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CHANSON

ANNE GERMAIN, PORTRAIT D’UNE « VOIX FANTÔME »

Disparue en septembre 2016, Anne Germain fit partie de ces artistes que l’on qualifie de « voix fantôme », pour la simple raison que leur talent s’exprime le plus souvent dans l’incognito, à l’ombre des vedettes doublées ou des produits glorifiés en voix off. À l’instar de ses consœurs Christiane Legrand et Danielle Licari, Anne Germain était bien plus qu’une voix qui se « prête », ce portrait a été écrit pour lui rendre hommage.


ANNE GERMAIN, LE BESOIN VITAL DE CHANTER

Anne Germain n’est certainement pas la « voix fantôme » la moins connue de cette obscure profession dont les médias ne soulignent jamais assez la grande importance. La chanteuse ayant souvent remplacé la voix de quelques vedettes du grand écran, on dénombre au début de sa longue liste de doublage cinématographique le nom de Rita Hayworth chantant dans La blonde et la rousse (1957) de George Sidney. Quelques années plus tard, ce sera au tour de Catherine Deneuve dans Les demoiselles de Rochefort (1967) et Peau d’âne (1970) de Jacques Demy. Sa carrière, loin d’être convenue, a œuvré notamment dans de nombreux films musicaux des années 60 jusqu’aux années 80. Sa voix est présente dans Mary Poppins (1964) Les Aristochats (1971) de Walt Disney ou encore dans Annie la petite orpheline (1985). Ajoutons à ces activités les plus représentatives, l’utilisation de sa voix sur des « covers » (reprises de chansons chez Musidisc) ainsi que des disques publicitaires pour le label Multi-Techniques, sous la direction de l’organiste Pierre Spiers.

(source : discogs.com)

Né le 15 avril 1935, Anne Germain n’est pas issue d’une famille de musiciens, bien que sa mère, ses frères et sœurs aiment chanter. Les parents, qui tiennent un hôtel à Montmartre, voient défiler chez eux de nombreux musiciens, des compositeurs et des grands noms de la chanson française : Dario Moreno, Charles Trenet… Dans l’hôtel, traîne un piano. La jeune Anne, attiré par l’instrument, apprend la musique et les bases du chant avec Robert Chauvigny, et grandit en écoutant du jazz grâce aux musiciens de passage. À 16 ans, elle intègre le groupe vocal amateur de son frère. Cette première expérience est d’autant plus capitale qu’elle lui révèle ce besoin vital de chanter, un besoin qui ne va plus la quitter.

Quelques années plus tard, abordant la majorité, la voici projeté comme chanteuse d’orchestre de bal dans un orchestre ou joue Claude Germain, son futur mari. Animant de sa voix les airs à la mode, elle fait danser les gens aux sons d’une valse, d’un boléro ou d’un jerk. Aux fêtes de village succèdent d’autres dates pour des galas, parfois même dans des lieux plus « standing » comme le Palm Beach de Cannes. Anne Germain fait ainsi connaissance du métier de musiciens, sur les routes, entourée de ses amis musiciens.


LA COURSES AUX « CACHETONS »

Au milieu des années 50, le disque est en plein boum. La plupart des musiciens qui entourent Anne Germain fréquentent aussi les studios d’enregistrement parisiens. Ce sont ce qu’on appelle des « requins de studio », c’est-à-dire des musiciens dont le nom n’est pas crédité sur les pochettes, mais qui contribuent grâce à leur « autorité musicale » à faire vivre la chanson comme la musique de films.

Anne Germain suit le mouvement et finit par fréquenter ce milieu, un monde clos, plus clos que la scène et où seule la compétence, la promptitude à réagir, à être efficace, vous fait remarquer. Dès lors, la chanteuse participe aux chœurs. Dans les studios, les chanteurs populaires, des grands comme Henri Salvador, Jacques Brel, Charles Aznavour, Gilbert Bécaud ou Léo Ferré, côtoient les nouveaux venus comme Claude François, Sylvie Vartan ou Johnny Hallyday.

Pas le temps de s’ennuyer, car pour Anne Germain, la vie musicale s’accompagne d’une cadence infernale. La chanteuse participe à plusieurs sessions dans une même journée avec à chaque fois des employeurs et des lieux différents, sa voix se prêtant à une musique de films pour ensuite se convertir en « voix yéyé » faisant des « Ha », des « Hou » ou des « douwap ». Il faut lire vite et bien et savoir maîtriser le score en quelques minutes. À cela, il faut rajouter les performances scéniques du soir sur les scènes parisiennes où, du fond de la scène, caché dans la pénombre, surgisse des chœurs venus soutenir la vedette.

