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FRANK ZAPPA, BIOGRAPHIE EN FORME DE PORTRAIT

Définir qui était le musicien Frank Zappa, c’est consulter dans un dictionnaire les définitions appartenant aux musiques blues, rock, jazz ou classique. Musicien touche-à-tout de génie, Zappa était aussi à l’aise pour composer des pièces classiques que des chansons satiriques, en passant par tous les intermédiaires inimaginables.


FRANK ZAPPA EN PRÉAMBULE

Écrire un article retraçant le parcours de cet artiste travailleur et exigeant qui habillait très souvent sa musique de traits « folkloriques » empruntés est loin d’être facile. Son œuvre musicale est comme une satire moqueuse et provocatrice, un puzzle ou chaque pièce sonore s’imbrique pour constituer le portrait d’un artiste insaisissable.

La caricature entretenue et voulue s’effaçait face à une imagination féconde, et si Zappa est encore cité en exemple par de nombreux musiciens, ce n’est pas un hasard. Certes, sa musique a puisé sa force dans divers chemins de traverse, mais il serait injuste de retenir uniquement leur image parodique, car derrière quelques chansons écrites à la va-vite d’autres œuvres plus ambitieuses ont également vu le jour.

Lors des concerts, Zappa se faisait un malin plaisir de surprendre le public qui venait l’écouter et le voir jouer. Parfois, dos au public, le guitariste se transformait en chef d’orchestre. Comptant la mesure, il provoquait le démarrage instantané de l’orchestre pour une musique sans interruption jusqu'à la fin du concert. Le point d’orgue pouvait retentir au bout d’une heure, voire plus. Aucune personne dans le public ne le savait étant donné que le répertoire était majoritairement constitué de nouveaux morceaux. Zappa n'arrêtait pas de composer tout en réorganisant les anciens titres à travers de nouveaux habillages sonores. L’ambiance générale pouvait être rock, blues, jazz-rock avec de temps en temps un brin de comédie musicale ou de musique de films. Le public venait assister à un spectacle décalé, mais sans fausses notes.

© Helge Øverås - Frank Zappa (Oslo 1977)


QUAND ZAPPA NE ZAPPAIT PAS ENCORE

Frank Vincent Zappa est né à Edgewood dans le Maryland le 21 décembre 1940. Sa famille vient s’établir en Californie lorsqu’il a dix ans. Au lycée, il commence à écrire ses premières compositions et pratique la batterie dans une fanfare, puis dans des groupes de rhythm and blues. Se lassant des baguettes, il entreprend d’étudier la guitare et l’harmonie, et à treize ans, il découvre Stravinsky, Webern, Penderecki, et surtout le compositeur de musique contemporaine Edgar Varèse à travers ses essais expérimentaux (Intégrale et Ionisation).

Pour Zappa, l’habillage de la musique contemporaine, ses sonorités, ses écritures vont le poursuivre, le hanter durant toute sa carrière, hésitant entre des musiques aux écritures audacieuses et d’autres plus commerciales. « Zappa est un travailleur acharné dont le principal défaut est de ne pouvoir faire la différence entre les moments de réelles inspirations et les blagues de potaches », déclarera un jour le présentateur de radio Charlie Gillett.

Frank Zappa est un personnage unique, un des musiciens les plus importants de la seconde moitié du 20e siècle. Il aura enregistré une soixantaine d’albums officiels en vingt-huit ans de carrière. Plus de deux albums par an ! Une sacrée cadence, mais des albums inégaux ou plus exactement avec des objectifs très différents. Chaque nouvel album du « maître » était capable de cajoler le précédant ou de le rejeter en prenant une direction musicale inattendue. C’est pourquoi, pour le commun des mortels, il a toujours été difficile d’adhérer à 100 % au répertoire du célèbre guitariste.

Si j’ai souligné son attachement à la musique contemporaine, Frank Zappa avait compris également la portée que pouvait avoir les autres musiques sur le public. Tout en découvrant Varèse ou Stravinsky, le rhythm and blues, le rock'n'roll ou le jazz feront partie de sa culture.

