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INSTRUMENT ET MUSICIEN

LE SAXOPHONE, SA FAMILLE ET SES MUSIQUES, DU SLOW AU FREE JAZZ

Mettons-nous à rêver et imaginons un court instant l'histoire du saxophone et ses péripéties racontées par l'instrument en personne… Cette page est la suite de HISTOIRE DU SAXOPHONE - M. SAXO RACONTE SON HISTOIRE


LE SAXO AU CŒUR DE TOUTES LES MUSIQUES

M. SAXO : au début des années 60, tout allait pour le mieux quand, porté par des musiciens en errance, à la recherche d’un vague karma spirituel, un courant musical révolutionnaire fit son apparition : le ‘free jazz’. Véritable bombe musicale qui a transformé ma sonorité ‘pépère’, façon Lester Young, en un cri étranglé, en un déferlement de notes incontrôlé. Entre les mains de ces musiciens, je ne suis à présent plus rien, si ce n’est qu’un déchirement sonore !

Mais qu’est-ce que c’est que cette musique-là ! Je ne suis tout de même pas né, après des années et des années de gloire, pour ne devenir qu’un simple instrument de foire !… Mon père, M. Adolphe Sax doit se retourner dans sa tombe. Lui qui, en perfectionniste insatisfait, m’avait créé parce qu’il trouvait le son de la clarinette trop inexpressif et celui de la trompette trop agressif… mais que dirait-il en écoutant une telle musique ?… Si encore ce calvaire avait été de courte durée, mais non, cette folie musicale s’est prolongée pendant une décennie, jusqu’au début des années 70 !

© pixabay.com

Aussi, vous n’imaginez pas à quel point cela ce fut un plaisir pour moi d’être à l’honneur dans quelques slows à la mode. Outre que la musique était plus reposante, je redevenais surtout un instrument séducteur, et là, il n’y avait pas mieux que moi pour tenir ce rôle !

J’ai participé à de nombreux slows, peut-être même trop ! Durant cette période, cette musique marchait si bien que j’avais toujours la crainte de lasser mes auditeurs. Je revenais sans cesse de façon mécanique pour lancer un petit chorus placé souvent au même endroit. Je ne comprenais pas toujours la nécessité de ma présence et pourquoi on ne faisait pas plus souvent appel à M. Trompette ou à Madame la Flûte… Eux aussi possèdent de nombreuses qualités sonores !


GATO BARBIERI : EUROPA (1976)

Mais que voulez-vous que je vous dise, il paraît que c’est une question d’image, de look. Les gens me réclament, et comme je suis toujours prêt à rendre service ou à faire le beau, alors je dis d’accord !… Même quand je ne suis pas indispensable, les musiciens trouvent toujours un moyen pour m’utiliser, ne serait-ce que pour faire deux ou trois notes.

Si ma sensualité est le bras armé du slow et des ballades en tous genres, j’ai la capacité de me transformer en un animal rugissant, à l’appétit féroce, comme quand je lance un chorus dans un morceau rock’n’roll. Même si je dois confesser, avec le recul et une certaine amertume, le temps où mes geôliers du “free jazz’ ont déchiré quelque part mon âme, on ne peut me reprocher ma faculté d’adaptation et ma souplesse d’esprit qui est très grande, très très grande !

Est-ce que vous vous souvenez de mon solo enragé dans ‘Money’ des Pink Floyd ou bien les quelques notes d’introduction de ‘Baker Street’ de Gerry Rafferty ? N’est-ce pas en partie grâce à moi que ses chansons ont eu du succès ?… Oui, messieurs, mesdames, si l’on fait fréquemment appel à mes services, c’est que mes interventions sont souvent efficaces ! En effet, je me targue d’être devenu un instrument commercial. On m’affiche, je trône auprès de grands musiciens et mon image rapporte beaucoup d’argent. Que vouloir de plus ! Aujourd’hui, je peux traiter d’égal à égal avec M. Piano et Mme Guitare…   

Les années passent… Après la musique pop, la musique rock des années 80 se désagrège dans différents courants musicaux plus ou moins éphémères. M. Saxo qui est toujours présent, voit son aura, sa puissance évocatrice, ne plus rentrer dans les codes en vigueur…

M. SAXO : après mon passage dans le ‘free jazz’, je pensais avoir tout connu… mais je dois me rendre à l’évidence, on m’a outrageusement trahi. Oui, je dis bien trahi ! D’abord en m’électrifiant, pour faire ‘branché’ auprès des jeunes, pour ensuite m’imposer un concurrent d’un nouveau genre, une sorte de clone ressemblant vaguement à ma personne, appelée l’EWI, l’Electric Wind Instrument… Ce qui est drôle, pour son fonctionnement, il a besoin, en plus de toute la technologie embarquée, d’un contrôleur à vent, c’est dire si je suis différent de lui !

