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JAZZ ET INFLUENCES

LE JAZZ EN FRANCE, UNE MUSIQUE SANS FRONTIÈRES

La France, terre d’accueil, le mot n’est pas vain quand on évoque le jazz. Notre pays fera plus que l’accueillir. Les musiciens français seront parmi les premiers en Europe à l’assimiler et à en faire une musique sans frontières…


UN JAZZ SWING D’AVANT-GUERRE

En 1935, Hugues Panassié et Charles Delaunay, deux ardents défenseurs de cette musique, créent 'Jazz Hot', la première revue française consacrée au jazz. Le swing est dans l’air, et la chanson récupère le pouvoir communicatif de cette musique à travers des artistes comme Charles Trenet ou Jean Sablon.

Juin 1944. Le débarquement voit l’arrivée sur le sol français des troupes américaines. Dans leurs bagages, une musique les accompagne : le jazz. Sitôt le conflit résolu, la scène parisienne a une seule préoccupation, celle d'inviter les musiciens noirs à se produire, voire à y résider. Dès lors, un lien solide va se nouer entre musiciens américains et français...

Le music-hall succombe et rentre dans la danse, jusqu’à contaminer les fosses d’orchestre où de brillants jazzmen font entendre leur lyrisme chaleureux. Les orchestres français de Jacques Hélian, Ray Ventura et Alix Combelle confirment, tandis que les studios d’enregistrement permettent d’étonnantes rencontres entre musiciens de jazz français et noirs américains de passage.

© pixabay.com

Loin du tumulte parisien, le manouche Django Reinhardt inscrit en lettre d’or le nom de la France à l’étranger. Musicien autodidacte formé à l’école du bal musette, le guitariste imprime sa marque en utilisant ses propres codes sans succomber séance tenante à ceux très puissants du jazz américain. Son compagnon de route, le violoniste Stéphane Grappelli, complétera à merveille l’esprit initié par Django à travers le Quintette du Hot Club de France.

Cette dynamique constituée uniquement d’instruments à cordes entraîne et éveille d’autres passions, notamment chez les accordéonistes qui vont pour la première fois avoir l’occasion d’élever leur instrument en dehors des frontières du bal. Guy Viseur, Jo Privat, Tony Murena deviennent les acteurs d’un jazz musette typiquement « Frenchy », redonnant à la valse et à la marche d’autrefois une nouvelle jeunesse.


UN NOUVEAU COURANT JAZZ : LE BOP

Après quatre années d’occupation, la France, à peine réveillée, renoue avec le jazz en débordant d’enthousiasme et d’ambition. Les G.I. était venus avec leur grand orchestre et personne ne voulait, au fond, que cela se termine. Cependant, l’école du swing qui régnait depuis plus de 20 ans a désormais face à elle un solide concurrent : le bop ; un jazz intellectuel, agressif et technique, joué en petit comité ; un style défendu bec et ongle par Boris Vian, Charles Delaunay et André Hodeir dans la revue 'Jazz Hot'.

Cette dualité entre classicisme et modernité - si l’on peut l’exprimer en ces termes -, durera jusqu’au début des années 60, une période charnière parfaitement illustré à travers le quartier Saint-Germain-des-Prés, ses caveaux et ses joutes interminables jusqu’au petit matin. Dans ces lieux exigus, musiciens américains et français rivalisent d’audace. L’école swing – celle du saxophoniste Lester Young – rencontre le langage bop – porté par le pianiste Bud Powell ou le saxophoniste Charlie Parker.

Pour les musiciens américains, les jazzmen français sont d’excellents sidemen. La musique bop permet la fusion, la rencontre, les échanges. Les Français épousent le jazz américain sans fausses notes, jusqu’à s’identifier à leurs idoles. Les pianistes Maurice Vander, Georges Arvanitas, les saxophonistes Barney Willen et Guy Lafitte s’épanouissent dans cette nouvelle musique venue de l’autre côté de l’Atlantique. D’autres, au contraire, recherchent des voies plus personnelles, un jazz typiquement français qui s’éloignent du moule original. Les pianistes André Hodeir et Martial Solal feront beaucoup pour que leur concept se fasse connaître par-delà les frontières.

Mais à l’orée des années 60, la jeunesse française écoute le rock’n’roll et danse sur le twist ou le madison. Le bop, le hard-bop puis le cool s’essoufflent. De nombreux musiciens de jazz préfèrent alors courir le « cacheton » dans les orchestres yéyé. Un tel remède est bien plus lucratif et plus sûr, d’autant plus que le free jazz venu des States vient de perturber toutes les règles en vigueur...