Dès le départ, Zappa ne cache pas ses intentions : si sa passion vise la musique contemporaine, le rock va servir de musique alibi ; la seule musique qui, à ses yeux, est capable de provoquer un certain émoi envers une jeunesse survoltée, prête à tout casser. La musique rock est populaire et Zappa mise sur elle pour être connu et reconnu.


LES MOTHERS OF INVENTION

Auteur, compositeur, interprète, chef d’orchestre, metteur en scène (de cinéma), « génie » de l’électronique sonore pour les uns, imposteur ou charlatan pour les autres, Frank Zappa met sur pied à Cucamonga, en 1964, les Mothers qui vont devenir les légendaires Mothers of Invention ; groupe dont il deviendra le meneur incontesté.

En 1966 sort le double album Freak Out !. Produit par Tom Wilson, ce disque est le premier de l’histoire de la Rock-Music à proposer des compositions occupant toute une face vinyle. Freak Out ! est une photographie outrageuse de l’Amérique des années 60 (The Return of The Son of Monster, Trouble Comin’ Everyday).

À la première formation des Mothers Of Invention - Zappa et Elliott Inger (guitares), Roy Estrada (basse), Jimmy Carl Black (batterie) et Ray Collins (chant) -, succèdent un nombre incalculable de disques, dont les incontournables et subversifs Absolutely Free (1967) et Uncle Meat (1969). Une production phénoménale et foisonnante, tant par sa facilité à aborder tous les styles musicaux (musique traditionnelle, comédie musicale, rock’n’roll…) que par le nombre de parutions (jusqu’à huit par an dont plusieurs coffrets).

Dès leur première apparition, les Mothers Of Invention sont parmi les orchestres les plus insolites et les plus marginaux de la Rock-Music. Le mot rock est d’ailleurs impropre à la définition musicale du groupe. Trop de genres, trop d’influences entrent dans leur jeu et leur production est trop singulière pour pouvoir être réellement classifiée. Cependant, pour beaucoup de personnes et certainement par facilité, l’étiquette rock, symbole d'une musique fourre-tout et adepte du mélange des genres, leur est appliquée.

Satirique à l’extrême, la musique de Frank Zappa laisse le champ libre à ses musiciens tout en les contraignant dans un cadre bien défini. De nombreux grands noms feront partie des « Mamans ». Citons avant 1970 : Henry Vestine (guitare), Billy Mundi (batterie), Jim Fielder (basse), George Lowell (multi-instrumentiste) et Jimmy Carl Black (batterie, trompette et guitare). Souvent qualifié de « Happening », le spectacle des Mothers formait un tout, virtuellement défini à l’avance et longuement répété (jusqu’à quatorze heures par jour dans le décorum le plus « surréaliste-dadaïste »).

La plupart des titres du groupe subissent l’ostracisme des stations de radio américaines, mais les innombrables concerts qu’ils produisent et la réputation de groupe obscène et délirant qu'ils entretiennent les font connaître dans le monde entier. Outre ses compositions démentes, Frank Zappa se taille rapidement une réputation de grand spécialiste de la guitare wah-wah ; c’est particulièrement évident dans Chunga’s Revenge, enregistré avec les musiciens Aynsley Dunbar, Mark Volman, Jim Pons et Howard Kaylan (des Turtles). Il est à noter que Zappa compta parmi ses « élèves » le fidèle saxophoniste Ian Underwood, le pianiste Don Preston et les violonistes Jean-Luc Ponty (avec lequel il enregistra Hot Rats et King Kong) et Sugar Cane Harris.


