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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LE TUBE OU L’ART DE FABRIQUER UNE CHANSON À SUCCÈS

Le succès d’une chanson repose-t-il sur des « normes » précises ? Faut-il chercher les explications dans son mode de fabrication ? Beaucoup de personnes le pensent… Or, le « tube » d'hier aurait peut-être du mal à le devenir de nos jours. Serait-ce alors une question de mode, de sons ou de génération ?


LA « CHANSON TUBE », UNE QUESTION DE STRUCTURE ?

La question de la fabrication du « tube » revient souvent quand on interroge un compositeur sur son travail. Aurait-il des petits secrets ? Oui… Non ? À l’écoute, on remarque que de nombreuses chansons ont en commun des structures plus ou moins semblables. Une chanson peut démarrer de façon classique avec une introduction suivie du couplet ou carrément du refrain, ce qui permet, dans ce cas, de lancer la chanson par la partie habituellement la plus accrocheuse.

Or, quelle que soit la manière d’agencer la structure de la chanson : introduction, couplet, refrain, reprise..., il est facile d'imaginer que depuis bien longtemps les compositeurs ont passé en revue toutes les combinaisons possibles et inimaginables, et que si certains enchaînements sont plus conventionnels que d’autres, ils ne garantissent nullement qu'ils y parviennent mieux. Ce serait trop simple !

Un autre petit détail qui a également son importance concerne les mélodies, notamment celle du refrain qui doit être simple à mémoriser (ce qui ne signifie pas nécessairement qu’elle soit facile à chanter). Le plus important, c’est qu’elle soit suffisamment courte pour ne pas égarer l’attention de l’auditeur. Un refrain de quelques mesures n’excédant pas 20/30 secondes suffit généralement. Notons aussi l’utilisation du contre-chant instrumental placé derrière la voix qui, sous certaines conditions, apportera plus de relief à une mélodie qui en est démunie (une approche technique particulièrement utilisée dans le rap).

Face à ces quelques idées courues, les plus critiques d'entre nous feront peut-être la moue en écoutant le futur tube de l'été. De nombreuses personnes ayant « l’oreille musicale » se plaindront sûrement de la qualité sonore (mixage) ou de la voix de l’interprète, quand d’autres porteront leur reproche sur le texte qu’ils jugeront trop « convenu » ou inintelligible, parce que mal interprété. Tous ces griefs, on ne peut les blâmer car, le plus souvent, ils ont un certain fondement.

© pixabay.com - Justin Bieber, auteur de Baby en 2012


LES SENSATIONS DU COMPOSITEUR

« Elle doit rester simple et être accessible au plus grand nombre. », telle pourrait être la réponse suggérée par un compositeur s'il devait expliquer ce que doit être une chanson populaire. Mais que se passerait-il dans sa tête si l'une de ses idées devait attirer tout particulièrement son attention à chaque instant ?

Pour lui, pas de doute, cette idée puissante qui revient sans cesse, telle une obsession dont il ne peut se détacher, ne peut être qu’une excellente idée. Du moins, il en est persuadé. Une progression d’accords qui sonne bien à l’oreille, une mélodie qui s’accorde parfaitement à tout l'ensemble... Bref, un état de grâce qui lui a donné en quelques secondes ce qu'il a vainement attendu et espéré durant des heures ou des jours !

Il existe bien sûr d'autres raisons qui peut placer le compositeur dans la confiance : l'expérience, le recul, sa culture, sa lucidité. Cependant, peut-il se tromper ? Oui, et c’est d’ailleurs très souvent le cas, car la réussite d’une chanson qui conduit au tube échappe bien souvent à son créateur.

Cette attitude, qui consiste à rechercher par-dessus tout ce qui, demain, conduira au succès, a forcément un impact sur la construction des chansons. Chaque compositeur apporte alors quelques réponses plus ou moins techniques ou stratégiques sur ce qu’il juge important ou décisif :

  • Le choix du tempo
  • La façon d’agencer le rythme de la mélodie
  • Le rapport tension/résolution des notes dans la mélodie
  • Le choix des intervalles (évaluation globale de l'ambitus)
  • La répétition de certaines notes
  • La progression harmonique
  • L’utilisation d’un contre-chant
  • Utiliser une autre orchestration au passage du refrain
  • Etc.

Ce sont là des explications peu scientifiques, même si elles répondent parfois à certaines règles musicales de bon goût. Certains compositeurs attestent qu’elles ont un poids non négligeable dans le succès d’une chanson. Mais faut-il les croire ?


