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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LE LSD ET LA MARIJUANA AU CŒUR DE LA MUSIQUE POP

Au cours d’une décennie parmi les plus mouvementées et contrastées de l’histoire des États-Unis, une drogue hallucinogène devait se répandre dans le milieu musical et chez les hippies, le LSD…


LOS ANGELES, LA PREMIÈRE VILLE TÉMOIN

1961. Los Angeles, ville tentaculaire, puise une partie considérable de son énergie dans son industrie du divertissement. Si elle conserve sa position babylonienne de capitale du 7e art depuis des années, son essor en tant que capitale de la musique est un phénomène relativement récent. Alors que depuis les années vingt, le secteur de la musique est principalement concentré à New York, quatre décennies plus tard, un groupe fraîchement débarqué sur les ondes va contribuer à établir Los Angeles comme ville musicale : The Beach Boys.

Porté par l’engouement du surf - une activité qui offre l'avantage de produire sa propre culture auprès de la jeunesse - les Beach Boys vont créer une série de tubes qui va attirer l’attention du public américain. Conduit par le talentueux compositeur et chanteur Brian Wilson, lui-même épaulé par ses frères et ses cousins, le groupe est doté d’un son très personnel qui les propulse immédiatement au sommet des charts.

© pxhere

Ce phénomène sonore, baptisé “surf music”, porte à la connaissance de l'Américain moyen ce qu’est la côte ouest avec ses vagues, le bronzage, les filles en bikini et ses résidences luxueuses ; toute une série d’images flatteuses qui ne peuvent que fasciner les jeunes du Midwest comme les habitants de la côte est qui considèrent, eux aussi, la Californie comme le lieu idéal pour s’évader d'une existence monotone.

Grâce en partie à cette jeunesse tonifiante et au porte-drapeau que représentent alors les Beach Boys, la Californie développe sa propre renommée culturelle en incarnant chez les jeunes Blancs un mythe puissant. Leur thématique, réunissant soleil et surf, est comme un prospectus ventant un autre mode de vie. Les “garçons de la plage” ne font pas du rock comme les Beatles, mais de la musique légère sophistiquée dans laquelle l’énergie du Chuck Berry se marie à de splendides harmonies, presque jazz. Leur son est totalement inédit. Les Beach Boys ne devaient pas apporter uniquement les charmes de la Californie aux adolescents américains, mais bien plus.

En 1964, les maisons de disques commencent à s’installer à Los Angeles. Suite à l’impact provoqué par l'arrivée des Beatles dans le paysage sonore, mais aussi grâce à la télévision britannique, les shows musicaux deviennent très populaires sur la côte ouest des États-Unis. Les studios de Hollywood servent de lieu de tournage non seulement au cinéma mais aussi à la chanson. L’industrie est en plein boum, et les producteurs et découvreurs de talents partent à la recherche de groupes locaux pour les propulser sous les feux de la rampe. Parmi les découvertes, il y aura les Byrds. Leur répertoire, très différent des Beach Boys, fixe les bases des musiques à venir. Comme repères, ils prennent le rythme et les harmonies des Beatles qu’ils mélangent à des textes profonds, comme ceux empruntés à Bob Dylan.


THE BYRDS : "Mr. TAMBOURINE MAN" (The Ed Sullivan Show - 12/12/1965)

La musique des Beach Boys, avec sa légèreté, n’est désormais plus à l’ordre du jour. Cette vision d’un monde nouveau qu’apporte une contre-culture naissante se retrouve dans la musique des Byrds. Leur force est d’avoir réussi à fusionner une sensibilité pop avec une thématique plus profonde. Dylan, c’était encore du folk, alors qu’avec les Byrds c’est déjà de la “Pop Music”. Leur modernité, leur avant-gardisme, tant musical que vestimentaire, annoncent quelque part le comportement "hyper cool" des hippies, mais avec trois années d’avance !

Le succès des Byrds fait des émules parmi les groupes de Los Angeles, que ce soient les Doors, Love ou Frank Zappa et les Mothers of Invention. Ces groupes ont une sensibilité underground et un côté “allumé” qui les distingue déjà de la “Pop Music” naissante. Ils s’épanouissent dans le cadre d’une scène fleurissante dont l’épicentre se situe à l’ouest de Hollywood, à Sunset Street.