La télévision joue aussi son rôle en « nourrissant » ces musiciens de première main qui, soit dit en passant, devaient être aussi prompt à jouer de leur instrument que d’avoir à enfiler leur costume dans les coulisses en quatrième vitesse ! Aux « 36 chandelles » de Jean Nohain, succèdera « Le palmarès de la chanson » de Guy Lux au milieu des années 60, une émission de variété populaire dans laquelle Anne Germain participera à de nombreuses reprises, ce qui lui permettra de voir défiler devant ses yeux toutes les grandes vedettes que compte la chanson française.

Toute cette activité, sans relâche ou presque, permettait d’appartenir à un cercle et d’avoir son nom écrit quelque part dans le carnet d’adresse d’un producteur, d’un arrangeur ou d'un chef d'orchestre. Les voix publicitaires font également partie des activités que la profession pouvait envisager et, comme d’autres, Anne Germain prêtera sa voix chantée à quelques produits aujourd’hui disparus. Mimi Perrin, Christiane Legrand (la sœur de Michel Legrand) ainsi que Danielle Licari, toutes trois chanteuses, croiseront la route d’Anne Germain à de nombreuses reprises et feront, comme elle, la course au cachet.


LA PARENTHÈSE JAZZ

Quand c’était envisageable, le jazz vocal entrait en compétition « comme un outsider », à la façon d’un cadeau partagé qui permettait de s’évader vers une musique plus audacieuse. Au tournant des années 60, Christiane Legrand, Mimi Perrin et Anne Germain se lanceront dans un jazz avant-gardiste. Mimi Perrin, la première, écrira des textes en reprenant à la note près des solos de saxophone ou de trompette à coup d’onomatopées. Dès 1959, elle démontrera grâce au groupe vocal mixte ‘Les double-six’ tout le potentiel de sa créativité et de sa connaissance de la langue française en utilisant les possibilités récentes du re-recording (Christiane Legrand participera également à l’aventure).

Si ‘Les double-six’ suivent les traces inaugurées par le trio 'Lambert-Hendricks-Ross', de son côté, Anne Germain rejoint le groupe de jazz vocal ‘The Swingle Singers’. Conduit par Ward Swingle qui s’occupe des arrangements, place est donnée au scat qui fait fureur dans le jazz depuis qu’un certain Louis Armstrong a inauguré le style. La formation comprend : Christiane Legrand, Jeanette Baucomont (soprano), Claudine Meunier, Anne Germain (alto), Claude Germain (le mari d’Anne, ténor), Jean Cussac et Jean-Claude Briodin (basse). Tous étaient des musiciens de studio sachant parfaitement lire la musique et capable de lui donner le souffle indispensable pour transcender les écritures de façon extraordinaire, sans être de pures voix lyriques comme dans l’opéra.

Interchangeables, qu’ils proviennent des ‘double-six’, des ‘swingle singers’ ou d’autres groupes, ces chanteurs et chanteuses se chargeront d’assurer un grand nombre de « background vocal » dans la chanson, mais aussi dans le cinéma, ce qui conduit Anne Germain à participer à la première aventure cinématographique du tandem Michel Legrand/Jacques Demy, ‘Les parapluies de Cherbourg’ en 1964, et aux autres films qui suivront.


EXTRAIT DE LA BO DU FILM CHOBIZENESSE (1975)

LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT

Dans le film mi-parlé/mi-chanté ‘Les demoiselles de Rochefort’, la perfection est si grande, le rapprochement des voix si réaliste, que personne ou presque n’imagine en voyant Catherine Deneuve que ce n’est pas elle qui chante. Le public est encore sous l’influence des comédies musicales en provenance de Broadway et de Hollywood, et il prend pour authentique tout ce qu’il entend et voit.

Cette appropriation si naturelle et ce modernisme dû à la plume de Michel Legrand sont nettement influencés par les arrangements qui sévissent alors aux États-Unis et où le « background vocal » n’est plus assuré par des chœurs d’opéra, mais par des chanteurs issus du jazz ; le swing est d’ailleurs omniprésent dans la musique de Michel Legrand. On remarque également que toutes les séquences chantées restent justes, dans le ton. Les chansons enregistrées avant le tournage du film se calquent parfaitement à l’écran dans le jeu expressif des comédiens. Comment s’explique un tel résultat ? Qu’est-ce qui permet à la voix d’Anne Germain de faire illusion quand Catherine Deneuve chante ?

