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JAZZ ET INFLUENCES

LEE KONITZ ET LE JAZZ COOL, PORTRAIT DU LÉGENDAIRE SAXOPHONISTE

Le souffle chaud et tranchant d’un saxophone s’est éteint. Le légendaire Lee Konitz n’aura pas résisté au covid-19. Il nous a quittés le 15 avril 2020 à l’âge de 92 ans. Ce musicien, initiateur du jazz cool avec Gerry Mulligan et Stan Getz, aura joué avec de nombreuses légendes parmi lesquelles on compte le pianiste Lennie Tristano et le trompettiste Miles Davis.


À LA NAISSANCE DU COOL JAZZ

À partir de 1947, les musiciens blancs, qui jusqu'alors s'étaient presque exclusivement révélés dans le cadre de la musique de danse, vont faire de plus en plus parler d'eux et se révéler des créateurs presque aussi valables que les meilleurs parmi les solistes noirs ; cela grâce à l'éclosion d'un nouveau style plus adapté à leur sensibilité musicale, le cool.

Alors que le be-bop reste une continuation de la musique hot, le cool trouve vraisemblablement son origine dans le jazz d’avant-guerre quand un certain Lester Young produisait au saxophone un jeu détaché et lyrique. Le cool jazz a conservé cette attitude en la chargeant d’une chaleureuse expression à la fois mouvante et rebondissante, sur des rythmiques relâchées et adoucies. Parmi ces dignitaires figurent en bonne place trois musiciens : Stan Getz, Gerry Mulligan et Lee Konitz, trois musiciens qui, tout en étant des initiateurs du genre, auront des approches de jeu bien différentes.

Tandis que l’ardent défenseur des jam-sessions, Gerry Mulligan, devient le complice du trompettiste Chet Baker et démontre ses qualités d’arrangeur, Stan Getz révéle au public sa souplesse féline et sa tendresse profonde. Après avoir été dans les années 50 le premier des « brothers » de l’orchestre de Woody Herman, Getz deviendra lors de la décennie suivante l’hôte d’une bossa nova vénérée et en pleine expansion. Quant à Lee Konitz, dès sa première apparition en disque, le dernier des "trois mousquetaires" devait apporter lui aussi, au langage du jazz, une nouvelle sonorité.


À LA GLOIRE DES JAZZMEN BLANCS

Au temps de la plus grande gloire de Charlie Parker, Lee Konitz a l'audace et le goût de créer sur le sax alto un son nouveau, lisse et blanc et pourtant très tranchant. Possesseur d'une technique instrumentale hors pair et d'un réel tempérament, Lee Konitz a réalisé quelques œuvres passionnantes, au point de faire croire par moments chez les jazzmen Blancs qu'ils tenaient enfin le nouveau génie musical du jazz ; un musicien capable de rivaliser avec le roi du bop, le bien nommé Charlie Parker.


LEE KONITZ ET L'ORCHESTRE DE STAN KENTON : OF ALL THINGS (1953)

Mais si Parker a eu une grande influence sur Konitz, c'est plus encore un pianiste aveugle qui lui a permis de se révéler : Lennie Tristano. Le saxophoniste enregistrera trois disques avec lui. À la fois chercheur et théoricien, Tristano avait été mis en contact avec les grandes œuvres de la musique classique moderne et particulièrement celle de l'école viennoise, ce qui lui a ouvert la porte de l'atonalité.

Le pianiste a inauguré un nouveau langage musical dans le jazz, intellectuel certes, mais qui, sous une apparente froideur, ne manque pas de vivacité. Les principaux reproches que l'on adressera à ses œuvres tiendront au fait qu'elles ne sont pas jouées avec un swing réellement efficace et que l'humour en est presque absent. Nombreux sont ceux qui ont jugé peut-être trop rapidement la musique de Lee Konitz grâce à ses enregistrements avec Tristano.

