À L'ÉPOQUE DU LSD
Aux États-Unis, les divers mouvements apparus au cœur des années 60 vont influencer l’orientation musicale des Beatles. Dans la jeunesse, la drogue hallucinogène (le LSD) n’est plus un sujet tabou, mais plutôt une façon de concevoir le « Monde nouveau » en adoptant une position ou l’harmonie et le détachement de l’être vont de soi. Or si John, George et Ringo consomment du LSD dès 1965 (Paul ne l'avouera que plus tard), on ne peut attribuer leur virage musical à cause de cette drogue. Comme de nombreux jeunes adultes, ce n’était pour eux qu’une façon de se découvrir à une époque où le groupe se sentait égaré, manquait de recul, et surtout en quête de conceptualiser et d’ambitionner d'une tout autre façon leur musique.
Les Beatles en 1967, avec de gauche à droite Ringo Starr, John Lennon, Paul McCartney et George Harrison
Durant cette période, l’une des innovations produites en studio par Paul McCartney sera de produire des pièces expérimentales reposant sur l'association de boucles sonores préenregistrées. Soutenues par George Martin, les recherches sonores très artisanales proposées par Paul allaient être au cœur d’une révolution musicale majeure des années 60.
Dans le studio, tout se réalisait en prise directe avec George Martin derrière la console et le renfort de plusieurs magnétos et autant d’assistant pour les piloter. À la fin, le résultat était toujours improbable, mais suffisamment magique et surprenant pour avoir l’adhésion de tout le monde. Le titre Tomorrow Never Knows de l’album Revolver (1966) utilisera ce type de montage sonore dont l'influence est à rechercher du côté des expériences réalisées dans le domaine de la musique électro-acoustique.
THE BEATLES : 'TOMORROW NEVER KNOWS' (1967 - remastered 2009)
Pochette de l'album 'Revolver'
Cette chanson est une parfaite illustration de la musique psychédélique ; une réponse sonore et imagée des consciences altérées par l’usage du LSD. Tomorrow Never Knows aurait pu être considéré comme un « dérapage », une erreur de parcours, mais dans les faits elle sera compensée par son extraordinaire originalité et par toute l’avancée technologique déployée à travers l’album Revolver.
Cette approche artistique, si novatrice au cœur des années 60, vient confirmer ce que l’album précédent, Rubber Soul, avait permis d'entrevoir. Mais attention ! Les Beatles ne se sont jamais considérés comme des expérimentateurs de musique d’avant-garde visant à satisfaire un public restreint ou de spécialistes, et ce, malgré les craintes de leur producteur, Brain Epstein, qui imaginait déjà tous leurs fans s’éloigner. Or, ce ne fut pas le cas. Le public de la première heure, comme aimanté, s'entichait des messages délivrés par ces nouvelles chansons au contenu plus profond que par le passé.
L’ARRIVÉE DU ‘SGT PEPPERS’
En 1966, après leur seconde tournée aux États-Unis, les Beatles annoncent qu’ils ne se produiront plus sur scène. Deux ans plus tard, personne ou presque n'évoquera leur absence lors des futurs grands festivals comme ceux de Woodstock ou d’Altamont. Cet adieu à la scène provoque la disparition du groupe le plus médiatisée et tout le monde en convient par la force des choses.
Suite à cette déclaration surprenante, les journaux évoquent une éventuelle dissolution du groupe. Interrogé, John Lennon laisse planer cette éventualité, mais dans les faits, il n’en sera rien. Les quatre musiciens se consacrent corps et âme à ce qui va être la production la plus ambitieuse de leur carrière, la réalisation de l’album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band.
De leur huitième album studio, un premier titre passe sur les ondes : Strawberry Fields Forever et laisse entendre qu'une rupture avec le passé venait de s’accomplir ; même les voix sonnaient étranges. Quelque temps plus tard, le visionnage cinématographique de la chanson tourné par les Beatles ne faisait qu'attester cette vision dadaïste et volontaire qu'un changement venait de se produire. Les Beatles préparent désormais son public à les suivre dans une autre voie...