MOTHERS OF INVENTION : COSMIK DEBRIS

UNE MUSIQUE TAILLÉE POUR LE LIVE

Surréaliste, l’esprit universel de sa musique chasse la bêtise humaine dans toutes ses manifestations individuelles et collectives : sectes, sexes, pouvoir, absurdité… Le guitariste des Who, Pete Townsend, dira à propos de sa musique : « C’est la musique des années 60 faite par des gens qui ne savent pas la jouer pour des gens qui ne la comprennent pas ! ».

De son Grand Wazoo de 1972, et la savoureuse suite pastiche du rock business, Joe’s Garaga Acts I et II (qui devait faire l’objet d’un film, 'Joe’s Garage' étant le nom de son studio privé), au live réjouissant Sheik Yerbouti (sa plus grosse vente avec des parodies de Peter Frampton, Bob Dylan, Ramones), et jusqu'à sa suite de coffrets Shut Up’N Play Yer Guitar, tous ces disques nous rappellent qu’au début des années 80 Zappa était un guitariste novateur, un « guitar hero » comme on dit.

Armé de sa Fender Deluxe ou de sa Gibson SG, le brillant improvisateur au style bien définissable aimait s'adonner à de longs solos lors de ses concerts. C'est dans ces moments-là qu'il donnait souvent le meilleur de lui-même. Contrairement à d'autres artistes de la scène rock, ses albums 'Live' ont toujours eu ce petit plus qui fait la différence (Zappa In New York - 1977).

Pour Zappa, les relations musique-public sont passionnelles. Le public devient un tout changeant, bon, mauvais, mais pas seulement ; provocateur, provoqué aussi, réactionnaire ou participant à l’orgie sonore, surtout. L’histoire a retenu que Zappa, jouant au Granny Awards, a fait entendre pendant vingt minutes des grognements de cochons, parce qu’il trouvait le public grossier et bruyant.

Frank Zappa a toujours su produire une musique personnelle et variée, directement en rapport avec les mouvements physiques des musiciens. Le film 200 motels (avec Ringo Starr dans le rôle de Zappa et Keith Moon des Who dans celui de la nonne en chaleur), complètement délirant et hermétique, en est un exemple frappant.


ZAPPA ET LA PÉRIODE JAZZ-ROCK

En 1973, après l’expiration du contrat de son premier et propre label (‘Bizarre’), Zappa en crée un second qu’il baptise ‘DiscReet’. Zappa se concentre alors dans le travail de production. Le label 'Discret' signera entre autres des artistes comme Tim Buckley et Ted Nugent. Au printemps de l’année suivante, il part pour une tournée à la tête des Mothers Of Invention nouvelle formule : George Duke (claviers et chant), Ruth Underwood (percussion), Tom Fowler (basse), Jeff Simmons (guitare et chant), Don Preston (synthétiseur) Napoleon Walt et Bruce Fowler (cuivres), Ralph Humphrey et Chester Thompson (batteries). La nouvelle orientation musicale du groupe lorgne vers un jazz-rock sulfureux et très technique, un jazz-rock qui devient entre les mains de Zappa absolument unique avec ses fresques sonores à rebondissement et laissant toujours une place importante à l’improvisation.

À cette époque, Frank Zappa s’intéresse à un nouveau support, la vidéo. De nombreux concerts sont filmés, mais malheureusement pour les fans la plupart ne seront jamais édités. Malgré le pessimisme qu’il affiche quant à son avenir musical, le guitariste ne cesse d’évoluer, multipliant les expériences et les rencontres. La collaboration avec son ami d'enfance 'Captain Beefheart' Don Van Vliet qu'il retrouve en 1975, fera l’objet d’un disque en public étonnant, Bongo Fury. Fin 1975, il reforme encore une fois complètement les M.O.I, ne conservant que Napoleon, mais ce ne sera qu'un 'baroud d'honneur'. Zappa dissout les Mothers of Invention et ne publiera désormais plus que sous son propre nom.


FRANK ZAPPA : APOSTROPHE (1974)

FIN DE CARRIÈRE

En 1977, Zappa se trouve en désaccord avec Warner, sa maison de disques. Celle-ci lui refuse tout net la distribution d’un coffret comprenant quatre disques intitulés Läther. Les quatre vinyles sortiront individuellement sous les titres : Zappa in New York, Studio Tan, Sleep Dirt et Orchestral Favorites.

