À PARIS, LES « ANNÉES FOLLES » ONT LE SWING
Depuis les années 30, les Français prisaient le swing, musique au courant populaire qui enchantait depuis longtemps les clubs de Saint-Germain-des-Prés et d’ailleurs. Aux États-Unis, les musiciens communiquaient avec virtuosité leur génie, défiant fort à propos les préjugés dont ils étaient victimes. La France adoptera un temps le modèle américain avant d’expérimenter sa propre voie, du jazz manouche cher à Django Reinhardt jusqu’aux big bands, tels ceux de Jacques Hélian ou de Claude Ventura.
Avant la seconde guerre mondiale, la culture musicale française – quoiqu’on en dise – n’était pas recroquevillée sur elle-même. Les gens dansaient déjà sur les danses venues de l’autre côté de l’atlantique (le charleston des « Années folles » a certainement été la danse la plus représentative).

Plusieurs lieux accueillaient le jazz. À Paris, les quartiers des Champs-Élysées et de Montmartre possédaient quelques clubs qui sont devenus aujourd’hui célèbres : Le Bœuf sur le Toit, où l’on pouvait entendre le duo Jean Wiener et Clément Doucet, et à l’occasion y croiser des personnalités comme Cocteau, Claudel ou Stravinsky ; Le Grand Duc, situé du côté de Pigalle. Ada Smith surnommée « Bricktop » en raison de sa chevelure rousse venait y chanter (amie de Scott Fitzgerald et de Cole Porter, elle ouvrira en 1929, le Brick Top’s, un club qui proposait des concours de charleston) ; enfin le Théâtre des Champs-Élysées, surtout célèbre pour avoir accueilli la "Revue nègre" à laquelle participait Joséphine Baker en 1925. Même si elle n’était pas une chanteuse de jazz, Joséphine Baker a contribué à familiariser les Français au swing. Dans la troupe se trouvait un jeune saxophoniste du nom de Sidney Bechet qui allait devenir célèbre après la guerre.
LES GRANDS ORCHESTRES SWING
Dans la France des années 20, à l’image des États-Unis, la musique s’exprimait à travers les grands orchestres de danse. Ceux-ci étaient marqués par la forte immigration, celle des Russes qui fuyaient la révolution d’octobre, mais aussi celle des Tsiganes et des Arméniens. Les Parisiens appréciaient ce paysage musical qui s’enrichissait chaque jour de mélodies folkloriques et de nouveaux rythmes.
Si Gregor Kelekian est souvent cité par les historiens comme étant la personne qui inventa le grand orchestre de jazz français (Stéphane Grappelli et Alix Combelle feront un temps partie de l’orchestre Gregor et ses Grégoriens), c’est surtout lui qui lancera dès 1929 Revue du jazz, la première publication consacrée au jazz.
Au cours des années 30, Kelekian est loin d’être le seul musicien à défendre la tradition du grand orchestre de jazz en France. L’accordéoniste Gus Viseur deviendra le spécialiste des valses gitanes tandis que le trompettiste et arrangeur Aimé Barelli sera l'autre figure montante du jazz swing en participant à la formation "Jazz de Paris". Cependant, pour le public parisien, le nom le plus populaire de cette époque est certainement Ray Ventura. Personne n’a oublié sa célèbre chanson Tout va très bien Madame la marquise ? repris en chœurs par ses collégiens. Et si quelques chansons légères comme celle-ci font partie de son répertoire, Ventura n’a jamais caché l’attachement qu’il portait aux grandes formations anglaises et américaines, notamment celles de Duke Ellington et de Paul Whiteman.
C’est aussi durant ces années-là que le jazz français va obtenir ses lettres de noblesse en vulgarisant le jazz manouche. Aussitôt un nom surgit : Django Reinhardt. Grâce au Hot Club de France, la guitare et le violon des autodidactes ne sont plus les instruments pauvres du jazz. Ils swinguent et le font savoir, au point que des musiciens américains comme Benny Carter, Bill Coleman ou Coleman Hawkins n’ont qu’une idée en tête, jouer avec le maître du swing gitan. L’impact est historiquement si grand, si représentatif, que bien des années plus tard, le cinéaste Woody Allen, connu pour être également un grand amateur de jazz d’avant-guerre, lui rendra hommage à travers son film Accords et désaccords.
JAZZ DANS LES QUARTIERS DE PARIS
Aujourd’hui quelque peu oublié, le clarinettiste et saxophoniste Claude Luter restera toujours aux yeux du grand public comme le bras droit de Sidney Bechet. C’est lui qui inaugura en 1949 l’ouverture du Vieux Colombier (à Saint-Sulpice), et c’est pendant le "Festival de Paris" qu’il rencontrera Sidney Bechet. Tout comme son aîné, Luter était un spécialiste du vieux style de La Nouvelle-Orléans. Parfois le maître et l’élève se produisaient ensemble. Jusqu’à sa disparition en 2006, le chef de file de l’orchestre "Les Lorientais" restera fidèle à la musique qui le rendit populaire.
Pour Bechet, Paris est d’abord une histoire d’amour. Le futur auteur de Petite Fleur reviendra en France 30 ans après en avoir été expulsé pour un grave délit, celui d’avoir tiré au revolver sur un des musiciens quand il jouait dans la Revue Nègre. « Je sentais quand je m’installai en France que j’étais plus près de l’Afrique, et, partant de là, que j’étais plus près de ma famille » dira-t-il dans ses mémoires (La musique, c’est ma vie – La Table Ronde, 1977)
À Paris, de nombreux jazzmen immigrés, oubliés chez eux, retrouvaient du travail. C'est ainsi que les pianistes Memphis Slim et Bud Powell (génie instable victime de la drogue et protégé par le mécène Francis Paudras), ainsi que le blueman Luther Allison finissaient par animer les soirées du quartier Latin ou de Montparnasse. De son côté, le célèbre trompettiste Miles Davis, s’y éprit de Juliette Gréco, n’avait jamais voulu vivre sur les bords de la Seine. « J’adorais vraiment la ville, mais en visiteur… Les musiciens qui s’y installaient me semblaient perdre quelque chose, une énergie, un mordant que leur apportait la vie aux États-Unis. ».
LE JAZZ DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS
Saint-Germain-des-Prés représente, aux yeux du plus grand nombre, le quartier de Paris où le jazz s’anima durant les années 50 et 60. Le 17 avril 1946, l’inauguration du club Les Lorientais – cave dépendant de l’hôtel des Carmes – lança la mode. Un musicien doté d'une plume habile hantait le lieu et allait bientôt drainer autour de lui le mythe de Saint-Germain.
Il s’appelait Boris Vian et était célèbre pour avoir écrit L’Écume des jours et quelques chansons soi-disant 'mineures' comme le nonchalent J’suis snob ou le cocasse Le blues du dentiste (chanté par Henri Salvador). Le trompettiste Vian accompagna ainsi la révolution du jazz par son sens de la dérision. Il contribua également à faire du club Tabou, un haut lieu du Tout-Paris. Vian a surtout laissé de nombreux écrits sur la musique dans sa célèbre revue de presse publiée dans le mensuel Jazz Hot (de 1946 à 1958). Sa personnalité, mélange d’ironie caustique, et de second degré, reste emblématique d’une époque heureuse.
Par S. Koechlin (Cadence Info - 03/2016)
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