SAN FRANCISCO, LA VILLE FONDATRICE DU MOUVEMENT HIPPIE

Au milieu des années 1960, l’Américain moyen est particulièrement préoccupé par la nature incontrôlable de la jeunesse, par les contestations étudiantes, comme les émeutes de Chicago. Pour la majorité silencieuse, ce ne sont que de sales gamins, trop gâtés, qui ne cherchent qu’à provoquer, qui consomment des drogues illicites, et qui ne négligent jamais l'appel au sexe, des comportements qui sont pour le bien-pensant, synonymes de l'arrivée prochaine d'un monde dépravé courant à sa perte. La musique rock est alors montrée du doigt en étant perçue comme une autre des composantes essentielles de cette dérive.

Amorcé à Los Angeles, la suite de l'histoire conduit nos pas à San Francisco, dans une ville au cœur d’une révolution culturelle en marche.

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, la cité attire tous ceux qui cherchent à s’échapper du carcan conservateur de l’Amérique profonde pour explorer des modes de vie alternatifs. Si San Francisco est célèbre pour sa baie et ses collines, pour son pont suspendu rouge et pour Alcatraz, dans un premier temps, la ville californienne sera le territoire des écrivains de la “beat generation”, avant de se transformer en un véritable centre de créativité, avec une jeunesse nourrie de musiques, de drogues et d’idées novatrices au cœur des années soixante.

© pxhere

Le point névralgique est le quartier de Haight Ashbury. Son développement est certainement dû au hasard, car le quartier n’a rien de particulier, si ce n’est que les beatniks et les étudiants, qui s’étaient établis dans le quartier de North Beach, trouvent les logements meilleur marché dans Haight Ashbury. Les musiciens y viennent en nombre et finissent par créer une communauté artistique pleine de vitalité. Les membres du Greteful Dead logeront au "719 Haight Ashbury", pas très loin de Janis Joplin, tandis que le Jefferson Airplane deviendra le premier groupe du quartier à avoir du succès. La force de tous ces artistes est de s'accorder sur une vision commune : engager la lutte pour une liberté individuelle, artistique et sexuelle. Un espoir ressentit, désiré et qui s’inscrit dans l’air du temps.

Toutefois, cette conquête en faveur de la liberté d’agir ne sera pas l’apanage de San Francisco. Depuis l’émergence des Beatles au début de la décennie, une culture jeune et dynamique s’est déjà épanouie ailleurs dans d'autres villes, notamment en Europe. La ville californienne sera simplement le moteur d’une vision décalée. Le quartier de Haight Ashbury demeure en effet le seul endroit qui donne accès à la drogue de prédilection dont le nom résonne encore aujourd’hui à nos oreilles, le LSD.

Le mouvement hippie, qui a pris place auprès de cette contre-culture revendiquée, ne s’accompagnait pas seulement de valeurs positives. Le puissant hallucinogène est en vérité au centre de l’aventure historique des hippies de San Francisco. La drogue est puissante et façonne la musique, l’art et les idées qui émergent. Si d’autres drogues influent sur l’humeur, c’est le discernement de la réalité qui se trouve considérablement modifiée chez le consommateur de LSD. Chez certaines personnes, un seul trip peut suffire pour ressentir un éveil spirituel.

Néanmoins, on ne saurait trop insister sur le pouvoir du LSD ; de quoi atteindre des états encore inconnus jusqu’alors et transformer la perception de la vie du jour au lendemain. Dans le milieu artistique de San Francisco, tout le monde ou presque est à la recherche de l’illumination et le LSD fait figure de raccourci pour y parvenir. Il ouvre l’esprit, du moins, il permet d’entrevoir un autre mode d’existence. Durant cette période clé, l’envers du décor sera de rendre le consommateur vulnérable, surtout face à ceux qui profitaient d’une position dominante.


SCOTT McKENZIE : "SAN FRANCISCO"

UN CERTAIN TIMOTHY LEARY

1967. Tandis que la contre-culture de San Francisco commence à se répandre dans tout le pays, mais également internationalement, un psychologue, Timothy Leary, va se faire remarquer par sa promotion du LSD en louant publiquement ses bienfaits thérapeutiques et spirituels lors de rassemblements hippies.

Timothy Leary est un professeur de Harvard. Cet apôtre du LSD présentait un parcours qui procurait une sorte de légitimité à ses idées sur l’usage de cette drogue, d’autant que ce "nouveau monde", désiré par toute une jeunesse, n’était pas avare côté utopie. Par ailleurs, l’évocation de l’expansion des consciences était fréquente et les personnes qui cherchaient à accéder à une dimension spirituelle extrêmement élevée, espéraient trouver dans le LSD une réponse satisfaisante.

Le message est extrêmement clair, en six mots : « allume-toi, branche-toi, laisse tomber »” (Turn on, tune it, drop out), dira Timothy Leary face à 30 000 hippies. Cela servira même de slogan que l’on peut traduire par : défoncez-vous avec de la marijuana ou du LSD, soyez à l’écoute, connectez vos images, vos idées aux visions que cette drogue peut produire et, surtout, laissez tomber la société. Une véritable révélation dans un pays déchiré depuis des années entre une paix sociale fragile et des contestations qui s'éternisent, faute de solutions évérées.

