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MUSIQUE DE FILMS

HISTOIRE DE L'ILLUSTRATION MUSICALE

Bien que moins populaire que la musique de films, l'illustration musicale joue un rôle déterminant dans les domaines de la création à l'image. Ce terme générique, qui désigne entre autres les musiques d'habillages conçues pour les émissions télévisées et les jeux vidéos, est nommé "musique au mètre" par les professionnels ; une dénomination ingrate pour celui ou celle qui les produit et un domaine méconnu du grand public qui mérite d'être raconté, ici et maintenant…


DÉFINIR L'ILLUSTRATION MUSICALE : PAS SI FACILE QUE ÇA !

L'une des particularités de l'illustration musicale est d'exercer son rôle sans que l'auditeur y prête forcément attention. Toutefois, si vous jetez un coup d'œil au générique d'une émission télévisée, peut-être pourrez-vous lire en toute fin le nom de la personne responsable du fond sonore (ou de la mise en place des jingles). Dans les studios, elle travaille en collaboration avec l'équipe technique. Parfois, c'est un musicien doté d'une culture approfondie qui a la charge de trouver les œuvres qui conviendront au style de l'émission, du documentaire ou, dans le meilleur des cas, du spectacle. Cette personne-là, l'illustrateur sonore, est parfois citée également à la radio, quand l'animateur annonce, à l'issue de l'émission, le personnel ayant participé à la réalisation.

© Brett Sayles pexels.com

L'illustration musicale possède un long cheminement dont l'origine est apparue bien avant que naisse le cinéma et la télévision. Elle s'invitait dans les cérémonies (mariage, deuil...) et dans les pièces théâtrales, quand la musique servait de décor pour les oreilles, au même titre que le mobilier et les faux murs pour les yeux. Sa fonction était de susciter un surplus d'intérêt pour apprécier la représentation. Par ailleurs, si son usage se repend avec l'arrivée de l'enregistrement sonore, il serait injuste de ne pas citer les pianistes et orchestres qui accompagnèrent cet art si particulier que l'on nomme le cinéma muet. Certes, il convient de préciser que lors de la projection, la qualité de leur musique était secondaire, car l'essentiel était de masquer le bruit des gros projecteurs d'alors ; projecteurs qui se trouvaient, non pas dans une cabine, comme aujourd'hui, mais au milieu des spectateurs ou juste derrière eux.


LA SÉPARATION CONSOMMÉE

Si l'on cherche à analyser d'un peu plus près la fonction de l'illustration musicale, on constate que sa narration sonore est destinée à faire vivre des atmosphères proches de l'invisible tout en jouant avec les sentiments humains ; une particularité que l'on retrouve aussi dans l'histoire de la musique de films, mais à travers des épisodes musicaux ponctuels.

La frontière qui sépare la musique de films construite à l'intention d'un court ou d'un long-métrage, de celle nommée "illustration musicale", produite, pour une part non négligeable à base d'improvisation et de clichés, ne pouvait pas légitimement cohabiter ensemble. L'une et l'autre devaient prendre leur essor et évoluer en fonction de leur singularité et usage.

À l'aube des années 1930, avec l'arrivée du parlant, le cinéma franchissait un nouveau cap. Pourtant, un constat s'imposait : malgré les dialogues, le 7e art avait bien du mal à se passer de la musique (preuve s'il en est que sa présence a toujours été nécessaire pour "nourrir" les images). Provoquer chez le spectateur de chaudes larmes, le tétaniser durant des scènes violentes ou à l'inverse le détendre, la musique de films restait un sauveur ou un allié en toutes circonstances.

Avant le "parlant", des compositeurs, et non des moindres, comme Prokofiev ou Satie, commencèrent à échafauder des scénarios. Mais face à leur approche, ils devaient déchanter. La musique de films a ceci de particulier qu'elle doit se plier à l'autorité de l'image. Du moins, c'est cette vision de la relation entre le compositeur et le metteur en scène qui existait au commencement du parlant. Les expériences conduites par les "compositeurs classiques" devaient tourner court. Une spécialisation devenait nécessaire. Le cinéma Hollywoodien avait pris la question très au sérieux en engageant sous contrat des compositeurs formés à l'exercice. La France prit également position en jetant son dévolu sur des musiciens visiblement sensibles sur cette cohabitation si particulière avec l'image, citant fréquemment Maurice Jaubert comme le porte-étendard de la musique de films à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.

De son côté, l'illustration musicale n'avait pas tout dit. En France, elle devait trouver un autre essor en la personne de l'éditeur musical et compositeur Francis Salabert, un ardent partisan de cette activité encore mal comprise. Salabert était un homme d'affaires avisé qui avait cœur d'apporter à la musique dite "légère" sa place légitime. Il souhaitait la développer. Le cinéma parlant arrivait au bon moment et il eut l'idée de fonder la société Salafilm. Peu de temps après, une première collection de musiques spécialement destinées aux films et aux actualités voyait le jour. Ce genre de catalogue musical allait connaître un certain succès en se répandant après la guerre avec le développement progressif de la radio et de la télévision.

