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INSTRUMENT ET MUSICIEN


LES PERCUSSIONS ET LEUR UTILISATION DANS LA MUSIQUE

Contrairement aux « musiques vivantes » qui les ont toujours adoptés, les percussions n'ont jamais inspiré les « grands compositeurs ». Jusqu'au seuil du 20e siècle, elles n'interviendront que ponctuellement dans l'intention de produire des effets particuliers pour, par exemple, lancer l'orchestre ou pour renforcer un crescendo. Elles n'avaient pas encore le droit de s'extraire de la masse orchestrale, mais bien au contraire de se fondre dans celle-ci... en théorie !


LES PERCUSSIONS : AMIES OU ENNEMIES ?

Évoquer les percussions, c'est d'abord réaliser un saut dans un passé, quasiment préhistorique, car elles sont, avec le chant (et les cris), les premiers témoignages sonores produits par l'homme. Les os, les bouts de bois, même dans leur fonction primaire, feront office d'instrument, et ce, bien avant que le tambour ne voie le jour et se repende à travers la planète. Bien entendu, cet aspect quasi « sauvage » de l'utilisation de la percussion a desservi et marginalisé cette famille d'instruments quand elle a été au contact de la « musique savante » avec son langage sophistiqué et épris d'érudition. Toutefois, les percussions n'ont jamais disparu de l'histoire de la musique, même si leur usage a finalement clivé les positions, du compositeur de symphonie jusqu'au musicien de rue.

© pxhere.com - Des percussions africaines d'un autre temps ? Pas vraiment !

L'époque médiévale en montre un premier aperçu à travers diverses représentations iconographiques avec ces troubadours jouant des tambours ou du tambourin. Le second provient des compositeurs eux-mêmes qui choisissent de ne pas les transcrire sur partition. Même durant la période baroque, les percussions se feront discrètes. Cette attitude quasi-hostile s'explique par leur usage intensif dans les musiques de rue et les musiques de danse plus que dans le nouvel art, qu'il provienne de Bach ou de Vivaldi.

La musique populaire, et même le théâtre n'ont jamais ignoré leur capacité à enflammer des sentiments contrastés : la colère et la violence, le drame, voire le rire. Mais là où les percussions mettront tout le monde d'accord, c'est sur les champs de bataille pour redonner du courage aux rudes soldats. Encore actuellement, tambour, cymbale et grosse caisse sont présentes, et en nombre, dans les défilés militaires et dans les parades, à côté d'autres instruments très sonores comme les cuivres.

Si l'opéra baroque utilise occasionnellement cymbales et tambourins, le trio d'instruments que sont la grosse caisse, les cymbales et le triangle auront les faveurs des grands compositeurs de la période classique : Mozart avec L'Enlèvement au sérail, Beethoven avec la Neuvième symphonie ou encore Haydn avec la Symphonie militaire. Citons aussi Rossini qui, des années plus tard, fera bon usage de la caisse claire dans son ouverture de La pie voleuse. Toutefois, c'est Hector Berlioz qui sera un des premiers à les utiliser individuellement, de même que le tam-tam et les cloches qu'il ajoutera à sa panoplie. C'est seulement au tournant du 19e siècle, que les compositeurs estimeront enfin les percussions par leur façon de colorer favorablement les orchestrations des vents et des cordes.


LES PERCUSSIONS, DES OUTILS POUR MODELER LA MATIÈRE SONORE

Toutes les percussions ne sont pas à ranger dans le même tiroir. Par le passé, les compositeurs distinguaient ceux qui étaient « bruyants » de ceux qui étaient « sonores ». Ce genre de définition ne convenant pas à tout le monde, il était certainement plus vraisemblable de les classer par catégories en fonction de leur mode de fabrication. C'est ainsi qu'il faut distinguer les idiophones, dont le corps est l'instrument lui-même (genre triangle), des membranophones qui, comme le nom le laisse supposer, est constitué d'une membrane tendue sur un cadre ou un résonateur (genre tambour). À ces deux catégories, viennent s'ajouter les métallophones qui évoquent immédiatement des instruments en métal, à l'image des cymbales que l'on frappe avec une baguette.