Enfin, je n’avais quand même pas besoin de ce gnome, de cet instrument ridicule, pour continuer à exister dans le cœur des hommes… Et vous, M. Brecker, même si votre talent était immense, comment ne pas vous en vouloir lorsque vous vous saisissiez de ce joujou ridicule !

À quoi ça ressemble un EWI, hein ? Ne me dites pas que cette chose longue et droite vous rappelle un saxophone ? Même mon frère Soprano est d’accord avec moi ! Où est donc passée ma ‘peau cuivrée’ et ma forme sensuelle ? D’accord, l’EWI est capable de jouer des sonorités étranges qui n’ont rien à voir avec moi, certains disent qu’il peut même communiquer avec l’au-delà… mais, Messieurs les laborantins de la musique aseptisée, vous oubliez un peu vite que c’est en me tenant contre eux que de nombreux jazzmen ont révolutionné le langage musical ! Vous ne me ferez jamais croire qu’avec un tel instrument vous aller faire vaciller d’émoi le cœur de mes nombreuses admiratrices ou être capable de reproduire toutes mes nuances de jeu  !… D’ailleurs, sans vouloir évoquer de nouveau cette période douloureuse de mon existence, pensez-vous que M. Berlioz et M. Darius Milhaud auraient consenti à composer pour cet instrument s’ils n’avaient pas senti chez moi de réelles possibilités sonores ?


MICHAEL BRECKER : EWI SOLO (Tokyo -1986)

M. SAXO ET SA FAMILLE

M. SAXO : si vous pensez que je ne suis qu’un être doté d’émotions sonores et à la santé fragile, vous vous trompez, car en vérité, je suis très solide et facile à entretenir. Une fois dans ma valise, à l’abri des chocs, que voulez-vous qu’il m’arrive ? Vous savez, je peux vivre pendant de nombreuses années quand on prend soin de moi… mais je parle, je parle, et je m’aperçois que je ne vous ai pas encore présenté les principaux membres de ma famille…

Au fil des années, ma famille s’est agrandie. Mon père, M. Sax, m’a comblé de joie en m’entourant de treize frères… vous vous rendez compte ! Hélas, la plupart d’entre eux ont aujourd’hui disparu. Toutefois, il me reste encore plusieurs frères qui continuent à vivre grâce au talent de nombreux musiciens. Je pense tout d’abord à mon petit frère Soprano qui, par sa forme droite, est proche de Mme. Clarinette. Mais attention, la ressemblance s’arrête là, car Soprano conserve des particularités sonores bien à lui, une sonorité haut perchée et plus perçante que moi. Ensuite viens mon second frère Alto. C’est le premier de la famille à naître avec une culasse et un pavillon. (pour ceux qui ne savent pas, la culasse, c’est la partie recourbée et le pavillon, la partie évasée d’où surgit le son). Si Alto aime bien jouer dans les aigus comme Soprano, son esthétique ressemble à la mienne, sauf qu’il est plus petit que moi. Mon grand frère, Baryton est celui qui possède la voix la plus grave. Toute la famille l’adore, mais messieurs les compositeurs l’ignorent souvent et c’est dommage. Quant à moi, Ténor, je suis le plus populaire de tous et je ne m’en plains pas !…

Même si j’ai oublié certains détails concernant mon histoire, je pense toutefois vous avoir raconté l’essentiel… D’ailleurs, je sais que nous aurons l’occasion de nous rencontrer et d’en reparler lors d’une soirée ou lors d’un prochain festival de musique, car je suis régulièrement invité, moi, ainsi que toute ma petite famille. Alors à bientôt !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 11/2011)

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