un Liban en pleine guerre et vous avez eu une naissance un peu compliquée, sous les bombardements. Est-ce que par la suite cela a induit quelque chose dans votre parcours d’adulte ?

Une envie de vivre à la fois insaisissable, à la fois insatiable, quelque chose qui provoque un rythme obligé, comme une soif de vivre en permanence. Je crois aussi qu’être né à cet endroit en souffrance, où il y avait des gens sous les bombes, j’ai eu la chance d’avoir été sauvé.

Pour presque vivre pour ceux qui sont partis…

Il y a un peu de ça, c’est vrai. Il y a aussi une vie à la hauteur de ce que mes parents ont rêvé pour moi.

Votre parcours a été tout tracé : une mère pianiste, un père trompettiste, un grand-père écrivain, poète, musicologue et journaliste. L’atavisme était présent.

C’est vrai. J’ai grandi aussi en lisant beaucoup les livres de mon oncle Amin qui sont des références pour moi dans la construction de mon identité, de ma culture… C’est vrai qu’ils sont assez présents… Quand j’étais plus jeune, je voulais être architecte et j’étais quelque part en opposition avec cette « ligne » construite pour moi.

Vous dites aussi que le 11 septembre vous a conduit à ce que la musique soit votre chemin…

C’est une histoire un peu difficile… J’avais prévu de passer un certain nombre de concours. Dans la musique classique, vous avez des concours internationaux, et l’un des premiers se passait près de Washington et avait lieu en mars 2002 et je m’étais préparé un an, un an et demi plus tôt pour être prêt. Mon projet, c’était de me rendre à Washington et de visiter New York qui est à trois heures en train ; d'enfin voir ces tours sublimes que j’avais dessinés dans ma chambre. C’était toute ma jeunesse, en imaginant un jour que je reconstruirais Beyrouth à la manière de New York… Sauf qu’entre temps, malheureusement, il y a eu les attentats du 11 septembre 2001, et que dans le train, j’ai vu New York complètement amputé. J’ai ressenti un grand choc… Traumatisé par ce que j’avais vu à New York, je me suis dit s’il y a une chose qu’on ne détruira pas, ce sera l’art et la musique.

Le public vous apprécie, vous aime. Vous remplissez les salles, mais vous êtes voué à l’hégémonie par certains puristes du jazz ou de faux puristes du jazz. Que cela signifie-t-il ?

Il est difficile pour certains d’envisager que la tradition et la modernité cohabitent. Il y a des gens pour qui la tradition est synonyme de respect, une forme de fidélité qui se voudrait plus fidèle que la fidélité. Une sorte d’orthodoxie qui me donne des frissons, car c’est contre cela que je travaille. Cela existe dans tous les domaines.

La technique tient-elle une part importante avec l’instrument dont vous jouez ? C’est assez physique…

On est comme des sportifs. On a des muscles qui sont réquisitionnés comme un sportif a besoin de ses jambes et de ses bras. Il faut donc les soigner, faire attention comme s'il s'agissait des cordes vocales d’un chanteur. Les muscles doivent être travaillés régulièrement. Tous les jours un petit peu. C’est plutôt une hygiène de vie qu’une technique quand on parle du rapport avec l’instrument.

Quels sont les points communs de tous ceux avec lesquels vous avez collaboré ? Il y a Sting, Juliette Gréco, Mathieu Chedid, Vincent Delerme

Ce sont tous des gens très humbles. Ils sont un peu comme moi, dans une forme de recherche perpétuelle. Une forme de quête qui conduit à provoquer des rencontres. Ce sont des artistes qui sont prêts à prendre des risques sur scène.

La vie est improvisation pour vous ; c’est une marque de fabrique que vous avez poussée récemment à la Cité de la musique devant 2 500 personnes. Il y a eu le Palais Royal aussi.

Ce sont des improvisations géantes que nous avons organisées récemment. Ce sont des moments assez magiques où il est important de trouver des points en commun. Certains me disent que c’est impossible d’improviser tous ensemble. J’essaye d’expliquer aux gens qu’improviser tous ensemble ne signifie pas que c’est jouer tous en même temps, mais que c’est réussir à construire une musique ensemble. Il est certain que le résultat obtenu n’est pas aussi beau qu’une symphonie de Berlioz… mais ce n’est pas le plus important dans ce contexte.

Votre actualité, c’est la parution des 7e et 8e albums. L’un est consacré à Oum Kalthoum, une grande artiste égyptienne, populaire. Des millions de personnes sont venues à son enterrement.

Trois millions de personnes.

Kalthoum, qu’est-ce qu’elle incarne à vos yeux ?

Oum Kalthoum est la voix que j’ai le plus écoutée depuis que je suis enfant. C’est celle dont je connais le plus de chansons par cœur, et puis c’est aussi une femme forte qui a su imposer sa féminité, sa douceur. C’était une vraie féministe… Depuis, pour les femmes égyptiennes, il y a eu une réelle régression. Oum Kalthoum a marqué son temps parce que le plus grand leader du monde arabe contemporain, Abdel Nasser, a eu besoin d’elle pour que le peuple soit uni autour de lui. Elle était la personne la plus populaire de la culture arabe.

Vous pensez qu’aujourd’hui il pourrait y avoir une figure féminine comme la sienne, aussi forte dans le monde arabe ?

Je pense que l’on en aurait bien besoin maintenant...

Sur votre autre album, Red & Black Light, vous rendez hommage aux femmes contemporaines, celles qui vous ont aidées, soutenues, celles de votre famille… Qu’est-ce qui distingue justement les femmes des hommes ? Est-ce que vous avez une part de féminité ?

Oui, j’ai clairement une part de féminité, mais je ne sais pas comment la définir exactement. Peut-être que l’amour qu’ont eu les femmes de ma famille, de ma grand-mère, ma mère, mes tantes, de mes sœurs, a créé une forme de tendresse permanente. Quand je vois le rapport entre les hommes et les femmes, je sens plus d’agressivité chez les hommes que chez les femmes. Je pense que cette tendresse, ce sont plutôt les femmes qui me l’ont transmise.

IBRAHIM MAALOUF - Red & Black Light

Pensez-vous que la liberté de création est menacée actuellement ?

Je crois qu’elle ne sera jamais menacée. Je n’ai pas de religion, mais s’il devait en avoir une, ce serait celle du rêve. Je suis persuadé que rêver, créer, inventer, c’est quelque chose qui ne disparaîtra jamais. Si les êtres ne savent plus rêver, plus rien n’existe, et comme il faut bien que les choses existent, on ne pourra pas nous enlever ça.

Et qu’elle est pour vous la chose la plus importante ?

La sincérité. J’essaye d’être sincère, ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse pas mentir. La sincérité, c’est de faire au mieux pour que tous les gens qui sont autour de nous soient heureux.

(Cadence Info - 02/2016)

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