L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
MUSIQUE DE FILMS

L’ILLUSTRATION SONORE AU CINÉMA ET À LA TÉLÉVISION

D’abord artisanale avant de devenir industrielle, l’illustration musicale est devenue une sorte d’alternance aux œuvres spécialement écrites pour le cinéma et la télévision. Plus pratique, mais surtout plus économique, l’illustration musicale propose toute une gamme de musiques formatées, censée traduire l'ensemble des sentiments, du dramatique jusqu’au comique…


L’ILLUSTRATION SONORE EN QUESTION

L'illustration sonore consiste à utiliser des musiques déjà existantes en lieu et place de musiques originales. L’illustration sonore a trouvé sa place un peu partout. À la télévision, où elle est utilisée comme musique de fond dans les reportages. Au cinéma, quand sa présence est parfois un mal nécessaire pour achever le travail du compositeur. À la radio, où elle cohabite avec les bruitages dans les dramatiques. Dans le théâtre et dans la danse qui, malheureusement, font de moins en moins appel à des créations originales. Enfin sur Internet, qui a construit tout autour de son usage d’importants catalogues libres de droit pour « sonoriser » blogs, sites et portails.

Mettre en place des musiques préexistantes, c’est facile, ça fait gagner du temps et ça permet de faire des économies ; les producteurs qui ont été les premiers à comprendre ces avantages-là s’en frottent encore aujourd’hui les mains… tout comme les éditeurs de disques qui raflent au passage quelques royalties ! Tout ou presque peut servir. Même les bruitages et les sons naturels ont leur utilité ! Toutefois, le principal intérêt de l'illustration sonore est de transporter les spectateurs vers une musique identifiable : le refrain d’une chanson populaire, un air d’opéra, une musique de Mozart ou de Chopin, etc. Dès lors, la « musique originale » se transforme en « droits musicaux », et étant donné l’énormité du patrimoine discographique et de son renouvellement continu, la source d’approvisionnement n'est pas prête de s'épuiser !


L’ILLUSTRATION SONORE À LA TÉLÉVISION ET DANS LA PUB

La télévision a vite compris ce qu’elle pouvait espérer de son usage. Les orchestres maisons, qui faisaient les « jours heureux » des émissions de variétés, ont disparu avec l’éclatement de l’ORTF en 1974. À cette époque, le playback qui est entré par la grande porte devient une norme pour le chanteur en promotion. Dès lors, l’illustration sonore qui s'était déjà engouffrée dans la brèche trouve une raison supplémentaire d'exister. La télévision d’hier n’est plus ; et si les téléfilms échappent quelque peu à cet envahissement soudain, la publicité trouve dans son usage une entente cordiale, ne serait-ce que pour enrober ses produits les plus improbables de musiques méticuleusement édulcorées.

La musique préexistante doit produire son lot d’émotions et d’identification dès que résonnent les premières notes d’une mélodie célèbre. Le thème musical doit être lisible, en mesure d’être décodé par un éventail de consommateur le plus large possible : une mélodie virevoltante de Mozart pour la légèreté d’un shampooing aux œufs, une sonate de piano signée Franz Schubert pour illustrer la douceur d’un rasoir épilatoire, le rythme obsessionnel du Boléro de Maurice Ravel pour convaincre le consommateur de placer son capital dans une assurance vie, ou encore l’incontournable Badinerie de Jean-Sébastien Bach afin de prouver toute l’efficacité d’un papier aluminium !

Si la musique classique, par son « sérieux », son « apparat », sa puissance évocatrice, trouve dans ce domaine un retour favorable à son épanouissement, il arrive parfois qu'au détour d’une pub sur un savon, un parfum ou un plat cuisiné, l’illustration sonore surprenne par son usage à contre-emploi, dans un contexte où personne ne l’avait pressentie : Ray Charles chantant Georgia en conduisant une Peugeot dans un désert, Beethoven et sa sonate au Clair de Lune témoignant que toutes les poêles à frire n’attachent pas, ou encore l’Alléluia du Messie d'Haendel qui démontre que ce dernier est plus utile dans l’évier d’une cuisine que dans une église !

L’illustration sonore est devenue aujourd'hui une valeur marchande, un besoin nécessaire à la vitalité économique, mais elle provoque en contrepartie une surenchère quand il faut faire appel, par exemple, à des musiciens lors d'une émission de divertissement. La présence d’un grand orchestre coûtant souvent très cher entre les répétitions, l’aménagement des studios et le surplus de techniciens, le juste retour des choses est alors d'utiliser la bande play-back, bien plus pratique et économique que le moindre des orchestres.


