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STEVIE WONDER, ARTISTE HUMANITAIRE ET VISIONNAIRE

« Je demande à Dieu de me donner une nouvelle chanson. J'attends tranquillement, et la chanson me vient. » L'homme qui lance ces phrases n'est autre que Stevie Wonder, l'icône de la musique soul. Si l'artiste ne signe plus de nouvelles chansons, pour autant, il soutient des causes et des injustices qui lui tiennent à cœur. En 2016, il soutiendra le mouvement "Black Lives Matter". « Tout le monde a quelque chose de noir en lui. Arrêter de renier votre culture. » Puis, moins d'un an plus tard, lors d'une cérémonie, il s'agenouillera aux côtés du footballeur américain Colin Kaepernick, en signe de protestation contre les propos et la politique de Donald Trump. Aujourd'hui, les messages humanistes du musicien perdurent dans un pays en proie à la division.


STEVIE WONDER RACONTE SON PEUPLE

Stevie Wonder n'a pas attendu ces dernières années pour se révolter sur les événements qui divisent son pays. L'enfant a grandi en écoutant la voix du pasteur Martin Luther King, le militant non-violent et défenseur des droits civiques pour les Noirs. Une chanson exprime cela parfaitement : Living in the City (album Innervisions - 1973). Elle donne le ton en décrivant la vie précaire et injuste d'une famille de Noirs habitant dans le Mississippi : « Un garçon vient de naître dans le rude Mississippi / Entouré de quatre murs qui ne sont pas si jolis / Ses parents lui donnent amour et affection / Pour le garder fort, aller dans la bonne direction / Vivre juste assez, juste assez pour la ville / Son père peut bien trimer 14 heures par jour / Croyez-moi, il n'en tire pas même un dollar / Sa mère frotte les sols de maison en maison / Et je vous le dis, elle n'en tire que quelques centimes / Juste de quoi survivre dans cette ville. » Avancer, sans cesse avancer, ramper si nécessaire. Le musicien aveugle reconnaît Dieu pour lui avoir accordé la possibilité d'exprimer ce qu'il ressent en composant des chansons.

© Thomas Hawk (flickr.com) - Stevie Wonder (North Sea Jazz Festival 2011)

Derrière ses claviers, à l'image d'un autre géant, Ray Charles, dont il a hérité un héritage musical certain, Stevie Wonder aura créé, durant plus de 20 ans, une succession de tubes planétaires. Aux États-Unis, l'artiste est toujours adulé. Son destin, parti du ghetto jusqu'à la consécration, raconte une histoire qui séduit le peuple noir américain. L'artiste a toujours été sensible aux diversités des cultures et des origines. Son œuvre musicale l'illustre parfaitement.


UN CERTAIN "LITTLE STEVIE"

Bien qu'ayant débuté dans l'industrie musicale à la toute fin des années cinquante, sa carrière discographique démarre réellement en 1962, sous l'égide de la Motown dirigée par Berry Gordy et un premier tube : Fingertips (album The Jazz Soul of). À cette époque, la compagnie discographique possède une signature musicale très marquée. Ses refrains entêtants lanceront une quantité phénoménale d'artistes placés sous les ordres du boss.

Little Stevie, comme on le surnomme, sort son premier disque aux États-Unis dans une période trouble. JFK vient d'être assassiné. Stevie, qui n'a que 12 ans, est immédiatement remarqué par son style et son sens du rythme. Pour son âge, il joue merveilleusement de l'harmonica chromatique et se révèle très tôt comme un multi-instrumentiste né (piano, batterie, bongos...).