LE JAZZ DES ANNÉES 60/70

Le free jazz, véritable cri de révolte d’une jeunesse noire américaine, encourage l’affranchissement des sensibilités musicales à l’égard des grands frères. Alors que l’Amérique est toujours en proie avec ses vieux démons : racisme, injustice, ghettoïsation… en France, l’esprit est tout autre. Pays de culture et de transgression, les musiciens français écoutent et adaptent à leur façon tout ce qui vient des States.

Le New Thing et les instruments électriques transfigurent l’image du jazz. La musique pop a sa part de responsabilité. Jimi Hendrix, Sly and the Family Stone, James Brown influencent comme jamais le trompettiste Miles Davis. L'ex-musicien bop ouvre la voie, engage de jeunes musiciens (Keith Jarrett, Chick Corea, John McLaughlin…) et les puristes crient au scandale. La disparition des codes, la diversification des pratiques et des langages fractionnent le paysage jazz. Rien ne sera plus pareil !

Le jazz produit ses écoles et ses indépendances. Le pianiste François Tusques, le trompettiste Bernard Vitet, les saxophonistes Michel Portal, Jean-Louis Chautemps, François Jeanneau, les bassistes Jean-François Jenny-Clark et Bernard Guérin, le batteur Aldo Romano, échafaudent des carrières indépendantes tout en provoquant des expériences collectives. L’improvisation devient le maître mot. Celle-ci abandonne les rencontres impromptues et focalise son énergie dans l’intensité des échanges, à l’exemple du Workshop de Lyon, du Cohelmec Ensemble ou de la Compagnie Lubat. Le Folklore, bien réel ou réinventé de toutes pièces, devient à l’occasion un terrain de jeu quand ce n’est pas une quête. Véritable « possession communicative », l’improvisation concrétise désormais ses facettes dramatiques ou lyriques par des actions scéniques appuyées et tranchantes.

Alors que les aspirations de mai 68 s’éloignent, comme aux États-Unis, le jazz français tente de se renouveler. Une scission voit s’opposer un mouvement autonome hérité du free et des musiciens plus enclins à emprunter des voies plus classiques pour asseoir leur carrière. Pour autant, le jazz français trouve matière à rebondir, notamment avec Jean-Luc Ponty qui renouvelle la pratique du violon jazz. Son passage chez Frank Zappa, son usage du violon électrique hérité du jeu coltranien, lui permet d’avoir une brillante carrière aux États-Unis et de faire naître bien des vocations auprès d’autres violonistes (Didier Lockwood, Dominique Pifarely…).

Des instruments délaissés reviennent également au premier plan : l’accordéon, celui de Richard Galliano ou de Marcel Azzola, mais aussi l’orgue Hammond avec Eddy Louiss qui s’impose comme l’un des grands maîtres de l’instrument avec sa musique teintée de ses Antilles natales. À l’écart des catégories établies, on peut citer le trio constitué par Daniel Humair (batterie), Henri Texier (contrebasse) et François Jeanneau (saxophone). Celui-ci possède un parfait équilibre, entre une libre improvisation et une rigueur de la métrique qui fait parfois défaut à certains emportements propres au free jazz. Cet engagement est d’ailleurs partagé par de nombreux musiciens français comme Jean-François Jenny-Clark ou Aldo Romano.

Pour autant, ces nouvelles orientations ne mettent pas à l’index les grandes figures du jazz français des années 60. À la fin des années 70, le pianiste René Urtreger (pianiste dans la BO Ascenseur pour l’échafaud auprès de Miles Davis) aura une seconde carrière en étant au cœur de l’avènement du jazz néoclassique. Le bop est aussi revisité par les trompettistes Eric Le Lann, Jean-Loup Longnon, le saxophoniste Sylvain Beuf et le pianiste Alain Jean-Marie. C’est aussi l’époque des duos, d’un jazz intimiste et très prisé dans les clubs de la capitale (Mas/Alvim, Caratini/Fosset, Couturier/Céléa, Escoudé/Grailler). Même le jeune pianiste Petrucciani succombera à l’exercice des années plus tard en compagnie de l’organiste Eddy Louiss (Conférence de presse - 1994).

Parallèlement aux duos et aux petites formations, les grands orchestres sont toujours là et donnent de la voix. Outre l’indétrônable orchestre de Claude Bolling, subsistent d’autres big bands dont la qualité est à souligner : celui d’Ivan Julien, mais aussi de Claude Cagnasso et de François Jeanneau. La prolifération des talents qu’ils contiennent (Laurent Cugny, Antoine Hervé, Denis Badault…) va conduire le ministère de la Culture à appuyer la création d’un orchestre unique en son genre, avec un personnel renouvelable chaque 3/4 ans et porteur de projets originaux, l’Orchestre National de Jazz (ONJ - 1986).


