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MUSIQUE DE FILMS

LA MAGIE DES EFFETS SONORES AU CINÉMA : BRUITEUR ET SOUND DESIGNER

Dans le 7e art, la bande son est composée de dialogues, de musiques, de bruits naturels, mais aussi de diverses sonorités qui entrent dans la catégorie des effets spéciaux. Ces derniers sont ajoutés par la suite lors du montage et sont entièrement créés par les sound designers, véritables maîtres d’œuvre en charge d’élaborer un univers sonore complexe, mais toujours indispensable.


DU CINÉMA MUET AU CINÉMA PARLANT

Durant la période des films muets, pour faire face au silence et pour couvrir le son du projecteur, le cinéma faisait appel à un pianiste ou un petit ensemble de musiciens. Toutefois, cette présence ne devait pas nuire au déroulement de l’action sur le grand écran, car c'est elle seule qui devait provoquer l’émotion ou le rire des spectateurs. La musique était certes un élément important, mais elle était surtout là pour compenser l’absence de dialogues.

Cette façon d’imaginer le cinéma était loin d’être parfaite. Quand les moyens le permettaient, outre la présence d’un orchestre, caché derrière l’écran, il y avait des acteurs qui disaient le texte de manière très théâtrale, avec beaucoup d'effets dans la voix. À côté d'eux se trouvait le bruiteur. Celui-ci faisait tout son possible pour donner encore plus de vie aux images en faisant preuve d'ingéniosité. Avec souvent des moyens dérisoires, il réalisait tout un ensemble d'effets sonores : claquement ou grincement de portes, galop des chevaux, tonnerre, moteurs d’avions et même explosion ! (les instruments à percussions jouaient fréquemment un grand rôle).

Plus tard, quand le cinéma est devenu sonore, et que le son et l’image ont été synchronisés, tous les défauts ignorés par les films muets sont montés à la surface, si bien que des acteurs jugés bons sont devenus mauvais à cause de leur voix. D’autre part, la qualité des micros étant à cette époque de piètre qualité, les comédiens ne devaient pas trop bouger et dire leur texte en restant bien dans l'axe de la capsule. Parfois, les dialogues étaient réenregistrés en post-synchronisation par les acteurs avant montage.

À cause de ces nouvelles difficultés, les tournages étaient réalisés dans des studios insonorisés de façon à être coupé du monde extérieur. Toutefois, malgré cet inconvénient majeur, les spectateurs réclamaient le cinéma sonore comme jamais, car entendre une voix, c’était la vie, c’était transmettre de l’émotion.


L’ARRIVÉE DU DESIGN SONORE

La voix, c’est bien et c’est essentiel, mais dès le début des années 30 les réalisateurs prennent consciences qu’il manque quelque chose et que le bruitage doit prendre une part plus importante. Une nouvelle profession voit alors le jour : le monteur son. Son rôle est d’ajouter, si nécessaire, des sons après coup : un simple bruit de vent ou un coup de tonnerre suffisent à planter le décor d'une tempête, alors qu’une réverbération appuyée permet à la fois de justifier la profondeur de champ de la caméra et d'apporter de l'ampleur à la voix des acteurs.

En 1933, le film King Kong, sur une musique de Max Steiner, sera le premier film à déployer les ressources du design sonore en créant des bruits qui n’existent pas dans la réalité, comme le cri du singe géant qui sera produit en utilisant le rugissement d’une panthère passé à l’envers et ralenti.

Comprenant l’impact des effets sonores sur l’image, les studios hollywoodiens vont se mettre à collectionner un nombre incalculable de bruits divers pour les ressortir à diverses occasions. Ces diverses bibliothèques sonores étaient très utiles pour travailler rapidement et efficacement à une époque où le tournage des films s’enchaînait non-stop. Néanmoins, ces effets sonores étaient encore utilisés avec parcimonie et il faudra attendre la fin des années 60 pour que le bruitage associé au développement technique des studios d’enregistrement prenne de l’ampleur.

Ainsi, durant plus d’une trentaine d’années, priorité sera donnée à la musique et à ses partitions symphoniques dont seul, peut-être, Alfred Hitchcock avait devancé le problème contre-productif de leur présence en disant : « Si vous voulez accroître la tension, ne mettez pas de musique du tout ! » Ce metteur en scène connaissait bien le pouvoir du son et sa portée dans un film. Les oiseaux, réalisé en 1963, en est un parfait exemple avec l'utilisation du trautonium, un ancêtre du synthétiseur.