Deux ans plus tard, à travers une pochette montrant la tête de Zappa surmontée d’un turban arabe, l'album Sheik Yerbouti devient tout de suite explicite, même si son contenu ne flirte aucunement avec de la musique arabe. Le Zappa provocateur est toujours là ! L'album est simplement un témoignage de sa récente tournée européenne. Avec ou sans les Mothers Of Invention, la musique de Zappa est toujours aussi inventive et acrobatique, drôle pour les uns ou agaçante pour les autres. Les musiciens qui l’entourent : Adrian Belew (guitare), Tommy Mars (claviers) et Terry Bozzio (batterie) puis ensuite Vinnie Colaiuta (batterie), Arthur Barrow (basse) Warren Cucurullo (guitare) pour l'album Joe’s Garage (1979 - opéra rock en trois actes), sauront parfaitement interpréter l’esprit musical et délirant de Zappa.

Dans les années 80 et 90, l’horizon musical s'élargit encore plus : funk, reggae, disco, etc. Tout est passé à la moulinette, sans pudeur et toujours sans fausses notes. Les albums qui se succèdent deviennent des réussites commerciales, notamment Baby Snakes (1983), Frank Zappa Meets The Mothers Of Invention (1985) et Broadway The Hard Way (1989).

À partir des années 90, Zappa s’enferme plus volontiers dans son studio pour travailler à des projets dont la plupart ne verront le jour qu’après sa disparition (ainsi que ses nombreuses bandes enregistrées lors de ses concerts). Devenant un adepte du synclavier, instrument de pointe pour l’époque, il composera sur celui-ci des musiques asynchrones basées sur une technique de son invention, la "xenochronie". You Can't Do That On Stage Anymore (1992) sera la toute dernière production de ce géant de la musique contemporaine.


ZAPPA L’AMBITIEUX

Un aspect moins connu de son œuvre monumentale sont ses travaux sur commande. Ce maître de la contre-culture, chef d’orchestre tyrannique, a écrit un grand nombre de musiques contemporaines très difficiles à interpréter. Les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain de Pierre Boulez doivent encore aujourd’hui s’en souvenir. Zappa face à Boulez et au ministre de la Culture Jack Lang ne trouva pas l’interprétation d'une de ses œuvres à son goût et le fit savoir à tout le monde (un camouflet dont ce serait bien passer le ministre d’alors). Toutefois, une version disque verra le jour sous le titre Boulez Conducts Zappa : The Perfect Stranger (1984).

Retenons aussi dans l’imposante discographie, un arrangement superbe d’Uncle Meat pour un ensemble néerlandais de vingt instruments à cordes, la musique d’un documentaire de la société Cousteau, en 1990, sur la catastrophe écologique de L’Exon Valdez en Alaska (Outrage At Valdez… une musique dont Cousteau utilisera moins d’une minute !), et sa dernière grande œuvre, The Yellow Shark, paru peu avant sa mort en 1993, avec son Ensemble Modern de 36 musiciens, inaugurée au festival de musique de Francfort l’année précédente, et qu’il a dirigé… bien entendu !


Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2014)

À CONSULTER

THE MOTHERS OF INVENTION, LE GROUPE DE FRANK ZAPPA

Apparu en 1964, le groupe The Mothers of Invention dirigé par Frank Zappa laissera entendre une musique parfois complexe alliée à une réputation scénique sulfureuse et délirante.

ZAPPA, SES 24 ALBUMS UNIVERSAL ET SES LIVES INÉDITS

Frank Zappa, ce héros légendaire de l'histoire de la musique rock reste parmi nous grâce à la parution de 24 albums distribués par Universal. Des lives enregistrés dans les années 70/80 en compagnie de quelques pointures, il va sans dire !


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