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MUSIQUE DE FILMS

MICHEL LEGRAND : "LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT" ET SA SUITE ORCHESTRALE POUR BIG BAND JAZZ

À l'occasion du 50e anniversaire de la sortie du film « Les Demoiselles de Rochefort » de Jacques Demy, le compositeur Michel Legrand a écrit tout spécialement une suite orchestrale jazz inspirée par les chansons du film...


LA PETITE HISTOIRE DES « DEMOISELLES DE ROCHEFORT »

Nous sommes en 1967. Michel Legrand et Jacques Demy se lancent un pari : celui de reconduire le succès des Parapluies de Cherbourg réalisé trois ans plus tôt, mais à travers un film au style bien plus enjoué, gai et entraînant. À cette époque, le pari est risqué, car en France, la comédie musicale n’a pas l’adhésion d’un vaste public comme aux États-Unis. Elle reste anecdotique. D’ailleurs, la grande force des Parapluies de Cherbourg - et ce qui en a fait son originalité - a été d’aller au-delà de la pure comédie musicale en étant chantée de bout en bout. Un fait rare, unique comme surprenant. Or, pour Les Demoiselles de Rochefort, il n’en sera rien, car le fond du film se veut proche de la comédie musicale de Broadway, avec de la danse et des chansons entrecoupées par des dialogues.

Pour Michel Legrand et Jacques Demy, la présence d’artistes américains tombait sous le sens. Oui, mais faire appel à qui ? Et qui accepterait de travailler avec des gens du cinéma français, même quand on s’appelle Jacques Demy ou Michel Legrand ? Jacques Demy est pourtant un de ces touche-à-tout capable de s'illustrer aussi bien comme réalisateur et scénariste que comme dialoguiste, parolier, producteur et acteur. Quant à Michel Legrand, il a déjà son nom inscrit comme musicien arrangeur dans le monde du jazz, notamment pour avoir travaillé aux États-Unis avec la crème de la crème : John Coltrane, Miles Davis et Ben Webster.

Legrand et Demy pensent tout de suite à ces deux noms incontournables de la comédie musicale américaine que sont Fred Astaire et Gene Kelly. Ce dernier, qui fait les beaux jours de Broadway depuis les années 50, semble être le personnage adéquat. Le comédien d’un Américain à Paris (musique Georges Gershwin) et de Chantons sous la pluie (Singin' in the Rain) possède un brillant palmarès. Contre toute attente, Michel Legrand et Jacques Demy prennent l’avion pour une entrevue avec la vedette et finissent par obtenir son plein accord.

Toutefois, si Gene Kelly est la grosse vedette américaine, le reste de la distribution est essentiellement français : Catherine Deneuve et Françoise Dorléac sont les sœurs jumelles desDemoiselles de Rochefort, tandis que Danielle Darrieux, Michel Piccoli et Jacques Perrin jouent les seconds rôles. Pour Jacques Demy, Les Demoiselles de Rochefort se doit d'être un film qui, certes, s'inspire des comédies musicales américaines par sa forme, mais qui conserve avant tout, sur le fond, une identité bien française : le lieu où se situe l'action, le cadre, les mœurs, etc.

Dans Les Demoiselles de Rochefort, Michel Legrand jouit d'une totale liberté et ne se prive pas de laisser éclater son amour pour le jazz. Pour le doublage des chansons, il fait appel à des chanteurs et chanteuses qu’il connaît bien pour avoir déjà travaillé en sa compagnie : la regretté Anne Germain, Jacques Revaux, surtout connu comme compositeur (coauteur avec Claude François de Comme d’habitude) et sa propre sœur, Christiane Legrand, qui participa un temps au fameux groupe vocal Les Double Six de Mimi Perrin.

La musique swingue et les paroles des chansons écrites par Jacques Demy semblent être irremplaçables, tellement leurs tournures et phrasés s’intègrent au déroulement du film. Cette évidence qui, au demeurant n’en est pas forcément une, devait apporter à la langue de Molière un nouveau sens. Cette planification de notre chère langue vis-à-vis de l’anglais faisait ainsi reculer de quelques pas la "dictature" imposée par le style. Une victoire esthétique qui trouve son épicentre dans la Chanson des jumelles en associant au texte, et de façon très originale, le nom des notes de la mélodie.


LA CHANSON DES JUMELLES (CATHERINE DENEUVE ET FRANÇOISE DORLÉAC)
(extrait du film Les Demoiselles de Rochefort)


L’HOMMAGE DE MICHEL LEGRAND AU GRAND REX

Pour célébrer le 50e anniversaire du chef-d’œuvre de Jacques Demy, la mythique scène parisienne du Grand Rex est choisie. Une projection du film suivit d’un concert sont programmés et deux dates retenues : le 29 septembre et le 30 octobre. Le compositeur Michel Legrand, auteur de la BO est l'animateur, le chef d'orchestre de la soirée.

Pour lui, un demi-siècle plus tard après la sortie du film, il n’était pas souhaitable d’interpréter la bande-son sans autre aménagement. L’occasion était trop belle pour en rester là. Dépoussiérer les chansons, leur apporter une nouvelle couleur qui les sorte de leur contexte original, ne pouvait que satisfaire l’intéressé, mais aussi le public toujours friand de nouveauté et d’audace.

Non sans une certaine émotion dans la voix, le musicien octogénaire garde bon pied bon œil. Il est le premier à se mettre en danger, à relever les défis. La partition des « Demoiselles de Rochefort » doit être jazz et vraiment jazz ; jusqu’à écrire tout spécialement une suite autour de quelques thèmes porte-bonheur. Un big band des plus classique est convoqué avec bien sûr Michel Legrand au piano. « On va s'amuser et puis on va montrer que le jazz est dans toutes les partitions de ce film, ce qui me réjouit. », dira le compositeur visiblement amusé. Toutefois, pour aérer le spectacle, Michel Legrand précise qu’au cours du concert, il invitera deux amis artistes à monter sur scène pour interpréter la Chanson de Maxence (en l'occurrence, Melody Gardot et Lambert Wilson).

À 85 ans, Michel Legrand est toujours ravi de voir sa musique honorée ici ou ailleurs. « Que ça me survive, je ne sais pas, vous savez, quand on est mangé par les asticots, ça a moins d'importance je crois, confie-t-il, mais quand on est vivant, c'est très plaisant. »

Aux États-Unis, sa carrière de compositeur pour le grand écran n’est pas un mirage. À partir de la fin des années 60, Michel Legrand a commencé à signer des musiques de films qui sont devenues célèbres : L’affaire Thomas Crown, Un été 42, Le chasseur ou encore Jamais plus jamais, un énième avatar des aventures de James Bond.

Aujourd’hui, le chef-d’œuvre de Jacques Demy reste toujours très vivant. Le réalisateur du film La La land, Damien Chazelle, grand fan des films de Jacques Demy, est allé jusqu’à s’inspirer de la narration, du timing, de l’esprit qui souffle dans Les demoiselles de Rochefort, mais sans la volonté farouche d’en faire un plagiat. D'ailleurs, une telle détermination aurait eu pour évidente conséquence de blesser l'amour-propre de Michel Legrand qui proclame à qui veut bien l’entendre : « Je hais les remakes ! ».

Par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2017)


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