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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

CHANSONS D’AMOUR, TUBES, MODES ET RECETTES

La chanson d’amour ne rime pas nécessairement avec bonheur, parfois sa tonalité est amère, voire d'une noirceur féroce quand ce n'est pas tout simplement la sexualité qui la justifie. Cette page fait suite à LES CHANSONS D’AMOUR, DES MODES ET RECETTES ÉPROUVÉES


LES CHANSONS D’AMOUR DISCORDANT

Derrière cette description au sentiment pur, peut jaillir l’impur, la dispute et la colère, le désaccord entre deux cœurs blessés. L’amour cherche sa vérité dans cette opposition qui va de l’attirance consonante à la rupture dissonante. S’engage alors la réflexion, la recherche d’une lucidité qui vient ou qui ne vient pas. Un amour malheureux prend place : « Ne me quitte pas / Il faut oublier / Tout peut s'oublier / Qui s'enfuit déjà, / Oublier le temps / Des malentendus / Et le temps perdu / À savoir comment / Oublier ces heures / Qui tuaient parfois / A coups de pourquoi / Le cœur du bonheur / Ne me quitte pas. » (Ne me quitte pas - Jacques Brel).

Par le passé, la chanson d’amour larmoyante était beaucoup plus présente qu’aujourd’hui. Brel, Ferré, Ferrat, Piaf et d’autres ont chanté ce genre sans que personne conteste leur véracité : « Avec le temps... / Avec le temps, va, tout s'en va / On oublie le visage et l'on oublie la voix / Le cœur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller / Chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien. » (Avec le temps – Léo Ferré).

L’amour inspire les auteurs, même quand celui-ci bat de l’aile, qu’il crie à l’injustice ou qu’il prend fin sans qu’aucun nouvel espoir ne puisse le faire renaître : « J'ai beau me dire / Que c'est comme ça / Que sans vieillir / On n'oublie pas / Quoi que je fasse / Où que je sois / Rien ne t'efface / Je pense à toi / Et quoi que j'apprenne / Je ne sais pas / Pourquoi je saigne / Et pas toi. » (Pas ToiJean-Jacques Goldman).

Dans ces chansons d’amour contrarié, la trahison n'est pas loin, mais dans le vocabulaire le mot "infidélité" en est souvent absent. Les sentiments défient les mots et les enrobent de pudeur. Il existe certainement une beauté cachée dans ces textes aux rimes tristes, qu’une mise à plat nous ferait certainement fuir. Seulement, il y a la musique et l’interprétation qui sont là et qui apportent du relief et de la profondeur, et qui nous font oublier la tristesse des situations. « Tout ce qui n’est pas déchirant est superflu. » affirme le chanteur Cali. Joie et amour auraient-ils tant de mal à cohabiter pour que la chanson veuille l’ignorer ? Cette interrogation nous conduit directement à l’âme humaine et à ses contradictions ; d'ailleurs, une telle question pourrait aussi très bien se poser à propos du cinéma qui a toujours minoré, à tort, la comédie au profit du drame.

Fort heureusement, il existe quelques chansons qui, sans être qualifiés de "sentimentale" au sens premier, reprennent la solitude du cœur brisé pour vous redonner un peu d’espoir : « Tu te trompes, petite fille / Si tu me crois désespéré / Ma nature a horreur du vide / L'univers t'a remplacée / Si je veux, je peux m'en aller / A Hawaii, à Woodstock ou ailleurs / Et y retrouver des milliers / Qui chantent pour avoir moins peur. » (La solitude ça n’existe pasGilbert Bécaud). Assumer la solitude, c’est aussi se fabriquer une carapace qui trouve sa raison d'être dans le mot « peur » qu'utilise l’auteur Delanoë dans cette chanson.