Alors que dans le précédent film ‘Les parapluies de Cherbourg’ tous les dialogues sont chantés (c’est la voix de Danielle Licari qui double Catherine Deneuve), ‘Les demoiselles de Rochefort’ prend pour partie d'être fidèle à la comédie musicale en alternant dialogue et chanson. Il devenait impératif pour Michel Legrand de rechercher un timbre de voix chanté aussi proche que possible de celui de Catherine Deneuve quand elle ne fait que parler. L'audition passée, le fait qu’Anne Germain ait pour autre talent d’avoir des facilités dans le domaine de l’imitation fit pencher la balance en sa faveur (la qualité des nombreux « covers » qu’elle a enregistré en atteste).


HOMMAGE À ANNE GERMAIN
Un montage réalisé par Rémi Carémel, ami d’Anne Germain, qui rend ici hommage à la chanteuse à travers plusieurs extraits de ses apparitions à la télévision comme soliste, choriste ou membre de groupe vocal, d’autres issus de ses performances pour le 7e art (Peau d'âne, Les Demoiselles de Rochefort, L'île aux enfants), sans oublier les doublages (Annie, La blonde ou la rousse, L'Extravagant Docteur Dolittle, Un violon sur le toit, Les Aristochats, Popeye).



UN SENTIMENT D’HUMILITÉ

« Prêter » sa voix ? On pourrait imaginer que l’ego de l’artiste puisse être atteint, être agacé par cet aspect « incognito » que soulève l'activité, mais pour Anne Germain qui s’est si souvent prêtée au jeu, il n’y avait là aucune véritable frustration, mais uniquement le reflet du travail bien accompli. C’est tout simplement ce qu’on attendait d’elle, tout comme pour les autres musiciens qui font leur « job » conscencieusement et qui restent pour le grand public de parfaits inconnus ; une véritable leçon d’humilité, de modestie et de servitude envers un art pour lequel le respect compte autant que la performance.

Bien que des occasions se soient présentées, Anne Germain ne se lancera jamais dans une carrière solo. La chanteuse a préféré un rapport différent avec la musique, certainement moins exposé et ne sacrifiant pas tout, au seul fait que le talent vous y pousse. Anne Germain protégeait sa vie de famille. Ces choix lui ont permis d’être plus disponible, de vivre sa passion avec ou sans son mari, et d'avoir une marge de liberté tout en gagnant correctement sa vie.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2018)


SÉLECTION D’ARTISTES ET PARTICIPATION STUDIO ET SCÈNE

CHANSON

  • Brigitte Bardot
  • Charles Trenet
  • Claude François
  • Gilbert Bécaud
  • Henri Salvador
  • Hugues Aufray
  • Jacques Brel
  • Jean Gabin
  • Jean Sablon
  • Johnny Hallyday
  • Léo Ferré
  • Maurice Chevalier
  • Orchestre Armand Migiani
  • Orchestre Benny Vasseur
  • Orchestre Bob Quibel
  • Orchestre Caravelli
  • Orchestre Frank Pourcel
  • Orchestre Jean-Claude Petit
  • Orchestre Paul Mauriat
  • Orchestre Quincy Jones
  • Orchestre Raymond Lefevre
  • Sheila
  • Tino Rossi
  • Tom Jones

GROUPES VOCAUX

  • Les Angels
  • Les Barclays
  • Les Masques
  • Les Parisiennes (Claude Bolling)
  • Les Riffs
  • Les Stardusts
  • The Swingle Singers

CINÉMA ET COMÉDIE MUSICALE

  • Alexis Weissenberg
  • Claude Bolling (Borsalino, Arsène Lupin)
  • François de Roubaix
  • Gabriel Yared
  • Georges Delerue
  • Michel Colombier
  • Michel Legrand
  • Michel Magne/Jean Yanne
  • Raymond Lefevre (Le gendarme de Saint-Tropez)
  • Vladimir Cosma
  • Roger Pouly/Christophe Izard (L’île aux enfants)
  • Serge Gainsbourg

Citons également les participations à des doublages de films étrangers qui mettent en valeur son talent de comédienne : My fair lady (1964), Olivier ! (1968), L’apprentie sorcière (1971), Robin des Bois (1973), Le shérif est en prison (1974), Les Aventures de Bernard et Bianca (1977), Popeye (1980), Annie (1982).

À CONSULTER

ANNE GERMAIN, DANS L’OMBRE DES STUDIOS


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