À la suite de Lee Konitz, quelques saxophonistes blancs, presque tous issus de la West Coast (car ils ont vécu sur la côte du Pacifique aux environs de Los Angeles), ont réalisé, eux aussi, des œuvres sensibles et intelligentes, même si leurs portées esthétiques sont souvent entachées d'un certain académisme. Citons Bud Shank, un jazzman aussi à l’aise au saxophoniste qu’à la flûte, Lennie Niehaus, un arrangeur habile qui a travaillé pour les BO de Clint Eastwood ; sans compter Art Pepper, musicien sinueux et inquiet et surtout Paul Desmond, longtemps soliste attitré du Dave Brubeck Quartet et l’un des rares saxophonistes de jazz chez les Blancs qui possédait une sonorité fluide, moelleuse, en parfait accord avec son phrasé et son inventivité.


L’AMOUR DE l’IMPROVISATION

Fidèle à son alto, Lee Konitz a participé à de nombreux enregistrements historiques dont on ne peut ignorer l’existence tant ceux-ci ont été à la charnière de l’éclatement du jazz qui allait se produire moins de 10 ans plus tard : le mythique Birth of the Cool de Miles Davis, enregistré en 1949, mais sorti huit ans plus tard et Miles Ahead en 1957.

Reconnaissable par sa sonorité aérienne, le cool jazz ne sera qu’une étape pour Konitz. Musicien au tempérament généreux, le saxophoniste adorait se frotter aux expériences nouvelles, notamment la formule du duo qu’il aimait tout particulièrement et pour laquelle il partagea l’affiche avec des pianistes aux styles contrastés : Chick Corea, quand il oubliait ses claviers électroniques, l’indomptable Martial Solal, un ami musicien avec qui il partagera la scène à plusieurs reprises, et le regretté Michel Petrucciani pour son album Toot Sweet (1982).

© Hans Peter Schaefer – Lee Konitz (Altes Pfandhaus Köln, 12/2007)

Au cours d'une longue carrière qui aura duré près de 75 ans et pour laquelle il aura abordé différents styles, du bop jusqu’au jazz expérimental, Lee Konitz ne cherchera pas vraiment à imposer son statut de compositeur, mais plutôt celui d’un improvisateur amoureux des grands standards qu’il aimait transformer à sa guise en s'appuyant sur des mains solides.

Tout comme Miles, mais sans trahir ses origines musicales, dans les dernières années de sa vie, Lee Konitz aimait bien croiser le fer avec de jeunes musiciens, tels les pianistes Brad Mehldau (Live at Birdland en 2009) et Dan Tepfer, de 55 ans son cadet, et avec lequel il avait publié deux albums, une fois de plus en duo : Duos with Lee (2009) et Decade (2018).


LEE KONITZ ET MICHEL PETRUCCIANI : ROUND ABOUT MIDNIGHT (1982)

« L'imprévisible en philosophie musicale, l'humour en philosophie de vie, la fraîcheur en discipline permanente. Sa musique s'écoutait avec le sourire aux oreilles. » disait suite à sa disparition Alex Dutilh dans son émission 'Open Jazz' sur France Musique. Ses dernières réalisations, qui demeurent toujours d'un grand intérêt, nous le montraient toujours sur la bonne voie, révélant à nos oreilles paresseuses cet éternel académisme moderne qu’il a toujours su exploiter avec intelligence.

La liste des musiciens avec lesquels il a partagé des moments heureux sont nombreux. Voici les principaux : Chet Baker, Gary Bartz, Paul Bley, Chick Corea, Miles Davis, Bill Evans, Gil Evans, Don Friedman, Hal Galper, Stan Getz, Stan Kenton, Walter Lang, Jimmy Giuffre, Charles Mingus, Red Mitchell, Gerry Mulligan, Michel Petrucciani, Max Roach, Zoot Sims, Martial Solal, Dan Tepfer, Lenny Tristano, Kenny Wemer et Kenny Wheeler.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2020)


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