LE REFRAIN ET LES « LA LA LA »

L’autre clé indispensable sont les paroles. Elles ne doivent pas être en porte-à-faux avec la musique, mais former au contraire un ensemble cohérent qui doit convenir à son créateur. C’est d’ailleurs en fonction de cet assemblage qu’une chanson est ou n’est pas une réussite.

Brassens, pour ne citer que lui, a su construire quelques belles mélodies dont la réussite est due à l’accroche relationnelle entre le texte et la musique. Par exemple, Les copains d’abord et Les amoureux des bancs publics. Ces deux chansons, qui sont parmi les plus populaires du chanteur sétois, reflètent parfaitement son style, et ce, sans qu’il ait eu besoin de changer quoi que ce soit dans sa façon de travailler et d’équilibrer le poids de la musique vis-à-vis du texte. Mais ce genre de réussite est aujourd'hui fort rare, car il mène rarement à cette excroissance populaire qui fait virevolter les ventes et que l’on nomme le « tube ».

Le sujet abordé dans la chanson doit être nécessairement porteur. Il doit parler à tous et à toutes. L’amour par exemple ? Oui, puisque visiblement, le sujet ne lasse pas. Il est intergénérationnel. Savez-vous combien de chansons sentimentales comprennent les mots « Je t’aime » ou « Mon amour » ? Personnellement, je n’en ai pas la moindre idée, mais certainement un grand nombre !

Encore plus simple, la recette qui consiste à glisser dans le refrain de simples « La, la, la », « Oh, oh, oh » ou « Ouh, ouh, ouh » au bon moment. Bien évidemment, pour l’auteur, une telle facilité le place d’emblée à des années lumières de Georges Brassens ou de Léo Ferré. Mais est-ce là le plus important ?

The Rasmus avec leur titre In the shadow est un bon exemple d’exploitation des onomatopées (la chanson sert d'indicatif dans l'émission ‘On n’est pas couché’). Le reste de la chanson a-t-il autant d’importance ? Pas vraiment ! Un autre exemple frappant est Careless Whisper interprété par George Michael. Ici, c’est la mélodie du saxophone qui impose indéniablement son « cachet » dès l’introduction, en apportant à la chanson une puissance immédiate. Que serait alors devenu le titre si ce riff si identitaire avait été absent ?


THE RASMUS : IN THE SHADOWS

L’auteur comme le compositeur ne doivent pas trop se poser de questions d’éthique. La « hauteur créative » mise sur orbite attendra ! Quand on cherche à produire un tube, on gomme, on recommence, on cherche à avoir un style qui en impose et vous démarque des autres… mais pas trop, car il faut être à l’écoute de ce qui se produit. Cela signifie qu’il faut posséder une certaine culture, une oreille attentive et surtout, avoir du flair ! Sentir d’où vient le vent, savoir anticiper, c’est peut-être ça le plus important. C’est une qualité qui sonne comme une récompense et qui ne s’apprend pas seulement à travers une méthode de travail ou quelques trucs de métier. Une fois de plus, ce serait trop simple !

Qu’il soit compositeur ou écrivain, l’auteur doit toujours chercher une forme de rationalité, même si cette exigence peut se révéler difficile dès qu’elle devient l’unique objectif. Aussi fait-il faire preuve d’abnégation et de persévérance quand le succès ne sourit pas aux premières tentatives. Le plus terrible et le plus désarmant, c’est de s'apercevoir qu'une réussite commerciale ne tient parfois que dans quelques notes ou dans quelques mots qui riment.


GEORGE MICHAEL : CARELESS WHISPER

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LE TUBE USINÉ DE LA « DANCE MUSIC » ET DU « HIP-HOP »

Parce qu’il doit être branché, dans le coup, le tube est souvent associé à une tranche d’âge ou à un public particulier. Aux États-Unis comme en Europe, la fabrication des tubes actuels de « dance music » est généralement réalisée à toute vitesse d’après un « cahier des charges » exempt de tout reproche. L’impact peut être colossal, économiquement parlant. Réussir un tube dans la « dance music » ou dans le hip-hop, c’est pour les maisons de disques et les producteurs une manne financière fort appréciable, surtout quand des équipes d’auteurs et de musiciens apportent leur compétence et se « sacrifient » sur l’autel de l’argent roi.

Il est très rare d’éviter la question du tiroir-caisse quand tout ou presque ramène inévitablement à de la compromission et à d’obscures raisons mercantiles. Le compositeur, faute de réelle créativité ou de volonté, invente alors à coup de samples pompés à droite et à gauche un soi-disant nouveau langage. Derrière ce fallacieux prétexte, la musique n’a pourtant rien à gagner. En absence de génie, elle ne peut que se perdre et succomber.