À juste titre, on dit souvent que l’erreur première dans l’amour se trouve dans la projection, dans ce calcul improvisé qui nous conduit à échafauder des plans sur la comète, à imaginer un futur souvent idéalisé. Or, un jour, sans que l'on sache toujours le pourquoi, tout ne se passe pas comme prévu... Vient alors le moment des déceptions, des regrets amers, sans oublier cette "chienne" de vie qui continue d'avancer et qui se charge rondement de nous reconduire jusqu’au point de départ, voire de repartir d’un peu plus bas pour tout recommencer. Dans ces moments-là, c’est la fragilité qui égare nos sentiments, fragilité que la chanson d’amour utilise pour faire naître de magnifiques textes. Ainsi, si les vers de la chanson Ne me quitte pas sonnent si justes, c’est qu’ils prennent racines dans cet impératif absolu de fragilité.

La chanson d’amour malheureux est aussi un refuge : « Bulle de chagrin / Boule d'incertitude / Tant de matins / Que rien ne dissimule / Je veux mon hiver / M'endormir loin de tes chimères / Je sais bien que je mens / Je sais bien que j'ai froid dedans. » (Ainsi soit jeMylène Farmer) La voix haut perchée, presque comme un cri, Farmer lance sa douleur, à la rupture de ce que l’amour peut produire dans son versant négatif. Lors des concerts, la larme à l’œil, les briquets allumés, les fans reprennent alors les paroles en chœurs. Dans le registre « amour/séparation », nous avons la chanson Partir quand même de Françoise Hardy : « Partir quand même / Pendant qu'il dort / Pendant qu'il rêve / Et qu'il est temps encore / Partir quand même / Au moment fort / Briser les chaînes / Qui me lient à son sort / Vont faire de moi un poids mort / Un objet du décor. »


LA CHANSON D’AMOUR RECTO/VERSO

D’accord, les chansons d’amour doivent nous sensibiliser, mais tout de même ! Face à cette noirceur tenace, Les mots bleus de Christophe, nous redonne un peu d’espoir : « Je lui dirai les mots bleus / Les mots qu'on dit avec les yeux / Parler me semble ridicule / Je m'élance et puis je recule / Devant une phrase inutile / Qui briserait l'instant fragile / D'une rencontre / D'une rencontre / Je lui dirai les mots bleus / Ceux qui rendent les gens heureux / Je l'appellerai sans la nommer / Je suis peut-être démodé / Le vent d'hiver souffle en avril / J'aime le silence immobile / D'une rencontre / D'une rencontre. » Au fond, pourquoi faudrait-il toujours s’identifier au texte de la chanson pour apprécier une chanson d’amour ? Pourquoi devrait-elle absolument s’adresser à nous ?

Un peu de rêve ne nuit pas. Certes, Les mots bleus apportent leur magie et une respiration plus abstraite que d’autres chansons plus classiques comme Fais-Moi une place de Julien Clerc ou L’été indien de Joe Dassin. Toutefois, il ne faut pas chercher dans le succès d’une chanson d’amour un dosage de mots particulier ou une couleur sonore pâteuse. La sensibilité de chacun, le moment où on l’écoute fera que l’on se l’appropriera ou pas, même si celle-ci ne correspond pas directement à nos goûts musicaux. C’est à travers des moment-clés que tout prend forme. On peut être séduit par une écoute superficielle et globale de la chanson, comme par quelques mots « justes » qui sauront toucher notre affectif. Le déclic se trouve alors dans le réconfort, dans l’écoute qui vous renvoie à nos propres expériences, belles ou difficiles.

Posons-nous cette question : « À son écoute, la chanson d’amour doit-elle nous donner du courage - même si elle agit comme une pommade - ou doit-elle nous entretenir dans une sorte de latence, de découragement prévisible ? » Sans botter en touche, il serait raisonnable de penser que, là aussi, la chanson d’amour est capable de se calquer à la personnalité de chacun. Elle peut apporter du courage, peut-être parce qu’elle possédera de la sincérité, des mots simples, voire puérils ou les deux à la fois. On peut concevoir la chanson d’amour comme un compagnon de voyage qui peut nous aider à surmonter les épreuves de la vie, quitte à s’identifier quelque part dans sa musique ou dans son texte, pour entreprendre et à aller de l’avant.