Concernant ces familles, il est fondamental de préciser que leur conception conduise à produire des sons à hauteur indéterminés (caisse claire), déterminée (cloche) ou chromatique (carillon), ce qui signifie, dans le dernier cas, la possibilité pour le musicien d'interpréter des mélodies. L'arrivée des instruments appartenant à la branche des claviers, comme le vibraphone ou le marimba permettront de relancer l'usage des percussions au cours du 20e siècle.

Généralement, si les timbales, les tambours ou le triangle font partie de l'instrumentarium de nombreuses symphonies et opéras, cette vision est toutefois réductrice, car les compositeurs eurent recours à des stratagèmes pour diversifier les sons produits par des percussions (ou considérées comme telles). Ce qui suit le démontrent parfaitement : un marteau dans la Sixième symphonie de Mahler, une enclume dans Le Trouvère de Verdi, une machine à écrire dans Parade d'Erik Satie et comble de surprise pour le public, avec des coups de feu dans la polka Auf der Jagd de Johann Strauss. Ces quelques exemples démontrent avant tout que les compositeurs, quelle que soit l'époque (ou le style), n'ont pas attendu que la musique s'enrichisse de nouveaux instruments pour se compromettre aux yeux de leurs contemporains.

© VXLA (wikimedia)

Les percussions seront fréquemment à l'avant-garde de chaque révolution sonore. Déjà, du temps où leur diversité était réduite, les compositeurs, pour élargir la palette sonore de l'orchestre, ne demandaient pas aux percussionnistes de seulement les frapper, mais aussi de les frotter ou de les secouer pour en extraire d'autres sonorités. En proposant des utilisations à la marge des normes établies, et même quand leur emploi était ponctuel, les compositeurs connaissaient parfaitement l'efficacité des percussions à pouvoir survoler la masse orchestrale. Leurs manipulations représentaient un réel défi.


L'USAGE DES PERCUSSIONS S'ACCENTUE AU 20e SIÈCLE

Au départ, le choix d'un instrument repose sur son ennoblissement. Dans une œuvre, il doit être « digne de confiance » en jouant un rôle, même secondaire. Et qui peut décider de cela, si ce ne sont les compositeurs ! Une des premières percussions à être accepté par les compositeurs classiques est la timbale, un instrument emprunté dès la fin du Moyen Àge aux Hongrois qui, eux-mêmes, la tenaient des Arabes. Son utilisation trouve d'abord sa place dans la musique de cour et la musique militaire, avant d'être employée occasionnellement par Lully dans l'opéra, puis de façon permanente dans les orchestres.

À partir du 19e siècle, l'usage régulier de la caisse claire, de la grosse caisse, des cymbales et du triangle s'imposent. Or, sur le fond, rien ne bouge réellement jusqu'au tournant du 20e siècle où, consécutivement à l'apparition du monde moderne, une sorte de frénésie s'empare de quelques compositeurs qui alimentent alors leurs œuvres de diverses percussions. Coïncidence ou conséquence des profondes métamorphoses de la société occidentale et du bruit qui l'entoure, le rôle joué par les percussions s'accentue. Les timbales sont doublées, voire triplées. Les cloches en tubes et à vache, le xylophone et les marteaux font leur entrée et tirent, à leur façon, le signal d'alerte. Le Sacre du printemps et Les Noces de Stravinski impactent les spectateurs et les critiques, tout comme les œuvres composées par Béla Bartók.

Dans un premier temps, les percussions investissent progressivement un espace dans lequel elles peuvent s'exprimer librement, d'abord au sein de l'« orchestre classique », puis indépendamment de celui-ci. Edgard Varèse et John Cage seront les pionniers de ce changement avant que d'autres compositeurs comme Olivier Messiaen, Pierre Boulez ou Stockhausen, ne démontrent leur capacité à les utiliser dans des domaines encore inconnus. Tous ces changements majeurs donneront naissance à des ensembles de percussions permanents et à une surabondance de procédés techniques.

