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JAZZ ET INFLUENCES

LES GUITARISTES QUI ONT INFLUENCÉ L’HISTOIRE DU JAZZ

Dans la musique jazz, la guitare est demeurée pendant très longtemps dans l’ombre des grandes formations à côté de la contrebasse, se contentant de marquer les harmonies d’un rythme pompeux et appuyé. Fort heureusement, le jazz n'étant pas uniquement constitué de styles et encore moins de barrières, des guitaristes ont démontré qu’ils pouvaient exister indépendamment des modes en leur empruntant ce qu'il faut pour ne pas être oubliés...


DES GUITARISTES QUI S'ÉMANCIPENT

Instrument pas toujours bien représenté dans les orchestres de jazz jusqu'à l'arrivée de Charlie Christian, sinon par Eddie Lang, Eddie Durham et Floyd Smith, la guitare a vu depuis les années d’après-guerre un grand nombre de spécialistes éclore dans tous les styles.

Nombre de guitaristes ne peuvent pas être rangés dans de petites boîtes même si quelques-uns joueront les obligés pour de grandes formations : Fred Guy avec Duke Ellington, Freddy Green avec Count Basie, Billy Mackel avec Lionel Hampton, Billy Bauer avec Woody Herman, Laurindo Almeida avec Stan Kenton… parfois même dans les petites formations : Tiny Grimes avec Art Tatum, Irving Ashby, John Collins et Oscar Moore chez Nat King Cole ou encore Herb Ellis avec Oscar Peterson.

Si la servitude de ces guitaristes a rarement fait de l’ombre aux « ténors » qu’ils accompagnaient, l’émergence du talent n’était jamais bien loin. Signalons pour commencer ces quelques guitaristes : Kenny Burrell et Grant Green, dont la polyvalence prend racine dans le blues, Mundell Lowe, Howard Roberts et Johnny Smith, trois jazzmen spécialistes des ballades ; Barry Galbraith, Jimmy Gourley, Jim Hall, Joe Pass, Joe Puma, Sal Salvador et Chuck Wayne comme de bons représentants d'un style à mi-chemin du cool et du be-bop, et enfin Charlie Byrd et Bill Harris qui remette à l'honneur la guitare espagnole. Cependant, les guitaristes qui ont influencé durablement la guitare de jazz contemporaine sont au nombre de six : Charlie Christian, Barney Kessel, Tal Farlow, Jimmy Raney, Django Reinhardt et Wes Montgomery.

DE CHARLIE CHRISTIAN À WES MONTGOMERY

Charlie Christian fut le premier grand maître de la guitare jazz. Décédé prématurément de la tuberculose à l’âge de 23 ans, il incorporera l’orchestre de Benny Goodman en 1939. Rapidement, le guitariste devient un musicien recherché et son jeu sera souvent imité. Excellent musicien accompagnateur, son soutien dans les orchestres était sans faille. Il sera le créateur du « reed style » inspiré par le jeu du saxophone cher à Lester Young.

Son swing savait tirer finement parti de l’amplification et il a été un des premiers guitaristes à faire ressortir de son instrument les accords de passage et de ses solos la tumultueuse puissance ou la retenue raffinée. Malgré une approche des plus classique, Charlie Christian sera un personnage influent chez des musiciens avides de nouvelles sensations : Thelonious Monk ou Charlie Parker, pour ne citer qu'eux.

Barney Kessel est né en 1923. Quoiqu'ayant subi la forte influence de Charlie Christian, son jeu laisse percevoir également une forte sensibilité « parkérienne ». De tous les musiciens blancs de l’ère moderne, il a été l’un de ceux qui jouent le mieux le blues. Quand il jouait une ballade, il savait la restituer avec beaucoup de sensibilité. Son style, qui était avant tout rythmique, était soutenu par de solides harmonies. Barney Kessel avait développé un très joli jeu en accords qu'il enrichissait de phrases au dessin précis. Retenons de son parcours, ses rencontres avec Artie Shaw, Charlie Parker et le J.A.T.P.


BARNEY KESSEL : MEDLEY BOSSA NOVA (Manha De Carnival et Samba De Orfeu)
Barney Kessel : guitare, Larry Ridley : contrebasse et Don Lamond : batterie (1969)

Tal Farlow est né en 1921. Le guitariste a travaillé avec Artie Shaw et Buddy de Franco avant de se révéler au sein du trio dirigé par le vibraphoniste Red Norvo comme un des meilleurs techniciens de son instrument. Malgré une certaine nervosité qui le poussera parfois à jouer un peu en avant, il est capable d'interpréter n'importe quoi sans commettre d'erreurs. Charmeur quand il jouait les slows, son jeu pouvait devenir bien plus agressif dès que le tempo prenait de l’envol.