Pour Berry Gordy, que Stevie soit aveugle ne représente pas un problème, d'autant qu'il n'est pas le seul à voir en lui le digne successeur de Ray Charles. Par contre, sa voix d'enfant n'a pas encore mué et dans l'entourage du patron de la Motown, on redoute cette étape. Un temps, la question de se séparer de lui sera envisagée. Or, Stevie possédait le don de produire des mélodies accrocheuses et, en 1966, les hits que sont Uptight et I Was Made to Love Her feront taire les plus indécis. « Je suis le fils d'un pauvre homme, de l'autre côté des voies ferrées / La seule chemise que je possède est accrochée à mon dos / Mais je fais l'envie de tous les célibataires / Depuis que je suis la prunelle des yeux de ma fille. » (album Uptight, Everything's Alright - 1966).


ÉMANCIPATION ET TOURNANT MUSICAL

En 1970, après huit ans de carrière, Stevie Wonder a déjà signé 10 tubes à l'international. L'adepte des claviers et de la batterie impose petit à petit ses qualités d'instrumentiste (l'album Music of my Mind, en 1972, est parfaitement représentatif de cette évolution). Toutefois, le secret de fabrication des disques à venir reposera sur son désir d'autonomie. Sur les traces d'un certain Marvin Gaye, Stevie a soif de liberté, d'autant qu'entretemps, le jeune homme a musicalement évolué et il veut le faire savoir. Berry Gordy finit par céder à ses exigences. Le premier album du genre que Stevie produit sort en 1970 sous le titre Signed, Sealed & Delivered.

Ce qui suivra ne fera que confirmer la règle. Quatre albums vont marquer l'histoire de la musique soul par leur empreinte à contre-courant des productions musicales afro-américaines : Music of My Mind (1972), Talking Book (1972), Innervisions (1973) et Fulfillingness' first finale (1974). L'originalité est dans la musique, mais aussi dans des textes qui soulignent des engagements politiques et sociaux. Stevie n'a alors qu'un souhait : casser les codes et affirmer sa différence.


LIVING FOR THE CITY (1973)

« Triste est l'âme / Quand tu crois aux choses / Que tu ne comprends pas, / Alors, tu souffres, / La superstition n'est pas la voie. » (Superstition - album Talking Book - 1972). « Je tiens à exprimer ce que je ressens au fond de moi. Quelle que soit la qualité des paroles, l'essentiel est que les sentiments soient transmis. Il faut être conscient de ce qui se déroule sur le plan politique, la réalité des quartiers qui concerne beaucoup de gens. » Ceci se retrouve parfaitement traduit dans la chanson précitée Living in the City, ce triste éloge funèbre en témoignage d'un enfant afro-américain de 10 ans abattu par les forces de l'ordre new-yorkaise, et dans laquelle résonne une voix colérique, proche de la rage, celle de Stevie.

Dans le même album, figure aussi le titre Visions, hautement significatif d'un esprit prophétique : « Sommes-nous allés si loin à travers l'espace et le temps, ou est-ce une vision de mon esprit ? Je ne suis pas un rêveur. Je sais que les feuilles sont vertes et deviennent marron à l'automne, je sais juste qu'aujourd'hui n'est pas hier. Toute chose a une fin. Mais je voudrais savoir s'il existe un endroit merveilleux, où faut-il déployer nos ailes et nous envoler vers notre vision imaginaire ? » Grâce à la puissance communicative de ses chansons, il projette ses visions, sa conscience aigüe de la réalité sociale et politique qu'il mélange à des messages d'espoir.


STEVIE WONDER, L'ARTISTE ENGAGÉ

En 1976, une autre prophétie se produit avec le double album Song in the Key of Life (1976), le plus représentatif de la maturité musicale de l'artiste. Stevie Wonder est parvenu à réaliser une admirable synthèse artistique, un aboutissement créatif capable d'émouvoir tous les publics après plus de deux années de travail intensif, mais par dessus tout, il a su démontrer qu'une musique populaire, même commerciale, peut être de l'art dans le sens noble du terme. Avec ce double album, au contenu musical extrêmement varié, transparaît aussi un artiste humaniste et spirituel qui emporte tous ceux qui croient en des lendemains meilleurs. Stevie Wonder poursuit sa tâche, sa détermination à imposer ses idées et ses valeurs.

