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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

KHATIA BUNIATISHVILI : ‘LABYRINTH', UN ALBUM POUR BRISER LES CODES

Devons-nous en prendre l’habitude ? Chaque nouvel album de la pianiste Franco-Géorgienne Khatia Buniatishvili est salué comme un événement d’importance dans la sphère musicale classique. Sortie en octobre 2020, ce 'Labyrinth' est-il un bon cru ? Oui, si vous aimez les morceaux de piano plus ou moins évasifs, à l'allure modérée et de caractère mélancolique.


JOUER DU PIANO MAIS AUSSI DE SON SEX-APPEAL

Comme souvent, la pianiste Khatia Buniatishvili cherche par ses choix et ses attitudes à briser les codes. Labyrinth se présente comme une playlist, une sorte de patchwork qui réunit à la fois quelques grands tubes de musique classique et quelques arrangements inattendus. Médiatiquement parlant, ce sont bien sûr les quelques pas de côté qui ont attiré la plupart des commentaires, mais pas seulement ! La pianiste soigne aussi son look et ose afficher des photos glamours sur le Net avec décolleté profond et brillant rouge à lèvres… Une attitude qui irrite assurément le milieu classique, même si rien n’interdit de jouer avec son sex-appeal, surtout quand on est une star et que l’on a le physique pour ça !

© Sony classical

Visiblement, Khatia Buniatishvili utilise la surmédiatisation qui l'entoure. L’ambassadrice de la maison Cartier assume de tels faits alors qu’une telle conduite ne s’impose pas vraiment, à l’inverse de certains artistes classiques qui doivent, eux, courir après le buzz ou après le nombre de vues sur YouTube pour exister. À titre d’exemple, regardez dans quelle tenue la pianiste Lola Astanova interprète la Fantaisie Impromptu de Chopin. Dans le clip, l’Américano-Ouzbèke apparaît comme une poupée barbie provocante avec des chaussures à talons hauts et un ensemble moulant et court laissant apparaître ses jambes fuselées. Doit-on alors penser que le seul talent de la pianiste ne suffit plus ? Ne s'agit-il pas ici d'une régression ? Drôle d’époque !


KHATIA BUNIATISHVILI : ‘PREMIÈRE GYMNOPÉDIE' (Erik Satie)
Enregistré en juin 2020 à la 'Grande Salle Pierre Boulez' de la Philharmonie de Paris

‘LABYRINTH’, L’ALBUM « LE PLUS PERSONNEL DE TOUS »

À 33 ans, Khatia Buniatishvili est actuellement l’une des personnalités parmi les plus célèbres du monde classique. Son album Labyrinth est pour elle « le plus personnel de tous ». On veut bien la croire, mais l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les deux titres à la marge choisis par la pianiste : Deborah’s theme (extrait de la musique du film Il était une fois la Révolution) et La javanaise.

Perdu au milieu de Bach, Chopin, Rachmaninov, Satie ou encore de Ligeti et Couperin, l’amour de Khatia pour les musiques de Morricone et de Gainsbourg n’imposeraient-elles aucunes limites ? On ne saurait mieux faire pour être clivant ! Et que dire de l’avant-dernier titre : 4’33’’ de John Cage et de ses quatre minutes trente-trois secondes de silence pur ! Le programme est donc vraiment détonnant en partant du baroque pour aboutir à de la chanson populaire, un choix que Khatia résume dans cette phrase : « Je ne joue pas pour les mélomanes, mais pour des êtres humains, quelles que soient leur condition ou leurs connaissances musicales. »

Labyrinth reflète parfaitement le caractère libre et passionné de la pianiste. Pour autant, ce qui sauve l'album vient du fait qu'il s’articule autour du piano et seulement de lui. Sans son homogénéité sonore, on n’ose imaginer ce qu'il aurait été s’il avait fait appel à des orchestrations ! Il aurait été certainement plus avisé de recentrer le choix, d’autant que pour Khatia Buniatishvili le problème ne se pose nullement ni sur le plan technique ni sur l’interprétation, et encore moins sur un revers de sa popularité qui, au contraire, ne cesse de croître... à cause de ses interprétations, du moins nous l'espérons. Mais, plutôt que de jouer à « saute-mouton » en traversant différentes époques et esthétismes, une relecture d’un répertoire exclusif consacré à la musique de films ou à la chanson aurait été préférable… à moins bien sûr que cela ne soit qu’un galop d’essai en attendant un choix plus affirmé dans l’avenir.