THE BEATLES : 'STRAWBERRY FIELDS DOREVER' (1967 - remastered 2009)
Aux États-Unis, le quartier de Haight Ashbury, à San Francisco, devient le berceau d’une contre-culture associée au mouvement hippie. Bien loin de la Grande-Bretagne et de sa culture underground se développent des manifestations musicales transportées dans un univers nettement plus psychédélique. De grands groupes pop y prennent résidences comme les Jefferson Airplane et Grateful Dead ; et c’est conjointement à cet univers dominé par les psychotropes que les Beatles lancent officiellement leur dernière œuvre d’art : Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, un album au concept unique où chaque chanson est reliée l'une à l'autre.
Pochette de l'album 'Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band'
Consulter : THE BEATLES ET L’ALBUM ‘SGT PEPPERS’
Dès sa sortie, le ‘Sgt Peppers’ se vend si bien qu’il agit comme un ‘signal d’alarme’ auprès des maisons de disques qui constatent que le grand public est capable d’apprécier une musique élaborée et pas seulement ce que le marketing tente de leur vendre à tout prix. Pour les Beatles, ‘Sgt Peppers’ est comme une libération au regard de l’image des quatre gentils garçons des débuts. Changer d’apparence en se laissant pousser la moustache, bousculer les conventions établies, c’est pour eux démontrer qu'une attitude constructive peut devenir porteuse de sens. Dans une période aussi effervescente où tant de groupes essayaient de se positionner à la meilleure place, les Beatles avaient saisis que le plus important était de ne pas être devancé.
Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band est pour l'époque un album atypique, une combinaison de mystère et d’imagination fertile : sa pochette, les textes des chansons... L'album portera ses fruits dans toute la sphère musicale et influencera d’autant tous les grands groupes de rock présent et à venir. Les Beatles ne sont plus de grands artistes « pop » mais des figures incontournables de l’art moderne.
Leur All You Need Is Love est sans nul doute un hymne pour toute une jeune génération qui était convaincue que l’amour faisait tomber toutes les barrières, de celles qui mettent à bas l’oppression et les conflits armés. Mais cette « révolution pacifique » ne durera qu’un temps et l’establishment reprendra les commandes, justifiant ses représailles sous prétexte de partir en guerre contre la drogue. Des artistes de rock de premier plan seront arrêtés comme Mick Jagger, tandis que McCartney assumera jusqu'à militer pour la libération de la marijuana.
FACE AUX PREMIÈRES TENSIONS
Sensible depuis plusieurs années à tout ce qui touche à la musique indienne, mais aussi à la méditation transcendantale qu'il approfondit avec le gourou indien Maharishi Mahesh Yog, George Harrison finit par convaincre les autres Beatles des bienfaits du spiritisme ; et c’est ensemble, avec leur conjointe respective, que les quatre Beatles se rendent en Inde pour une retraite spirituelle, avec l'espoir de découvrir une existence apaisée et un certain bonheur. Ce départ vers un ailleurs fera bien sûr la manchette de tous les journaux. Ce nouveau comportement des Beatles intriguera une fois de plus, mais finira par provoquer auprès des jeunes occidentaux un plus vif intérêt envers les religions orientales, le bouddhisme et la méditation.
De retour sur le sol londonien, dans le but d’élargir leur champ d’activité et d’avoir un meilleur contrôle sur ce qu’ils produisent, les Beatles forment leur propre compagnie, Apple, en février 1968. L’album suivant, qui est encore en gestation durant l’été de la même année, donne lieu aux premiers conflits dans le groupe. Dans les studios d’Abbey Road, on incrimine alors la présence trop invasive de la compagne de Lennon, l’artiste conceptuelle Yoko Ono.
Yoko Ono est visiblement de trop, mais Lennon s’en défend. Il se sent conforté par sa présence à ses côtés (c’est grâce à elle que Lennon ne touchera plus au LSD). Même sa créativité s’en ressentira au moment de la conception du double album blanc. Lennon se sent comme libéré depuis la fin de son mariage malheureux avec Cynthia. Yoko est pour lui une figure maternelle et rassurante.
THE BEATLES : 'GET BACK' (1969 - remastered 2021)
Le documentaire 'Let It Be' couvre la réalisation de l'album de 1970 (qui avait pour titre provisoire 'Get Back'), des rusches qui totalisent 56 heures d'images des Beatles capturées à l'origine par le documentaire de 1970 du réalisateur Michael Lindsay-Hogg.