LE JAZZ FRANÇAIS AUX LENDEMAINS DES ANNÉES 80

Les années 80 donnent naissance à une intellectualisation et à une mise en forme de l’enseignement du jazz. La France tente de suivre la voie tracée par les Universités américaines, mais avec des moyens beaucoup plus dérisoires et une volonté parfois discutable. L’effondrement des barrières entre les genres favorise la pratique de l’improvisation en dehors des conservatoires, avec une nette préférence pour les musiques issues du rock. Une nouvelle génération de musiciens à la technique éblouissante émerge…

Entre une esthétique ECM, une pop music assumé et un rock plus progressif que jamais, de nombreux jazzmen abandonnent un free insaisissable et un bop passé de mode. Dans les festivals de province comme en banlieue parisienne se multiplient les projets les plus fous. L’ONJ est passé par là et a provoqué chez certains créateurs des paris audacieux, sans lendemain, plus ou moins réussies et qui se font au détriment des formations régulières.

La distinction entre « créateurs » et « techniciens » n’a plus vraiment grand sens. Le rêve instauré par l’ONJ semble être à bout de souffle. Expérimental certainement, mais pas toujours novateur, l’ONJ aura néanmoins révélé (ou confirmé) un nombre impressionnant de musiciens français parmi lesquels on peut citer : les pianistes Antoine Hervé, Andy Emler, Denis Badault, les guitaristes Marc Ducret et Nguyên Lê, les saxophonistes François Jeanneau et Eric Barret, les trompettistes François Chassagnite et Antoine Illouz, les trombonistes Denis Leloup et Jacques Bolognesi, les contrebassistes Michel Benita et Marc Michel, le bassiste Frédéric Monino, les batteurs Tony Rabeson et Peter Gritz, et le percussionniste François Verly. Trente ans après sa naissance, l’ONJ est toujours là, même si les enjeux ne sont plus vraiment les mêmes.

À la marge, parfois inclassables, existent aussi des formations uniques en leur genre, comme celle de Christian Vander, créateur d’un collectif de musiciens dissemblables rassemblé au sein de Magma. Christian Vander, véritable père fondateur d’une musique pas tout à fait jazz, pas tout à fait rock, mais certainement "made in France", aura accueilli un grand nombre de musiciens brillants dans son univers kobaïen : les pianistes Michel Grailler, François Faton Cahen, Françis Lockwood et Benoît Wideman, le saxophoniste Richard Raux, le bassiste Jannick Top, les batteurs François Laizeau et Simon Goubert, sans oublier le violoniste Didier Lockwood. L’aventure Magma – qui existe toujours – entraînera dans son sillage quelques autres groupes, à l’exemple du batteur André Ceccarelli, entouré de Thierry Eliez aux claviers et de Jean-Marc Jafet à la basse. Soulignons aussi le guitariste Khalil Chahine, à la sensibilité jazz toute différente, heureux de porter à notre connnaissance une musique inspirée par ses racines égyptiennes.


JAZZ ET MÉTISSAGE

Aujourd’hui comme hier, la France (et plus particulièrement la capitale parisienne) attire des musiciens venus des quatre coins de la planète : la chanteuse américaine Dee Dee Bridgewater, le contrebassiste italien Riccardo Del Fra, le saxophoniste danois Simon Spang-Hanssen, le saxophoniste camerounais Manu Dibango ou encore le pianiste antillais Michel Sardaby.

Cependant, qu'ils soient américains, africains ou européens, le fait de résider en France ne leur fait certainement pas oublier leurs racines. Cela est même heureux, car ces expatriés favorisent chacun à leur façon la fusion des rythmes et des harmonies. La rencontre des cultures occidentales, africaines et orientales enrichit le discours et porte à notre connaissance de nouveaux métissages sonores (chants folkloriques, instruments traditionnels...). La musique brésilienne comme la musique venue d’Argentine, d'Europe du Nord, du Moyen-Orient, d’Asie ou d’Afrique résonnent en écho dans la capitale et dans l'hexagone, font écoles et redonnent à la musique jazz une toute nouvelle vitalité en diversifiant son langage.

Si par le passé les échanges étaient trop souvent à sens unique, de nos jours le jazz hexagonal s’exporte très bien à l’intérieur et à l'extérieur de l’Europe. À l'heure où la mondialisation impose ses revers, le langage musical, imperturbable, dilue encore et toujours les sources de conflit. Des collaborations naissent naturellement et des échanges à la portée culturelle évidente se multiplient. Les contacts permanents entre musiciens de différents pays sont significatifs d’une nouvelle situation. Le jazz français en récolte les fruits, entrouvrant ainsi sa personnalité et son originalité comme jamais. Qui s’en plaindrait ?

Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2017)


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