L’ENVOL DES EFFETS SONORES

Arrivée tardivement dans le cinéma au milieu des années 70, la stéréophonie allait contribuer au développement des effets sonores, suivi quelques années plus tard par le Dolby system. Un métier va alors connaître un véritable décollage : le sound designer. Qu’ils s’appellent Walter Murch (Apocalypse Now) ou Ben Burtt (Star Wars), la plupart des sound designers sont surtout des techniciens son hors pair, des bricoleurs de génie, de véritables artistes ! Pour Walter Murch et Ben Burtt, tout démarre avec le cinéma américain des années 70, celui de Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, David Lynch et de Georges Lucas, souvent pour des films de science-fiction et d’action.

Alors qu’en 1976 A Star is Born (Une étoile est née) est l’un des tout premier film à utiliser la stéréophonie en salle, Star Wars (La guerre des étoiles) deviendra l’année suivante le détonateur d’un nouveau monde sonore avec d'étranges personnages, Chewbacca et R2-D2, dotés d’un langage imaginé et créé uniquement avec des sons naturels enregistrés et traités. Aucun synthétiseur ne sera utilisé. Une véritable prouesse !

Flickr.com - Le petit robot R2-D2 de 'Star Wars' avec Luke Skywalker... Mais il parle !

Seule la stéréophonie va soulever quelques contraintes, surtout quand l’œil de la caméra bouge lors d’un plan panoramique. Les composantes de la bande son (voix et bruitage) doivent alors suivre le mouvement de la caméra en collant parfaitement à l’image. Si la caméra pivote de gauche à droite, l'intensité sonore de la partie gauche doit diminuer et s’éloigner, tandis que celle de droite qui arrive dans le champ de la caméra doit devenir plus présente. Dit comme ça, cela paraît simple, mais dans les faits, il n'en est rien !

En 1979, une autre dimension survient dans le domaine de l'exploitation du son avec le film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola : la quadriphonie et une diffusion en salle en « son surround 5+1 ». Pour les spectateurs, c'est alors une nouvelle expérience surprenante en entendant le son les envelopper de tous les côtés. La difficulté rencontrée pour réaliser la bande son sera d’une prouesse technique confondante et demandera une année de travail, à tel point qu’un script sonore sera conçu avec plusieurs monteurs son ; chacun ayant en charge une tâche bien précise.

Le film de Coppola marque l’apogée de plus de cinquante années d’évolution du son au cinéma. Il précède alors un tout autre monde, celui du numérique et de Pixar créé en 1986, et dont les fondateurs ont pour nom : Ed Catmull, Steve Jobs et John Lasseter.

Pour le sound designer, le principal outil du numérique, c’est l’ordinateur. Progressivement, le montage son sur bande magnétique disparaît et laisse place à des programmes informatiques comme Pro Tools, bien plus pratique en dessinant à l’écran les formes d’ondes des samples à travailler et en corrigeant la balance de toutes les pistes en même temps (et non une par une comme avec l’analogique). Dès lors, les effets combinés de plusieurs sons pour n’en produire qu’un devient un jeu d’enfant. J'exagère peut-être un peu, toutefois, il est important de préciser que l’énorme avantage du numérique est d’imaginer un son et de parvenir à le créer, du moins en théorie (ce que l'analogique peut produire également, mais avec moins d'efficacité).

La toute dernière étape est le mixage. L'opération consiste à mélanger les voix, la musique et les effets sonores. La musique est là pour accroître l’émotion et les effets sonores pour apporter du mordant à une scène. Quant aux dialogues, à cause de leur importance, ils sont généralement mixés en avant. Le résultat final doit être harmonieux et doit représenter le film avec ses caractéristiques et sa personnalité. C’est capital !


L’IMPACT DU SON SUR L’IMAGE

Au cinéma, l’image montre et le son raconte. La présence du son dans un film modifie en profondeur le rapport à l’image en lui apportant une dimension supérieure. Il est tellement important que le cinéma lui associe des effets sonores souvent très « vitaminés ».

Imaginez un instant… un western de Sergio Léone sans entendre des balles siffler, les épées lasers de Star Wars sans aucun bruit, le coup de poing de Rocky sans entendre le « pan » de l’impact ou encore la voiture de James Bond qui se fracasse contre un mur avec un petit bruit de tôle froissée. Les exemples ne manquent pas, mais il est vrai que même si nous n’en avons pas toujours conscience, le son stimule et renforce nos émotions, c’est pourquoi il est devenu si indispensable au 7e art en face de spectateurs qu'il faut toujours surprendre.

© Pardeep Singh Photography - Une école de sound designer à Vancouver (Canada)

Le son au cinéma est devenu un art de l’illusion !

Toute scène tournée en extérieur doit inclure à la fois les bruits environnants et le dialogue des acteurs sans nuire à leur intelligibilité. Mais est-ce toujours possible sans passer en post-synchronisation ? Les bruits provoqués par la scène à l’écran sont-ils bien réels ou sont-ils le fruit de l’imagination du sound designer ?