De l'autre côté de la Manche apparaîtra aussi les "Music Recorded Library" ; des catalogues pouvant "habiller" toutes sortes de reportages audiovisuels. Il fallait du simple et de l'efficace. Les disques proposaient des morceaux regroupés par thème. Chacun était accompagné d’un descriptif éclairant l'illustrateur sur leurs spécificités : instrumentation, vitesse d'exécution, densité sonore, etc. Quant aux États-Unis, à l'opposé de ses envolées symphoniques "Made in Hollywood", l'illustration musicale trouvera tout particulièrement son refuge dans le domaine des cartoons. À titre d'exemple, les dessins animés réalisés par Tex Avery, véritable vivier du bruitage qui permettra au musicien Spike Jones de démontrer son talent dès qu'il s'agissait de souligner les situations loufoques et drôlatiques de ses héros.


DES COMPOSITEURS ET DES ATMOSPHÈRES

Dans la France des années 1950/1960, la présence de ce chaînon artistique devait rallier à sa cause des musiciens de talent. Leur accomplissement dans ce genre était avant tout "alimentaire". Sans le savoir, ils allaient donner naissance à ce que l'on n'appelait pas encore le "easy listening". Parmi eux, figurent des noms à même de surprendre : André Popp (1924-2014), compositeur et arrangeur pour des interprètes de premier plan comme Juliette Gréco ou Marie Laforêt, et à qui l'on doit L'amour est bleue (Love is Blue), un succès éclatant de l'année 1967 ; Roger Roger (1911-1995), un spécialiste des musiques de documentaires. Il travailla pour la télévision (Jean Nohain) et se fera un nom en composant des chansons pour Piaf, Maurice Chevalier et Jean Sablon. Citons également Michel Legrand (1932-2019), le plus célèbre de tous et qui effectuera sa carrière dans le jazz et le cinéma, et Vladimir Cosma, qui illustra quelques fonds sonores pour des films érotiques avant de se métamorphoser en un spécialiste éminent dans le domaine des comédies.

© wikimedia.fr - Michel Legrand (à g.) et Vladimir Cosma (à dr), deux anciens compositeurs d'easy listening.

Le travail sur les textures sonores convient parfaitement à la mise en images de documentaires et de fictions. À ce titre, la musique contemporaine des années 1950/1960 sera parfaite. Mentionnons les spécialistes que sont Bernard Parmegiani (1927-2013) et Pierre Henry (1927-2017) dans le domaine électronique, et La Monte Young (1935-) pour ce qui concerne la musique minimaliste.

Difficile aussi de faire l'impasse des films d'anticipation et de science-fiction dans lesquels l'illustration musicale trouvera refuge. Parmi les plus célèbres, citons : Les Oiseaux (1963) d'Alfred Hitchcock, dont les cris terrifiants des menaçants volatiles proviendront d'un travail réalisé par Oskar Sala, et quelques années plus tôt, The Magnetic Monster (1953), un film de Curt Siomark avec une musique signée Blaine Sanford.


UNE PLACE À LA TÉLÉVISION, À LA RADIO ET DANS LES JEUX VIDÉOS

Dans les années 70 et 80, l'illustration musicale prend de l'ampleur et s'impose à la télévision dans les jeux, les émissions de divertissement et les séries. Elle expose au téléspectateur ses avalanches sonores et ses avatars jusqu'à devenir symptomatique. En réaction, l'illustration musicale va chercher à justifier son rôle à travers d'autres voies. Elle se déplace dans les ascenseurs, puis dans les grandes surfaces où elle se répand sans solliciter l'avis des clients de passage, avant de se loger dans les vidéos d'entreprise. Elle change d'étiquette et se nomme désormais, en toute logique, musique d'ambiance ou musique d'ascenseurs. De quoi apporter un éclairage sur le terme de "musique au mètre" employé par les professionnels !

© eicar.fr - EICAR est une école qui forme au métier de "sound designer".

Est-ce alors la fin de l'histoire ?

Pas réellement ! Des compositeurs anonymes continuent d'entretenir la flamme avec une certaine exigence, une observation qui fait souvent mouche quand on leur propose d'habiller à la télévision ou à la radio le générique d'un journal et une émission politique. À l'écoute, il est difficile de ranger leur musique dans un tiroir avec d'autres. C'est là leur véritable force identitaire. Elle est impersonnelle et c'est cette fonction qui est souvent recherchée par les producteurs.

Cependant, la frontière qui sépare le compositeur d'illustrateur sonore s'amenuise. Baptisée du nom ronflant de "Sound Designer", la profession ne cesse de se spécialiser et se responsabiliser face aux "missions d'importance" dont elle a désormais la charge. L’arrivée du sample est omniprésent et il soutient idéalement le travail. Ce moyen moderne assisté par l'ordinateur participe désormais à l’émergence d’un langage musical renouvelé. Le plus étonnant dans cette histoire provient de l'héritage des librairies sonores. La rareté de quelques disques stimule la convoitise, jusqu'à devenir culte. Qu'ils soient animateurs, DJs ou producteurs, ceux-ci se gardent bien de révéler la source de leur mystérieuse séquence sonore, comme si l'illustration musicale détenait toujours quelques brillantes idées à nous soumettre pour justifier sa raison d'être.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 11/2022)

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