L’utopie, véritable moteur, semblait à portée de main. Le principe, fort simple, traduisait un paradis qui pouvait être atteint grâce au LSD. Or, le véritable danger du message de Timothy Leary se situait surtout dans cet abandon de la société et de ses principes. Cet acte de foi, trop controversé de part et d'autre, finira par être abandonné par le professeur de Harvard en personne. Bien qu’il ne parlait pas de renoncer à l’école et à son enseignement, Timothy Leary estimait seulement qu’il fallait réfléchir sur la façon de déployer son énergie au bon endroit.

Toutefois, l’idée première avait été retenue et personne ne pouvait plus rien contrôler, même pas l'auteur du slogan. À l’été 1967, lors du fameux “Summer of Love”, comme un appel plein d'espoir, des jeunes désenchantés, venus des quatre coins de l’Amérique, décident de tout laisser tomber et arrivent en masse à San Francisco à la recherche de cette utopie promise.


LA FIN DU RÊVE

Dans le quartier de Haight Ashbury, un malaise va s’installer et s'amplifier. En quelques semaines, San Francisco devient la Mecque d’un nouveau départ. La révolution culturelle provoquée au début de la décennie par l’arrivée des Beatles et l’assassinat de Kennedy se poursuit avec la guerre du Vietnam. La conscription, qui voit des milliers de jeunes hommes embarqués dans un conflit auquel ils ne croient pas, amplifie un fossé apparu dans les années cinquante jusqu’à l’abîme.

Si la population locale peut subvenir au besoin d’un millier de personnes, de 1967 à 1969 (année qui marque la fin de la période cruciale du mouvement hippie), on estimera qu’environ trois cents jeunes débarquaient chaque jour dans le quartier. Cette jeunesse ne savait pas où aller, où s’installer et n’avait pas un sou en poche. Elle entretenait l'idée selon laquelle, une fois sur place, la communauté s’occuperait d’eux. Cette conviction créera des déconvenues pourtant prévisibles, une situation ingérable donnant le champ libre à des prédateurs venus des quatre coins des États-Unis, des arnaqueurs, des trafiquants de drogues et des proxénètes.

La contre-culture, qui considère les aînés et les autorités avec une méfiance extrême, cherche à refaçonner le fameux “America way of life”. Le peuple américain faisait face à une nation en faillite sur le plan spirituel. Les principes moraux de la constitution américaine et des pères fondateurs semblaient avoir disparu. Les États-Unis étaient profondément divisés. Plusieurs causes alimenteront les revendications : la fin de la guerre au Vietnam, les avancées sur les droits à une libre sexualité, une plus grande sensibilisation à la discrimination raciale et un renforcement du mouvement des droits civiques.

Ces diverses exigences, conduisant à des luttes, des oppressions et à des violences, seront, pour le peuple américain, une manière de s’ouvrir, de découvrir de nouvelles phases d’exploration. Les jeunes gens estimaient que les valeurs de la société dans laquelle ils vivaient ne les rendaient pas heureux, les aliénaient et les inséraient dans un engrenage dans lequel ils n’étaient, en tant qu’individus, qu’un rouage de plus. Ils voulaient, avec une inconsciente naïveté, une vie à base d’amour envers toute chose, immédiatement, sans hypothèque sur l’avenir.


JEFFERSON AIRPLANE : "WHITE RABBIT" (live Woodstock 08/1969)

À notre époque, il n’existe plus de liens directs entre la nouvelle culture, bien moribonde, il est vrai, et celle des années soixante. De cette époque charnière, quelques groupes musicaux ont survécu. Ces formations ne cherchent plus comme par le passé leur originalité et leur caractère dans l’énergie qui se dégage d’une force vitale liée à une conception du monde, mais plutôt dans une perfection technique et maniériste.

Toute révolution culturelle exige que les gens transforment leur façon de vivre. Les festivals de Woodstock et Altamont entérineront le mouvement hippie. La contre-culture et les mouvements pop ont été des moments marquants de la décennie soixante. La musique pop aura été un point de convergence, un porte-voix. La contre-culture a voulu s’attaquer à la source du système de consommation, mais elle a, pour une grande part, échoué ou a été simplement assimilée. Ce qui est sûr, c’est que la société occidentale a éprouvé un changement culturel considérable, et que ce mouvement a été étroitement lié au développement économique et aux innovations technologiques des pays industrialisés.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 06/2022)

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