Tout musicien affranchi sait qu’un tube dépend de sa composante, mais aussi de son immédiateté à plaire aux oreilles en un temps record. D’autre part, les producteurs sont rarement là pour servir, voire comprendre les intentions des musiciens, vu que la plupart d’entre eux ne jouent pas d’un instrument. Ils sont là uniquement pour appuyer sur des « boutons » afin d’imposer leur propre solution et direction.

Ce qui est surtout néfaste du point de vue artistique et éthique, c’est qu’une musique volontairement construite pour devenir un tube appauvrit le « grand public » et la vision qu'il peut avoir de la musique en général. De trop nombreuses chansons actuelles tournent autour des mêmes accords et des mêmes recettes, n'hésitant pas à dupliquer puis à détourner. C’est pour l’art, incontestablement, un appauvrissement de son langage.

Ce nivellement par le bas s’est généralisé depuis que la chanson est venue au devant de l’économie de marché. Ce qui compte dans le cas d’une chanson qualifiée de « tube », c’est avant tout son côté rentable. On ne se pose pas trop la question de son originalité. Seul l’emballage du produit fini compte vraiment : un gros son, des effets bien dosés, une bonne voix (qui sera éventuellement corrigée par un harmoniseur), un look, une pochette design, etc.

Au regard de cet abatage sans appel, qui doit-on condamner ? Les auteurs, les compositeurs, les producteurs ? La raison qui pousse à aller aussi loin vient en réalité du consommateur et de son désir « innocent » d’écouter du « facile », du « consommable ». Les chansons tubes participent activement à notre société en permettant aux personnes de décharger leur stress quotidien, telle la personne au volant qui fredonne sa chanson favorite en rentrant du boulot. Le tube qui entre dans la tête est une façon de débrancher, de se relaxer et se détendre sans trop se poser de questions. La vie serait-elle alors trop compliquée pour accéder à une musique plus « savante », plus « cérébrale » ?

© pixabay.com - Le succès d'un tube, il tient souvent à quelques secondes magiques. Le reste ne serait-il que de l'enrobage ?


À LA RECHERCHE DU LENDEMAIN

Mais où se trouve cette spiritualité et ces émotions qui nous portent à aimer la musique ? Dans les musiques électroniques, à coup de « boum boum » ? Pas nécessairement ! Non qu’il faille s’opposer à leur existence, mais à l’écoute, elles nous semblent interchangeables. Elles sont là pour nous procurer une « décharge d’adrénaline », comme le ferait un médicament destiné à faire tomber la « fièvre du samedi soir ».

Pour un grand nombre de personnes, les musiques électroniques ont une certaine utilité. Synonyme d’exutoire, elles libèrent le trop plein. Mais ce savant calcul à coups de ‘bits’ et de ‘compression’ n’augure pourtant rien de bon. Il démontre, au-delà de ses effets immédiats, une face cachée dangereuse aussi bien pour son créateur que pour l’individu qui s’y complaît. Pourquoi ? Parce que les musiques assistées par ordinateur nous conditionnent par leur étonnante facilité à suggérer et à imiter quoi que ce soit, même ce qui nous dépasse !

Les outils électroniques sont désormais intégrés dans toutes les strates de la fabrication musicale et offrent bien peu de parades au compositeur qui cherche à les éviter, si ce n’est d’entrer en résistance. Ce qui hier permettait de courir des risques et qui conduisait à trouver de nouvelles idées s’est lentement dissout à travers les automatismes de quelques outils sans âme.

Que manque-t-il vraiment au compositeur, si ce n’est revenir à une musique porteuse de sens qui communie avec ses racines et qui nous interpelle ensuite à travers d’authentiques valeurs ! Doit-on ignorer les créateurs qui se remettent en question toute leur vie, dans le seul but d’approfondir leur art, leurs connaissances, pour ensuite nous les transmettre ?

De nos jours, le compositeur n’est plus seul. Il vit ses idées en cohabitation. Grâce à l'ordinateur, il se débarrasse de l’encombrant d’un simple clic. Il partage, duplique et boucle à tout va. L’individu se ‘subordonne’ à une technique et devient son serviteur. Dès lors, l’acte créatif perd de son indépendance et de son authenticité. Face à ce constat, on songe alors à toutes ces pages musicales écrites par les grands compositeurs d'autrefois avec un simple crayon et un bout de papier…

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2020)

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