DESCRIPTION ET GÉNÉRALITÉS
Des passionnés d’instruments vous feront remarquer que la viole est une lointaine cousine du violoncelle et de la contrebasse, et qu'elle prenait à cœur de soutenir les basses dans les airs d’opéra ou les cantates lors de la période baroque. J.-S. Bach nommera d'ailleurs l’instrument « violone » (grande viole). Cependant, certains détails significatifs l’éloignent de ses successeurs comme le détail des ouïes en « F » et non en « C », et sa caisse de résonance avec des « épaules » moins « tombantes » et plus arrondies.
Dans un orchestre, la « grand-mère » des instruments à cordes en impose. Avec sa taille qui peut atteindre les deux mètres (modèles 4/4), on la remarque tout de suite. Tout comme le violon et le violoncelle, la contrebasse comprend 4 cordes, mais avec cette nuance que leurs grosseurs et longueurs exigent une tension particulièrement élevée que seul un cheviller équipé d’un système à engrenages hélicoïdaux peut supporter. D’autre part, une pique, à hauteur réglable, permet de poser l’instrument sur le sol, ce qui permet à l’instrumentiste - en station debout – de faire corps avec la contrebasse pour obtenir un jeu plus sûr.
La plupart des contrebasses rappellent la forme du violon, notamment en Italie où est né le violon et où des modèles plus petits ressemblaient à la viole ; mais il va de soi, qu’au fil de son histoire, la contrebasse a vécu quelques transformations… Par exemple, la forme de sa caisse de résonance, parfois proche du violon ou s’en éloignant, variera d’un fond plat à un fond légèrement bombé. De même le nombre de cordes qui, passant de trois à six, se fixera finalement à quatre au cours du 17e siècle (un nombre qui tend à bouger, puisqu'il existe de nos jours des contrebasses expérimentales à 6 cordes. Aux quatre cordes mi/la/ré/sol viennent s'ajouter un do - ou si - grave et un do à l'aigu). L’accord naturel subira aussi des modifications dues à la longueur du manche, et pour éviter d’avoir des notes trop espacées, les luthiers finiront par adopter au 18e siècle l’accord en quartes (mi/la/ré/sol), et non en quintes comme sur le violoncelle (do/sol/ré/la) et le violon (sol/ré/la/mi).
© Arnaud
Remarques
1. L’une des particularités de la contrebasse - mais aussi de la guitare basse qui lui succèdera un temps, pour surmonter les problèmes rencontrés avec l’amplification - est d’utiliser une notation à l’octave aiguë des notes réelles, écrite en clé de fa 4e ligne (ceci pour éviter trop de lignes supplémentaires sur la portée).
2. La note la plus basse de la contrebasse étant normalement un mi, cela présente parfois un inconvénient dans l’exécution de certaines œuvres du répertoire classique. Jusqu’au 19e siècle, le rôle de la contrebasse était essentiellement de doubler la partie de violoncelle dans les passages les plus dynamiques. Or, comme la contrebasse joue souvent une octave au-dessous du violoncelle (qui lui descend jusqu’au do 2), les luthiers ont été contraints de fabriquer des contrebasses possédant une cinquième corde qui descend jusqu'au do 1. Dans de nombreux orchestres contemporains, la moitié des contrebassistes utilisent des modèles à cinq cordes (à l'occasion on se sert aussi d’un dispositif permettant d’allonger la corde de mi). Un exemple connu de l’utilisation de ces notes très basses se trouve dans l’introduction de L’Oiseau de feu de Stravinsky.
Même si l’illustre Beethoven avait déjà écrit des rôles séparés pour le violoncelle et la contrebasse (le trio du scherzo de la Cinquième Symphonie et le grand récitatif dans le final de la Neuvième), ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que les compositeurs octroieront à la contrebasse une partie véritablement indépendante.
LA CONTREBASSE EXPLIQUÉE
Julia Petitjean, contrebassiste cosoliste à l'Orchestre National de Lille, présente son instrument. Une vidéo réalisée par les élèves du BTS audiovisuel du Lycée Jean Rostand à Roubaix.
UTILISATION ET RÔLE DE LA CONTREBASSE EN MUSIQUE CLASSIQUE
L’archet de contrebasse est un signe de la double origine de l’instrument. En Europe centrale et orientale, on le tient paume orientée obliquement vers le haut, comme celui de la viole : c’est l’archet « à l’allemande ». Dans la plupart des autres pays, on tient l’archet avec la paume orientée vers le bas, comme pour le violon ; c’est la tenue de l’archet « à la française ». La tenue de l’archet est une question de tradition. Autrefois, chaque orchestre avait son style ; aujourd’hui, les deux techniques coexistent de plus en plus souvent.