La sortie du 45 tours ou figure le titre Revolution coïncide avec une année traversée par de nombreux évènements majeurs. La France connaît ‘Mai 68’ avec ses émeutes conduites par les étudiants de la Sorbonne. Aux États-Unis, le militant non-violent défenseur des droits civiques, le pasteur Martin Luther King est assassiné, tout comme le candidat présidentiel Robert Kennedy. Les manifestations pacifiques contre la guerre au Vietnam se radicalisent et dégénèrent en confrontations violentes.
La brutalité policière se banalise. Le mot guerre civile est dans toutes les bouches un peu partout. Les jeunes gens comprennent que pour faire plier le pouvoir en place, la violence est la seule attitude à adopter. La contre-culture est directement attaquée, mais Lennon, devenu à ses dépens le porte-parole d’une jeunesse menacée, refuse d’endosser ce rôle-là, étant lui-même désenchanté et effrayé par toute la tourmente mondiale qui semble sans fin. Le titre Révolution, traduit clairement les tourments qu'il traversait.
UNE HISTOIRE QUI S’ACHÈVE
À la fin de l’année 68, Lennon s’émancipe une première fois du cadre du groupe avec Yoko Ono et réalise Two Virgins, un album qui montre le couple de dos sur la pochette complètement nu. Lennon et Ono se marient en mars 1969 et finissent par adopter une position radicale en politisant leur action envers la paix. La destinée des Beatles ne tient alors qu’à un fil.
L’attitude de Lennon est à la fois courageuse par ses engagements, mais imprudente d’autre part. Certes cette place ne pouvait revenir à McCartney qui était plus « lisse » que Lennon. Paul était profondément animé par la musique dont il prenait de plus en plus le contrôle au sein des Beatles. À l’inverse, Lennon semblait s'éloigner toujours plus. Ses chansons prenaient le contrepied de celles de Paul en étant encore plus simples et directes.
Les tensions qui étaient jusqu’alors contenues dans les studios, derrières les rires et les blagues, finissent par éclater entre les quatre musiciens. Quand Paul épouse la photographe Linda Eastman, en mars 1969, aucun des autres Beatles n’assistent à la cérémonie. Au printemps 1970, McCartney sort son premier album solo. Les jeux sont faits ! Les rumeurs de dissolution du groupe sont confirmées quelques jours plus tard dans la presse londonienne.
Cette fin annoncée du plus grand groupe de l’histoire de la Rock Music est une onde de choc auprès des fans du monde entier, mais ne surprend guère les intimes qui avaient déjà assisté depuis fort longtemps à leur éloignement respectif. La cohésion n’étant plus là, le groupe vivait en sursis depuis deux ans. L’existence vécue à Liverpool, le partage, les rires, tout cela semblait si loin ; elle semblait si loin cette époque où ils admettaient leurs différences et leurs travers. Puis, le succès et la gloire sont arrivés et ont intégré d’autres histoires moins fusionnelles.
Le rouage créatif et bien huilé, porté d’une seule voix, ne fonctionnait plus. Sans plaisir d’aucune nature - ce plaisir si essentiel à leur créativité -, l'existence du groupe ne pouvait se poursuivre. Il n'y avait plus de place pour une intégrité construite sur des valeurs sûres. Les Beatles disparus, la musique "pop" continuait sa route en devenant moins contraignante, plus aseptisée et artificielle. Malgré quelques réussites exemplaires dans leur carrière respective, John, Paul et George ne parviendront jamais à atteindre les mêmes sommets que du temps des Beatles.
Il reste aujourd’hui de ce groupe légendaire bien des « choses » que la jeune génération actuelle n’a pas toujours conscience, notamment dans le domaine de l’innovation sonore, en vulgarisant l’idée du sampling il y a plus de 50 ans, mais aussi par leur façon de contribuer intelligemment à l’essor de la musique rock ou en interagissant positivement à travers toute la planète avec des valeurs humaines simples et honnêtes. Les Beatles ont aussi démontré que le talent ouvrait bien des portes et qu'il était permis de rêver quand on était issu de la classe ouvrière, que l'on pouvait entrer dans l’histoire et changer la vision de notre monde.
Par Elian Jougla (Cadence Info - 01/2022)
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