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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

LA RÉVOLUTION ORCHESTRALE DU 20e SIÈCLE, UN NOUVEAU MONDE SONORE

Ils ont pour nom Bartók, Hindemith, Prokofiev, Schoenberg ou Stravinsky et ils ouvrirent la musique orchestrale du 20e siècle à ce qui semblait impossible d’imaginer encore…


DES ŒUVRES ANNONCIATRICES

Après la Grande Guerre, rien ne sera plus pareil, y compris dans le domaine culturel. Les modernistes que sont Bartók, Hindemith, Prokofiev, Schoenberg, Stravinsky et Webern allaient se trouver au premier plan. Tous ces compositeurs avaient pourtant reçu de sages, mais riches éducations musicales. Stravinsky et Prokofiev étaient issus de l’école de Rimski-Korsakov, le musicien autodidacte Schoenberg se voulait le continuateur de Brahms et Wagner, alors que Bartók était un admirateur du langage orchestral de Richard Strauss, mais tous ces compositeurs avaient un désir : celui de s’affranchir de l’esthétique convenue et de cette exagération romantique qui régnait depuis un siècle.

Les quatre années de la Grande Guerre avaient créé une rupture dans le temps, mais elle n’avait certainement pas condamné l’évolution musicale qui s’était produite au tout début du 20e siècle. Un certain nombre d’œuvres annonciatrices du changement avaient déjà vu le jour : Bartók avec Le château de Barbe-Bleue (1911) ; Prokofiev et ses deux premiers concertos pour piano (1912-1913), Schoenberg et ses trois Klavierstücke (1909) et Stravinsky avec Le Sacre du printemps (1913).

Ceux-là mêmes qui avaient porté l’orchestre à des dimensions colossales allaient faire l’inverse. Schoenberg avait amorcé le mouvement en 1906 avec la Kammersymphonie, une symphonie de chambre pour seulement 15 instruments, une œuvre qui devait inspirer des compositeurs de tous pays pendant des décennies. Stravinsky, avec le déploiement des forces élémentaires qu’était Le Sacre du printemps, composa des œuvres plus orientés vers l’orchestre de chambre, y compris L’histoire du soldat « à réciter, jouer et danser » pour 7 instrumentistes. Même Richard Strauss avec son Ariane à Naxos (1912) s’arrêta à un orchestre composé de 36 instrumentistes avec de fréquents solos et des combinaisons variables.

© Pene State (flickr.com) - Igor Stravinsky


LE CAS STRAVINSKY

Avec ses trois ballets : L’oiseau de feu, Pétrouchka et Le Sacre du Printemps, Igor Stravinsky illustre trois manières d’utiliser un grand orchestre. Dans le premier, le compositeur déploie la palette tonale chatoyante héritée de Rimski-Korsakov. Dans le second, il décrit la « scène du marché » par des sons orchestraux richement contrastés. Les fanfares de trompettes et les passages de virtuosité au piano sont particulièrement mis en évidence. Enfin, dans Le Sacre du printemps, les vents et les percussions dominent tandis que les cordes ont une importance secondaire d’un bout à l’autre du ballet (sauf dans les rythmes irréguliers suivant immédiatement l’introduction). Nulle autre œuvre du 20e siècle n’a exercé une pareille influence sur le monde de la musique et il n’y a guère de compositeurs classiques qui y aient échappé.

Pour Stravinsky, il était essentiel de réduire l’instrumentation et de s’affranchir de la formule orchestrale qui avait prévalu durant cent cinquante ans. Stravinsky s’opposait au développement de l’orchestration en tant qu’art indépendant. Pour lui, l’orchestre romantique, coloré, multipliant les voix, ne permettait pas le développement de la pensée musicale, mais la noyait dans un flot d’harmonie.

La musique du passé était de toute évidence encore à l’ordre du jour. Elle donnait priorité à la clarté. Un Bach, un Mozart avaient placé l’orchestre au service de la structure musicale. Chez eux, les caractéristiques de timbre des instruments contribuaient à la diversité et à l’agrément, mais ne jouaient pas d’autre rôle. On pourrait en dire autant de certaines œuvres de Stravinsky composées à partir de la fin des années 1910, quand il essayait une combinaison instrumentale après l’autre.

Curieusement, la suite orchestrale si colorée de L’Oiseau de feu (version de 1919) ne fait appel qu’à un piccolo et un tuba en sus du groupe de vents utilisés par Beethoven dans l’ouverture Leonore III ! Un an plus tard, il composa, à la mémoire de Claude Debussy, l’originale Symphonie d’instruments à vents. Le groupe des vents habituel au début de l’époque romantique, sans cordes ni percussions, est mis ici au service d’une musique austère aux antipodes du romantisme.