Parallèlement à ces faits, le 20e siècle voit aussi sa gamme d'instruments s'enrichir par l'apport de percussions venues des quatre coins de la planète : Afrique, Amérique latine, Orient... Énumérer la liste serait fastidieux, mais toutes sont parvenues à trouver une place dans la musique, d'abord en étant rythmiquement improvisées, puis écrites dans des œuvres ambitieuses. Précisons toutefois, que les percussions apparues avec le 20e siècle et utilisées dans les orchestres symphoniques, rassemblent aussi bien des instruments de musique que des objets dérivés et récupérés : bouteille, appeaux, bidons, klaxons, etc.


UN TEMPS POUR LA MUSIQUE, UN TEMPS POUR LE TEMPO

Si le 20e siècle ouvre largement ses portes à l'usage des percussions, la technique de jeu a dû s'adapter aux divers changements qu'impose leur utilisation. En effet, nous sommes bien loin de l'époque où les mains seules pouvaient jouer un rôle majeur en étant en prise directe avec les percussions. Pour le percussionniste, il devenait nécessaire d'utiliser des accessoires qui permettent de faciliter la prise en main et d'améliorer les « performances techniques ».

L'arrivée de la baguette (ou du mallet) est une indication précieuse qu'il faut garder à l'esprit, car cet accessoire finalement banal - un manche en bois avec à son extrémité une tête, souvent sphérique - a tout changé dans le jeu du percussionniste. Généralement employé par paire pour faire sonner les timbales, tambours, caisse claire et cymbales, leur utilisation permettra la réalisation de roulements, de nuances subtiles, ainsi qu'une multitude d'effets impossible à réaliser en utilisant la frappe des mains. Par ailleurs, le « percussionniste moderne » se doit d'être polyvalent, étant donné l'abondance des instruments et des techniques réclamées. Si théoriquement, il devrait les maîtriser tous, dans les faits, il se spécialise dans un genre donné, par exemple caisse claire et cymbales ou xylophone, vibraphone et carillon.

© Alfred Nitsch (wikiwand.com - le batteur de rock Dean Butterworth.

Le 20e siècle, c'est aussi l'arrivée d'un instrument à part  : la batterie. Omniprésente dans la « musique vivante » (le jazz en premier), elle réunit, pour l'essentiel, des percussions membranophones et métallophones. D'une conception toute nouvelle, elle est surtout la première « percussion » à solliciter l'usage des quatre membres.

Vis-à-vis de son usage et de son développement rapide, la batterie a visiblement stimulé les neurones de ses utilisateurs en centralisant autour d'elle des problèmes spécifiques d'indépendance rythmique. Par ailleurs, sa présence dans les orchestres a modifié en profondeur la relation des musiciens avec le rythme et ses développements. Elle a notamment introduit la rigueur rythmique, une fidélité au marquage du tempo que la musique classique a toujours relativisé. Pour certains musiciens, son utilisation est même devenue un cheval de bataille, les uns lui reprochant son autorité, voire son manque de souplesse à n'envisager que des rythmes métronomiques, alors que pour les autres, la batterie demeure un instrument indispensable à la bonne cohésion de l'orchestre.

EN FORME DE CONCLUSION

À notre époque, les percussions sont présentes dans toutes les musiques et n'ont plus besoin de bénéficier d'un passe-droit pour trouver une place légitime. Leur écrasante domination dans le paysage musical contemporain trouve son aboutissement actuel avec l'arrivée de la boîte à rythmes et du séquenceur ; le premier rassemblant un ou plusieurs kits de percussion, le second mettant au pas les orchestrations. Si leur utilisation réclame bien souvent des compétences de programmeur, ces outils électroniques nous ont fait vite oublier que le rythme est avant tout une matière vivante que la nature nous livre gracieusement. Visiblement, la vigilence de « l'homme moderne », dans son désir de domination, s'est éclipsée. Les rythmes propulsés par son habileté et sa technique marqueraient-ils le pas ?

Par Elian Jougla (Cadence Info - 12/2022)

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