Ce qui place Jimmy Raney au-dessus des deux précédents, c'est son inspiration. Le guitariste sera en effet un des grands promotteurs du « jazz moderne ». Né en 1927, Raney a travaillé notamment pour Woody Herman, Buddy de Franco, Artie Shaw, le vibraphoniste Terry Gibbs, Red Norvo et Stan Getz.

Sa manière d'utiliser des accords personnels en improvisant, ses enrichissements harmoniques font qu'il a toujours eu quelque chose de neuf à exprimer. Sa modestie dans l'audace et son merveilleux art d'unir l'intelligence, la sensibilité et la raison en avaient fait un musicien quasi parfait. Malheureusement, il ne semble pas avoir fait la carrière que son talent méritait malgré la richesse et l’élégance de sa production musicale.

Django Reinhardt est certainement le meilleur ambassadeur de la guitare jazz et manouche en France. Prenant à témoin son sens inné de la mélodie, Django se lançait très souvent dans des improvisations soutenues. Chez lui, tout flirtait avec l’exceptionnel tant sa virtuosité alliée à une imagination sans borne donnaient à la sensibilité de son jeu une certaine noblesse. (voir son portrait)

Le dernier grand de la guitare, Wes Montgomery, s'est révélé sur le tard, après Django. Né à Indianapolis en 1925, il travailla deux ans avec Lionel Hampton puis avec ses frères Monk et Buddy, estimables contrebassiste et pianiste-vibraphoniste, avant de voler de ses propres ailes.

Sa splendide technique et son sens aigu de l'adaptation lui permettaient tout autant d'être un soliste de classe qu'un bon guitariste de soutien. Son style assez facilement reconnaissable était caractérisé par le fait qu'il grattait ses cordes avec son pouce par un jeu sur une seule corde ou par un très habile emploi des accords en octave. Il lui arrivait de jouer simultanément des ensembles de notes comme le ferait un pianiste, ce que d'autres guitaristes (Casey, Farlow) avaient déjà fait, mais avec peut-être moins d'intelligence musicale.

À L’ÈRE DES GUITARISTES « POP »

Si ces grands représentants d'un jazz qualifié de « moderne » résonnent aujourd’hui de façon bien classique, à l’orée des années 70, un mouvement prenant racine dans la musique rock allait voir le jour sous l’appellation jazz-rock. De ce mouvement éphémère allait naître plusieurs grands noms de la guitare électrique dont l'art personnel était de peindre des paysages sonores contrastés et suffisamment retors pour que le moindre des jazz épris de liberté ne se condamne de lui-même derrière la vivacité et l’agressivité d’un rock rebelle.

Citons en premier Larry Coryell qui savait admirablement jouer le blues et, quand il le souhaitait, les ballades. Son incursion dans le jazz-rock avec son groupe 'The Eleventh House' semblait préférer à bien des égards les riffs fébriles et limités de la pop binaire à tout autre chose. Autre grande figure de cette époque, le guitariste John McLaughlin qui joua un temps avec Miles Davis. Très sensible et délicat à la guitare sèche, il éclate et perturbe volcaniquement ses interventions lorsqu'il se saisit de sa guitare électrique pour jouer, selon d’autres canons, une musique aux modes orientaux et aux mesures inusitées au sein du 'Mahavishnu Orchestra'. Le groupe Shakti qui suivra, avec sa musique à la croisée du jazz et de la musique indienne, viendra rompre les amarres qui le liaient au jazz-rock, du moins pour un temps.


JOHN McLAUGHLIN & PACO DE LUCIA : LOTUS FEET
(Royal Albert Hall, Londres - 1979)

À côté de quelques "requins" de studio tels Lee Ritenour, Steve Khan et Larry Carlton, dans le domaine de la "technique chirurgicale" citons aussi Al Di Meola au sein du 'Return to Forever' avec Chick Corea dont les traits mélodiques concilient autant la rapidité que la précision rythmique. Ses premiers albums solos démontrent déjà une parfaite maîtrise technique au point qu'ils influenceront de nombreux jeunes guitaristes de jazz comme de rock. Enfin, outre Paco de Lucia, qui a ravivé d’une modernité sans faille la guitare espagnole, on ne pouvait terminer ce paragraphe sans citer deux éminents musiciens issus de la culture rock : Frank Zappa, musicien insolite, original et intrigant auteur de compositions baroques et dadaïstes, et Jimi Hendrix, un monstre de technique ayant eu l'art de manipuler sauvagement le blues en utilisant quelques gadgets électroniques dévastateurs !

Mille pardons aux oubliés d'hier et d'aujourd'hui : John Abercrombie, Laurendo Almeida, Georges Benson, Lenny Breau, Norman Brown, Bill Conors, Eric Gale, Freddie Greene, Stanley Jordan, Jim Hall, Allan Holdsworth, Earl Klugh, Russell Malone, Pat Martino, Pat Metheny, John Pizzarelli, Emily Remler, Howard Roberts, John Scofield, Sonny Sharrock, Johnny Smith, Mike Stern, Ralph Towner.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2020)

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