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INSTRUMENT ET MUSICIEN


FACTEUR D’INSTRUMENTS DE MUSIQUE, LE TRAVAIL DU BEAU SON

Ces artisans donnent l'impression de travailler hors du temps. Leurs ateliers ont souvent des allures bien mystérieuses. Sans la dextérité de leurs mains, sans l’infinie précision des gestes qui assemblent et polissent, que seraient devenus aujourd’hui les instruments que nous prenons temps de plaisir à entendre ? Le facteur d’instruments semble appartenir à un métier des temps passés, pourtant, rien n’est plus faux ! Sans eux, sans les soins apportés, sans cet amour pour les belles choses, l’éclosion de la beauté sonore qui émane d’un violon, d’une flûte ou d’une guitare aurait certainement aujourd'hui disparu.


LES FACTEURS DES TEMPS PRÉSENTS

Chez les facteurs d’instruments l’artisanat prédomine, même si la plupart revendiquent également une pratique musicale en amateur ou en professionnel. Ils travaillent en solitaire ou en petites équipes. Parmi eux, il y a bien sûr Selmer, ses saxophones et son allure industrielle, mais la plupart sont des ‘petits’ qui tentent désespérément de s’en sortir face à une crise économique qui joue la ritournelle.

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Bois, découpage, montage, collage et ajustement précèdent les moments de polissage et de vernissage. Parfois cela tient de la plomberie ou de la mécanique. Toute une série d’opérations qui prend du temps, beaucoup de temps. Les différentes phases artisanales n’ont rien à voir avec la fabrication à la chaîne que l’on peut déplorer dans les usines de fabrication de pianos, de guitares ou de violons dans les pays de l'Est et en Asie. Il existe deux mondes dans la conception des instruments, deux mondes dans lesquels la qualité sonore n’a pas les mêmes lettres de noblesse.

Aujourd’hui, face à la concurrence industrielle qui a imposé l’uniformisation sonore des instruments, le facteur d’instruments est la rare personne capable de fabriquer une guitare ou un violon doté d’une personnalité sonore à toute épreuve… Là où il intervient occasionnellement, la coupable industrie brille par son absence. N’hésitant pas à se transformer en médecin pour instruments fragilisés quand une fracture de l’âme survient… Mais au fait, qu’elle est donc cette âme, si ce n’est une cheville de bois coincée par un outil appelé, non sans ironie, ‘pince à âme’ !


LE LUTHIER DES TEMPS ANCIENS

La première responsabilité qui lui incombe est de savoir choisir le bois qui va servir à la fabrication ou à la réparation des instruments. Par exemple, de l’aulne pour la caisse, de l’érable pour le manche, et du frêne pour la table. Ensuite, il faut laisser faire le temps. Le bois doit sécher des semaines, des mois, voire des années. L’une des qualités du facteur d’instrument n’est-elle pas d’avoir beaucoup de patience ?… Demandez aux clients ce qu’ils en pensent !

La religion de l’instrument ancien, qui porte aux nues le moindre bout de bois d’épicéa centenaire, oblige bien souvent le luthier à trouver d’autres moyens pour gagner sa pitance. Pourtant, le bonheur est là, quand l’un des instruments prend vie sous ses doigts et fige toute l’assistance aux sons d’une chaconne. Face à un tel miracle, le luthier transforme son atelier en salle de concerts. Il devient un missionnaire, et au moment voulu, il glisse habilement l’instrument entre des mains idoines…

L’instrument est-il un instrument d’étude ? Certainement pas ! Mais un instrument de concert… Peut-être bien ! De toute façon, il n’est pas question ici d’un instrument à la ‘Stradivarius’, mais d’être seulement à l’écoute de la clientèle et de la satisfaire. Si le désir du client est d’élaborer un instrument muet dans le seul but de ne pas nuire à son voisin la nuit, alors le luthier concevra - ou tentera de concevoir - la fabrication de l’instrument souhaitée.

Parfois des choix dictés par des goûts hors du temps surgissent… Quand la musique baroque suscite des désirs inavoués chez des adeptes de musiques anciennes, il faut alors tout réinventer, partir à l’assaut des musées ou consulter l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert pour comprendre ce qui n’est plus d’actualité. Le facteur prend les mesures, essaye de retrouver les essences et espère retrouver la sonorité d’antan. Mais rien n’est gagné d’avance et souvent tout reste à conquérir… Et que dire de la lyre ou des flûtes des temps anciens ! Pour le luthier, la règle est la suivante : « Je dois être à l’écoute de ma clientèle comme à celles de mes tuyaux de buis ou d’ébène. »

LE DESIGN DES GUITARES VIGIER

Quand on pense facteur d’instruments, trois instruments viennent à l’esprit : la guitare, le violon et la flûte. Pourtant, artisanalement, presque tous les instruments peuvent être fabriqués, améliorés ou tout simplement réparés. À ces activités, le facteur d’instrument peut se transformer en être créatif. Il ne se contente pas toujours de reproduire ce qui existe déjà.

Certains d’entre eux sont d’ailleurs à la pointe d’une certaine forme de modernité, tel Patrice Vigier, un grand spécialiste de la guitare électrique ; un artisan qui a apporté à cet instrument un nouvel essor créatif en fabriquant des modèles particulièrement novateurs dès les années 80. Ses guitares à mémoire fonctionnant grâce à l’électronique active ou équipées de manche en carbone ont séduit plus d’un artiste. Mais l’innovation a un prix et l’économie de marché ses dures lois ! C’est ainsi que les formes originales, au design si éloignés des illustres Fender Stratocaster et Les Paul, ont fini par devenir plus ‘sage’, plus conventionnelle. Pour Vigier, son école est celle d’un autodidacte, mais l’ancien musicien épris de guitare classique est avant tout un luthier dans la plus pure tradition. Son modernisme a toujours été épaulé par des soucis de qualité et de finition. Il a toujours eu ce mérite.