KHATIA BUNIATISHVILI : ‘LA JAVANAISE' (Serge Gainsbourg)
Enregistré en juin 2020 à la 'Grande Salle Pierre Boulez' de la Philharmonie de Paris

Avec son 7e album, Khatia Buniatishvili s’offre ainsi un bain de nostalgie à travers les siècles : Les barricades mystérieuses de Couperin, un prélude de Chopin, la première Gymnopédie de Satie, la Vocalise de Rachmaninov ou encore une étude de Ligeti. La tonalité de l’album est doucement romantique et il n’y a rien à reprocher concernant les interprétations tant que l’on accepte les grandes libertés prises par la pianiste. Ceci n’est pas nouveau, mais il faut reconnaître que cette résistance face au respect de la partition plait de plus en plus, même chez les mélomanes. « Depuis ma jeunesse, mes parents m’ont inculqué la force d’être moi sans tricher. Si l’on veut être sincère avec les autres, il faut l’être d’abord avec soi-même. »

Tantôt pianiste exacerbé, tantôt rêveuse, Khatia sait depuis fort longtemps canaliser sa bouillante énergie. Celle qui prend plaisir à écouter Keith Jarrett et qui accompagna, comme ça pour le fun, le groupe Codplay proclame que « la musique classique n’est pas réservée à une caste d’initiés naphtalinés » Dont acte. Mais ne nous y trompons pas, Khatia Buniatishvili sait aussi se montrer raisonnable, tout comme elle sait adopter une attitude posée quand il s’agit d’interpréter les plus douces des pièces slaves.

Par Patrick Martial (Cadence Info - 12/2020)

LA LISTE DES TITRES

  • 01. Deborah's Theme (From "Once upon a Time in America") (Ennio Morricone)
  • 02. Gymnopédies N°1 (Erik Satie)
  • 03. Prélude N° 4 in E Minor, Op. 28 (Frédéric Chopin)
  • 04. Études, Book 1 (György Ligeti) - Arc-en-ciel
  • 05. Suite N° 2 in B Minor, BWV 1067 (Johann Sebastian Bach) - Badinerie (Arr. for four hands)
  • 06. Orchestral Suite N° 3 in D Major, BMV 1068 "Air On The G String" (Johann Sebastian Bach)
  • 07. Vocalise N° 14, Op. 34 (Serge Rachmaninov)
  • 08. La Javanaise (Serge Gainsbourg)
  • 09. Valsa da dor (Heitor Villa-Lobos)
  • 10. Pièces de clavecin, livre II (François Couperin) - Les Barricades mystérieuses
  • 11. Concerto in D minor, BWV 596 (Johann Sebastian Bach) - Sicilienne (Largo)
  • 12. 6 Klavierstücke, Op. 118 (Johannes Brahms) - No. 2 Intermezzo in A Major
  • 13. Pari intervallo (Arvo Pärt) - Pari intervallo for piano four hands
  • 14. I'm Going To Make A Cake (Philip Glass) - from "The Hours" Soundtrack
  • 15. Sonata in D minor, K. 32 (Domenico Scarlatti)
  • 16. Consolation in D Flat Major, S. 172 (Franz Liszt) - No. 3 Lento placido
  • 17. 4'43" (John Cage)
  • 18. Keyboard Concerto in D Minor, BWV 974 (Johann Sebastian Bach) – Adagio

Khatia Buniatishvili, piano
Album Labyrinth
Enregistré à la Philharmonie de Paris, dans ‘La Grande Salle Pierre Boulez’ en juin 2020.
(P) 2020 Sony Music Entertainment

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