IGOR STRAVINSKY : 'LES NOCES' (PREMIER TABLEAU : 'LA TRESSE')
VOIX : Basia Retchitzka, Hugues Cuenod, Lucienne Devallier, Heinz Rehfuss, Jacques Horneffer, Reinhard Peters, Doris Rossiaud, Robert Aubert, Motet de Genève, Vladimir Diakoff · Orchestre de la Suisse Romande, direction Ernest Ansermet

Les Noces (1914-1923), « scènes chorégraphiques russes avec chant et musique », est certainement l’œuvre de Stravinsky à l’instrumentation la plus étrange en ne comprenant ni cordes ni vents, mais quatre pianos et un arsenal de percussions exigeant une demi-douzaine de musiciens. Le compositeur utilise ici les pianos comme des instruments à percussion. En un certain sens, il fait de même avec les voix, avec leur staccato et leurs séquences répétitives. En rupture totale avec le traitement traditionnel de l’orchestre, Les Noces marquent le début de la désintégration tonale qui caractérisera une grande partie de la musique de la seconde moitié du 20e siècle (le Premier Concerto pour piano de Bartók, dans lequel le piano joue aussi un rôle de percussion, sera composé trois ans plus tard).

Stravinsky ne cessera de varier les combinaisons orchestrales dans ses œuvres postérieures : la Symphonie de psaumes (1930) où il utilise des vents et 2 pianos ; le concerto Dumbarton Oaks (1938) qui fait référence aux Concertos brandebourgeois de Bach ; ou encore l’Ebony concerto (1945) pour cinq saxophones, cinq trompettes, cor, trois trombones, percussion, piano, harpe guitare et cordes qui sera une commande pour un jazz band.

L’influence de Stravinsky ne doit donc pas se limiter seulement à l’incontournable Sacre du printemps, car elle a été considérable et s’est exercée dans bien des domaines. Il a apporté aux orchestrations une quantité d’idées neuves sur leur composition et utilisation. Nombre d’autres compositeurs ont pris part à cette « entreprise de régénération », mais aucun d’une manière aussi universelle.


LES CAS SCHOENBERG ET WEBERN

À partir des années 1920, Schoenberg accède à la notoriété pour sa nouvelle technique de composition à 12 sons, mais si celle-ci n’est pas destinée particulièrement à l’orchestre, ce sera le cas d’une autre de ses idées, la « mélodie des timbres ». Selon lui, de même qu’une mélodie ordinaire s’obtient en faisant varier la hauteur des sons, on peut en créer une en changeant les combinaisons de timbres et la puissance sonore relative des instruments. L’exemple le plus connu est la troisième des Cinq pièces pour orchestre (1923), un mouvement qu’il intitule « Couleurs ». Ses propositions auront peu d’écho, mais seront reprises par les derniers véritables pionniers à ce jour, Luigi Nono et Pierre Boulez.

© Munich Philharmonics - Anton Webern

De son côté, Anton Webern aura plus d’influence sur son temps, notamment avec son innovation révolutionnaire qui consista à faire alterner les instruments, ce qui acheva le processus de dissolution graduel ayant marqué l’histoire de l’orchestre. Au début, chaque instrument avait une partie homogène d’un bout à l’autre de l’œuvre. Du temps d'Haydn, le thème était confié successivement à plusieurs instruments. Berlioz et Wagner changèrent d’instrument en cours d’une même mélodie, mais Webern poussa encore plus loin l'idée en les permutant note après note et en changeant même souvent de registre au même moment.


ANTON WEBERN : 'SYMPHONIE' (Op 21)
L'œuvre marque le début d'une période de compression extrême dans la musique de Webern. Dédiée à sa fille Christine, la Symphonie est une œuvre d'économie sévère et d'expression sobre.

Il y a rarement des tutti dans la musique très économique de Webern. On n’entend parfois qu’une partie ou deux. Mélodie, harmonie, rythme et timbres sont aussi changeants que l’image d’un kaléidoscope. L’abondance de poses entre les notes explique le terme utilisé de « musique pointilliste ». Sa seule œuvre intitulée Symphonie (1928), qui dure 10 minutes, est de la pure musique de chambre pour clarinette, basse, deux cors, harpe et quatuor de cordes. L’influence de Webern sera perceptible après la guerre sur des compositeurs tels Boulez, Nono, John Cage, Stockhausen et leurs successeurs.

Par S. Kruckenberg (Cadence Info - 11/2020)

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