Bien sûr, il est tout à fait possible de porter la chanson d’amour au ridicule, en la plaçant dans la dérision : « Quand on est très amoureux, quand on est très amoureux, / C’est plaisant de regarder d’autres couples s’engueuler / Quand on est moins amoureux, quand on est moins amoureux, / C’est énervant de croiser des couples très amoureux. » (Quand on est amoureux – Jeanne Cherhal) ou dans une pseudo sexualité allusive avec Lio et son "Banana Split" : « Ça me déplairait pas que tu m'embrasses na na na / Mais faut saisir ta chance avant qu'elle passe na na na / Si tu cherches un truc pour briser la glace banana banana banana / C'est le dessert / Que sert l'abominable homme des neiges / À l'abominable enfant teenage / Un amour de dessert. ». Comme par magie, cette chanson aux côtés équivoques nous conduit au chapitre suivant...


LES CHANSONS SEXUELLES

Jusqu’à présent, c’est l’amour des sentiments qui a été évoqué, celui qui s’entoure de mots pudiques ou traversés par du vécu. Non pas que le sexe n’ait pas sa place dans la chanson d’amour, mais il va de soi qu’il implique une autre littérature plus crue ou plus provocatrice. Tout comme la chanson triste, la chanson sexuelle possède ses références : : « Je t'aime oh, oui je t'aime ! / Moi non plus / Oh, mon amour... / Comme la vague irrésolu / Je vais je vais et je viens / Entre tes reins / Et je me retiens-je t'aime je t'aime / Oh, oui je t'aime ! / Moi non plus. » (Je t’aime moi non plus - Bardot/Gainsbourg).

Là où la puissance évocatrice de la plume de Gainsbourg donne encore le change en restant dans de l’érotisme (bien que par la suite l’auteur écrira quelques chansons aux idées plus pornographiques), d’autres textes plus imagés et tantinet vulgaires ont depuis germé : « Moi, ce que j'aime, chez Daniela, / C'est que l'on peut y mettre les doigts. / Elle est toujours d'accord / Pour me prêter son corps. / Ouh ouh ouuuhhh... / Moi, ce que j'aime, chez Daniela, / C'est que l'on peut s'y mettre à trois. / Elle est toujours d'accord / Pour battre des records. » (Daniela – Elmer Food Beat). La chanson sur la sexualité doit-elle alors rimer avec provocation ou pornographie ? Non, si amour (sentiment) et relation sexuelle sont façonnés en deux temps distincts, et non sur un même plan. L’amour influence le sexe et réciproquement, mais pas toujours de la bonne façon.

Il y enfin la chanson sexuelle qui aborde la sexualité solitaire, celle de la masturbation que décrit à mots couverts Alain Bashung dans sa chanson Madame rêve : « Madame rêve d'atomiseurs / Et de cylindres si longs / Qu'ils sont les seuls / Qui la remplissent de bonheur / Madame rêve d'artifices / De formes oblongues / Et de totems qui la punissent. »


UNE CHANSON D’AMOUR S’IL VOUS PLAIT !

Aujourd’hui, dans cette société qui confond trop facilement sexualité et sentiment, les chansons d’amour sont devenues âpres, dures, agressives. La place donnée à la beauté du geste et à la douceur tend à disparaître. La dureté, la violence n’appartient pas qu’au « mâle dominant », la femme use, elle aussi, de langages qui ne laissent place à aucun doute : « Ok, reste discrète, donne-moi le cric, la bombe lacrymogène, / Vite, donne-moi une clé, donne-moi sa plaque que je la raye sa BM, / Que je la crève sa BM, que je la saigne comme il te blesse sa BM, / Si tu savais comme j'ai la haine. » (Confessions nocturnes – Diam’s).

Cette contre-réaction colérique place tout de suite les rapports amoureux dans des conditions difficiles, voire sans aucune issue. Cependant, doit-on prendre à la lettre ce que chante les Rita Mitsouko : « Les histoires d'amour finissent mal en général » (Les histoire d’A.). Certes, les mœurs évoluent, et les chansons qui les illustrent également. C’est tout à fait normal. Toutefois, chanter le rapport amoureux à la façon d’un mode d’emploi ou à travers des mots blessants ou menaçants ne sert pas à grand-chose. Cela peut même tuer notre chère "chanson d'amour", et avouez que cela serait dommage !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 02/2015)

1 - Charlie Winston (Les chansons d'amour vues par les chanteurs - Star Story)

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