Dans la réalité, avez-vous déjà entendu un ordinateur généré un son quand la fenêtre du navigateur s’ouvre ? Moi jamais, mais le sound designer oui ! Cet effet sonore est répandu depuis fort longtemps et continu de l’être. Et le vaisseau de l’espace qui produit un bruit sourd et profond quand il apparaît ou disparaît de l’image n’est-ce pas aussi étrange que le cri du tyrannosaure de Jurassic Park ou le cri de Tarzan dans la jungle. Les avez-vous entendus en vrai ? C’est bien sûr impossible, mais pour nous qui réclamons des sensations, c’est nécessaire, sinon ce ne serait pas du cinéma !

Le travail sur le son est discret. Les sound designers qui illustrent si bien les films passent sous le radar et sont de parfaits inconnus pour le grand public. Leur discrète présence dans un générique n’y changera rien. Ce sont avant tout des passionnés qui prennent un grand plaisir à provoquer des « mirages sonores ». Ils aiment habiller l’image d’un bruit à même de surprendre et de casser les codes, comme quand une séquence propose des images ralenties et que le bruit envahit tout l'écran de gauche à droite ou quand l’objectif de la caméra zoome à grande vitesse sur un personnage ou un objet et fait entendre un grand « splash ».

De nos jours, côté effets, le cinéma flirte avec l'overdose. Le numérique associé aux échantillons sonores (samples) permet d’imaginer bien des scénarios pour un sound designer. Cependant, le danger d’une avalanche d’effets sonores peut rapidement devenir un cliché prévisible au point d’ennuyer le spectateur en occupant une place trop importante. L’effet sonore doit être justifié et non gratuit, sinon, il perd de sa force.


DES BRUITAGES POUR COORDONNER L’ACTION

Un film, c’est donc une image et un son, et le but d’un bruitage est de faire passer une émotion supplémentaire. Steven Spielberg dit un jour : « J’ai toujours pensé que l’oreille guide l’œil au cœur de l’histoire. » Ces propos faisaient référence au film Il faut sauver le soldat Ryan, tourné en 1998. Dans un film de guerre, le bruitage participe activement à l’image et suggère l’histoire que doit voir le spectateur. C’est tout un « ensemble orchestral de bruit » que le sound designer doit créer et qui conditionne en partie ce que doit ressentir le public.

À l'écran, dans une scène, le bruit des balles en rafales crépitent durant le débarquement des G.I.'s. Le bruit en question est entendu sans montrer les adversaires qui tirent. Les plans sont serrés et suivent les soldats qui sortent de la barge de débarquement comme le montrerait un documentaire. De fait, le bruit place alors le spectateur au cœur de l’action, comme les soldats. L’imaginaire fait le reste. Soudain, un obus éclate et la bande son s’assourdit. Le bruit entendu par le spectateur simule celui qu'entend le soldat devenu à moitié sourd. L’effet sonore ne fait que retranscrire la réalité d’une explosion avec ses conséquences. Aucune musique n’est présente et tout repose uniquement sur les effets sonores, ce qui renforce la crédibilité des scènes du débarquement, toujours filmé en plan serré.

Tous les éléments de la bande son sont ainsi utiles à un film. L'histoire du cinéma ne manque pas d'exemples significatifs. Les voix, la musique, les effets sonores constituent un ensemble et ils sont là pour immerger le spectateur dans une sorte de féérie musicale. La bande son peut être comparée, en effet, à un orchestre avec ses différents pupitres, mais où l’abstrait doit impérativement rejoindre la réalité pour rester crédible.


QUELQUES SOUND DESIGNERS AMÉRICAINS DE PREMIÈRE IMPORTANCE

  • Erik Aadahl : Argo (2012)
  • Richard Beggs : Lost in Translation (2003)
  • Christopher Boyes : Titanic (1997)
  • Ben Burtt : Star Wars (1977), E.T. l’extraterrestre (1982)
  • Dane Davis : Matrix (1999)
  • Teresa Eckton : Il faut sauver le soldat Ryan (1998)
  • Pat Jackson : Jarhead, la fin de l'innocence (2005)
  • Kyrsten Mate : Captain Marvel (2019)
  • Walter Murch : Le parrain (1972), Conversation Secrète (1974), Apocalypse Now (1979)
  • Gary Rydstrom : Terminator 2 (1991),Jurassic Park (1993), Toy Story (1995)
  • Murray Spivack : King Kong (1933)
  • Alan Splet : Eraserhead (1977)

Par Elian Jougla (Cadence Info - 08/2021)

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