L’ILLUSTRATION SONORE AU CINÉMA

Si la publicité télévisuelle utilise la musique classique en la détournant de ses propres valeurs, le cinéma, à l’inverse, cherche à démontrer que son usage sert plus efficacement le sujet du film en lui construisant une puissante identité sonore ou, à défaut, une profondeur qui du point de vue du metteur en scène offre un « cadrage » supérieur à l’utilisation d’une musique originale.

Dans le cinéma français, la musique classique trouve souvent sa place. Ainsi, dans le film Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier (1978), la présence de la musique de Mozart est justifiée en premier lieu par l’amour que lui porte le personnage interprété par Patrick Dewaere, notamment l'Adagio du concerto pour clarinette qui sert de fil conducteur à l'histoire. Dans Ce même corps qui m’attire de Jeanne Labrune (1981), la musique chantée de Henry Purcell (O Solitude) est utilisée pour servir une homosexualité féminine encore taboue. Citons aussi les accents nostalgiques de la musique de Fauré qui trouve grâce aux yeux du metteur en scène Bertrand Tavernier dans son film Un dimanche à la campagne (1984) ou encore celle d’Albinoni qui, dans son célèbre Adagio, met en musique le drame historique de la Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer (1928).

Albinoni, Vivaldi, Bach, Chopin jusqu’aux musiques contemporaines de Schonberg ou Varèse, l’illustration sonore a servi le cinéma plus qu’il n’en faut. Au regard d’une musique originale, l’utilisation de la musique classique a parfois le défaut d’amplifier inutilement le récit, surtout quand celui-ci s’inscrit dans un contexte historique. Sans décalage entre le sujet et sa musique, cette forme de récupération ne fait souvent qu’alourdir le dessein du film.

Le choix d’une musique d’illustration est toujours arbitraire, même si celle-ci a été mûrement réfléchie. Elle se superpose à l’image comme un corps étranger dans un ton plus ou moins décalé. Toutefois, au détour d’une scène, l’émotion peut naître quand la rencontre devient violente ou inattendue. La scène des vaisseaux imaginée par Stanley Kubrick dans son film 2001. L’Odyssée de l’espace (1968) est, à ce titre, une réussite. L'utilisation d'une valse lente comme le Beau Danube Bleu de Strauss apporte une majesté, une féerie et une « hauteur » incontestable au traitement de la mise en images.


DÉTOURNEMENT MUSICAL ET PLAGIAT

La pure intention ne conduit pas toujours à des réussites. L’illustration musicale produit également ses propres déviances. Une musique empruntée à un répertoire et employée dans un domaine pour lequel elle n’a pas été conçue ne peut agir avec autant de précision qu’une musique originale. À la télévision, l’illustration musicale produit des effets parfois incongrus, à l’appropriation éhontée ou à la facilité déconcertante. Ainsi le plagiat, le détournement d’œuvres classiques ne sont pas rares. Ces partitions n’ont d’original que le nom qu’on leur prête, et ce, malgré les critiques acerbes et farouches de quelques mélomanes qui ne voient en elles que de vulgaires récupérations outrecuidantes.

Suivant de près les « chemins de traverse » propres à la télévision, le cinéma a aussi produit son lot d’œuvres particulièrement discutables. Le classique, une fois de plus, a servi d’ouvrage à la construction de quelques bandes-son indigestes. Maurice Ravel, tout comme Bach ou Chopin se sont trouvés « saucissonnés » en tranche pour servir le 7e art. Néanmoins, certains choix s’avèrent fort heureusement plus heureux. Le metteur en scène Maurice Pialat, tout comme Bertrand Tavernier, a su jouer intelligemment de ce décalage propre à l’usage de la musique d’illustration pour créer un relief inattendu à ses films. Citons l’Intermezzo de la Première Symphonie de Henri Dutilleux qui baigne par son mystère la violente âpreté du film Sous le soleil de Satan (1987) et le Choral de la Seconde Symphonie d’Arthur Honegger pour un éblouissant Van Gogh (1991). Toutefois, ces quelques maîtrises - très isolées - ne peuvent faire oublier le sans-gêne et les déconvenues qui jalonnent l’histoire de l’illustration sonore.

De nos jours, les bancs de montage sophistiqués, les moyens techniques offerts par le numérique rendent encore plus commodes les opérations de « remplissage ». L’angoisse du « vide sonore » n’a plus lieu d’être. Tout est construit et approuvé par la production dans un temps record. Pour l’illustrateur sonore, le zapping a frappé ici comme ailleurs, et il est plus urgent pour lui d’avoir à « fouiller » que d’avoir à « chercher » dans les bacs la perle rare, la musique oubliée ou trop rapidement rejetée.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2016)

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