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DE L’ÉLECTRONIQUE DANS L’ACOUSTIQUE

Les dernières technologies, comme l’électronique, ont fait leur chemin dans un milieu pourtant hostile à toute forme de modernité. Généralement, les facteurs d'instruments restaient sourds aux 'mélanges des genres', voyant dans les procédés électroniques un contournement de leur savoir-faire, mais aussi une trahison des concepts sonores si chère à leur cœur. L’instrument purement acoustique se devait de vivre un jour ou l’autre en cohabitation avec des matériaux aux contours nettement moins naturels. Pour ceux qui étaient dans le sillage d'une concurrence commerciale acharnée, les facteurs devaient s'adapter et suivre le mouvement. C’était une question de ‘survie économique’. Pour d’autres, les désirs de mariage technologique étaient dictés par des musiciens à la recherche de nouveaux espaces sonores.

L’un des premiers instruments à vivre une révolution sonore dans l'histoire de la musique est bel et bien la guitare. L’instrument suivait de près les traces d'une amplification encore balbutiante. Sa popularité explosera dans les années 50 en devenant l’instrument icône d’une certaine musique rock. La contrebasse, qui subissait depuis longtemps la puissance sonore de la batterie, suivit le même chemin ou presque… Devant une amplification qui continuait à jouer la surenchère, les fabricants durent concevoir des instruments de substitution. C’est ainsi que la contrebasse fut remplacée par la guitare basse (ou basse électrique), plus pratique dans des orchestres usant d’une énorme puissance sonore.

Pour l’instrumentiste, et contrairement à la guitare électrique, le passage de la contrebasse à la guitare basse ne sera pas sans poser quelques problèmes d’adaptations de jeu et de méthode. Il faudra d’ailleurs attendre les années 70 et l’arrivée de nouvelles possibilités (amélioration du sustain, préamplification, cordes plus souples…) pour voir la guitare basse devenir un instrument de premier plan, capable de jouer le juge arbitre en passant alternativement d'un rôle d'accompagnateur à un autre plus soliste.

Côté clavier, dès les années 40, l’orgue électrique Hammond viendra en quelque sorte se substituer au piano. Sa sonorité, qui n’avait rien à voir avec l’orgue lithurgique, a rapidement trouvé sa place, son identité, dans les musiques jazz et rock. La plus célèbre invention sera celle d’Hammond et ses roues phoniques. Le piano électrique va venir beaucoup plus tard, grâce à un autre inventeur, M. Wurlitzer. Moins encombrant, moins lourd et d’une maintenance moins exigeante que le piano acoustique, le piano électrique va éclipser petit à petit l’orgue électrique dans de nombreux orchestres de jazz, de rock et de variété.

Si la plupart de ces instruments sont devenus électriques, c’est avant tout pour des raisons pratiques. Or, un saxophone, une trompette ou un violon, pourquoi sont-ils devenus électriques ? Pour être dans le ton, pour suivre le mouvement, pas si sûr !

L’un des premiers à avoir ‘violer’ la règle est bel et bien le trompettiste de jazz Miles Davis, avec d'un côté l'instrument posé sur ses lèvres et de l'autre un pied sur sa pédale wah wah. Que de critiques se sont alors déchaînées ! Le jazzman était devenu un musicien banni, rejeté. Son attitude scénique et la sonorité de sa trompette électrifiée étaient devenues une pure trahison dans un monde jazz pourtant en pleine reconversion. Mais aujourd’hui, avec le recul, on peut avancer sans risques que Miles Davis a eu raison d’avoir été aussi audacieux. En prenant une telle position, le trompettiste a ouvert en quelque sorte la boîte de Pandore et a donné envie à d’autres musiciens de faire la même chose, notamment dans un milieu auquel on ne pensait pas, celui des violonistes.

Le violon comme le violoncelle sont des instruments tellement enracinés dans la musique classique qu’il a longtemps existé une sorte de réticence à les voir un jour devenir électrique. Les raisons à cela sont plus idéologiques que technologiques. L’acceptation de cette nouvelle prise de possession sonore de la part de musiciens venus du monde classique a pris du temps. D’ailleurs, les premiers violons dits ‘électriques’ ne l’étaient que parce qu’ils étaient équipés d’un microcontact. C’étaient encore des instruments électro-acoustiques qui permettaient avant-tout de se faire entendre du public. Par la suite, l’ajout de pédales d’effets renforça l’illusion d’une sonorité plus audacieuse (voir l’article sur Jean-Luc Ponty). En réalité, il faudra attendre le milieu des années 70 pour voir et entendre les premiers violons électriques dignes de ce nom (fabriqués par Barcus Berry).


TROUVER SA PLACE

Face à toutes ces révolutions sonores, de l’atelier à l’entreprise semi-industrielle, le facteur d’instruments est finalement toujours préoccupé par des obligations d’ordre esthétique et sonore. C’est là sa mission première. Réaliser des instruments haut de gamme ou exceptionnel tout en résistant à la crise, en se bagarrant, en flairant les engouements du marché ou en dénichant, avec de la chance, un créneau sans concurrence. Durant les années 80, si un petit nombre a su résister à l’importation massive d’instruments venue d'Asie, aujourd’hui, les facteurs d’instruments se sont diversifiés, spécialisés, cherchant avant tout à fidéliser une clientèle, exigeante certes, mais si fidèle une fois leur cœur conquis !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 06/2013)


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