En 1980, le titre Happy Birthday sort. Cette chanson est un signal lancé en réponse à son entrée en campagne pour obtenir un jour férié en hommage à Martin Luther King. « Je suis un fervent admirateur et disciple de Gandhi et aussi de Martin Luther King. Depuis 1986, grâce à l'influence qu'on a eue, entre 1981 et 1984, la journée en son honneur est le premier jour férié instauré par le peuple américain. » En novembre 1983, sous la présidence de Donald Reagan, sera adoptée la journée "Martin Luther King" du 20 janvier.

Stevie Wonder ne se définit pas comme un militant, mais comme un homme sensible aux injustices. Il s'insurge contre tous les actes liés au racisme et à la discrimination, quelle qu'elle soit. En revanche, il reconnaît que depuis ce temps, il a placé sa carrière artistique en sommeil. Cette prise de position avait un prix, il le savait, mais elle lui semblait d'après ses propres mots « inéluctable ». Néanmoins, durant quelques années encore, le chanteur allait produire plusieurs titres qui feront date.

Artistiquement, les années 80 marque un nouveau tournant. Sa musique devient plus pop et commerciale. Moins centré sur les expérimentations musicales (comme l'usage intensif des synthétiseurs), l'artiste égarera les fans de Song in the Key of Life mais parviendra à les remplacer par un public plus conciliant. Après l'album Hotter Than July (1980 ) d'où sortira, outre Happy Birthday, d'autre succès comme All I Do, Master Baster et Lately, Stevie s'engage dans des collaborations éphémères avec l'intention de consolider sa popularité : Paul McCartney, Elton John, Eurythmics, Whitney Houston, Gladys Knight et bien sûr Michael Jackson.


LATELY (1985)

Par la suite, il publie une compilation revisitant ses principaux succès : le double album Original Musiquarium (1982). Son dernier tube en date, I Just Caled to Say I Love You, provient de la BO d'un film passé inaperçu, The Woman in Red (un remake du film français d'Yves Robert, Un éléphant ça trompe énormément). Signalons tout de même les titres Part Time Lover, visiblement inspiré par la "music dance" et le titre romantique Overjoyed, tous deux provenant de l'album In Square Circle (1985).

Depuis, plus aucune création majeure. L'artiste n'apparait que sporadiquement pour mettre en avant son nom dès qu'il s'agit de plaider une cause qu'il estime juste. En 1985, lors de la remise d'un Oscar pour la chanson I Just Caled to Say I Love You, face au parterre d'invités, il place l'accent sur les événements qui se déroulent en Afrique du Sud avec l'apartheid et la détention de Mandela. Une cause à laquelle il prendra part en tête de cortège d'une manifestation se rendant à l'Ambassade d'Afrique du Sud, à Washington, et pour laquelle il sera arrêté et envoyé en prison pour atteinte à l'ordre public.

En 1998, devenu président de la République d'Afrique du Sud, Nelson Mandela accueillera l'artiste sur son sol avec les honneurs, saluant « l'être exceptionnel qui a utilisé son talent, sa renommée et ses moyens financiers pour défendre la liberté de ses frères, à des milliers de kilomètres de sa mère patrie. »

© Thomas Hawk (flickr.com) - Stevie Wonder au côté du président Barack Obama (Memorial Martin Luther King - 2011)

L'un des derniers faits politiques marquants de Stevie se produira en 2008, quand il soutiendra la candidature de Barack Obama. Le "Little Stevie" venu d'une petite ville du Michigan, parvenu à la célébrité, prenait part avec une certaine fierté à l'élection du premier homme politique Noir à la présidence des États-Unis.

Terminons sur ces mots qui se passent de commentaires : « Médiocre est l'âme qui dit ignorer l'autre / Égoïste est le cœur qui vit sans partager / Je les plains / Je nous plains. »" (Keep Our Love Alive - 1990).

Par Elian Jougla (Cadence Info - 12/2023)

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