La contrebasse dans l’orchestre symphonique est présente en permanence dans la musique orchestrale depuis le début du 18e siècle où elle a joué un rôle vital dans son développement. Même si la contrebasse n’a jamais rivalisé avec le violoncelle dans le domaine de l’indépendance mélodique, nous pourrions être étonnés de ce constat, sachant qu’elle apporte dans les orchestrations un support solide aux autres instruments à cordes ; une rondeur et une puissance significative qui impacte tout l’orchestre. Comme le piccolo peut ajouter du brillant aux cordes ou aux cuivres, la contrebasse colore et approfondit le timbre dans le registre grave quand elle est associée à un instrument ou à un groupe d’instruments. Parfois elle unit ses forces à celles du tuba, de la clarinette basse ou du basson et elle accompagne avec autant de bonheur les instruments plus légers. À sa décharge, on relèvera aussi que si tous les styles de jeu et tous les coups d’archets exécutables avec un violon sont réalisables sur une contrebasse, l'espacement de ses notes empêche son utilisateur de jouer avec la même agilité (du moins sur le papier).
ÉCRIRE POUR LA CONTREBASSE
Globalement, les œuvres spécialement écrites pour la contrebasse sont confidentielles. Il existe très peu de compositions destinées à la voir briller en soliste ou dans une musique de chambre. Sa sonorité en est généralement la cause ; son volume sonore étant inversement proportionnel à sa dimension. Mozart, dans la dernière année de sa courte existence, sera l’un des rares à se pencher sur l’instrument en composant un aria, Per questa bella mano, pour voix de basse, contrebasse et orchestre.
Saluons les quelques contrebassistes émérites qui tenteront de poser un autre regard sur l'instrument, en construisant une autre philosophie instrumentale digne de souligner ses qualités sonores. De cette ambition naîtront quelques concertos. Malheureusement, ces œuvres n'ayant pas été conçues par de grands compositeurs, la plupart n’existeront que pour souligner la virtuosité de l’interprète et ses prouesses techniques. Leur valeur artistique n’est donc pas très grande.
Les principaux concertos d’autrefois sont ceux de Karl Ditters von Dittersdorf, Domenico Dragonetti et Giovanni Bottesini (qui était aussi un chef d’orchestre renommé). On peut y ajouter les doubles concertos de Dittersdorf (pour alto et contrebasse) et de Bottesini (pour violon et contrebasse). Mais le plus connu de tous les concertos pour contrebasse est peut-être celui composé en 1902 par Serge Koussevitzky, vaguement inspiré par Tchaïkovski. Après la Seconde Guerre mondiale, le répertoire de la contrebasse — comme celui d’autres instruments rarement solistes — a fini par s’enrichir : concertos d’Eduard Tubin (Suède), de Einojuhani Rautavaara (Finlande) et de Gunther Schuller (États-Unis). Rajoutons à cette littérature quelques libres adaptations, parfois réussis, comme le concerto de Dvořák pour violoncelle.
KOUSSEVITZKY : CONCERTO POUR CONTREBASSE ET ORCHESTRE
Gary Karr, contrebasse - Orchestre symphonique radiophonique de Berlin, dir Uros Lajovic - Successivement : Allegro/Andante/Allegro
S’il existe peu d’œuvres qui permettent d’apprécier la contrebasse en soliste (les concertos de Bottesini, Drangonetti ou Koussevitzky sont peu enregistrées ou interprétées sur scène), le répertoire classique, au sens large, offre néanmoins quelques cours solos de contrebasse. L’un des meilleurs exemples est Le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns où l’instrument représente l’éléphant (on s’en serait douté !). Un autre exemple avec Schubert qui l’intègre de façon plus posée dans le quintette de La Truite, où la contrebasse se voit associée au violon, à l’alto, au violoncelle et au piano. Enfin, Darius Milhaud et La création du monde (1923). Le compositeur français l’utilise conjointement avec une section de cuivre, dans une fugue volontairement « jazzy ».
Au cours du 20e siècle, de merveilleux interprètes réveilleront la « grand-mère » somnolente en faisant chanter ses cordes : l’Autrichien Ludwig Streicher (1926-2003) et les Français Bernard Cazauran et Jean-Marc Rollez. Remarquable aussi est le talent de Joëlle Léandre qui aborde avec autant de bonheur le répertoire contemporain que la musique improvisée qu’elle accompagne de sa voix.
UTILISATION ET RÔLE DE LA CONTREBASSE EN MUSIQUE JAZZ
Contrairement à la musique classique qui a durablement cantonné la contrebasse dans un rôle purement fonctionnel visant à renforcer le registre des basses, le jazz, par son fonctionnement et son esthétisme, ne négligera nullement les capacités de l’instrument à transcender son rôle d'instrument accompagnateur.
Alors que l’instrument, pour des raisons de puissance acoustique, semble parfois disparaître derrière la batterie et l’ampleur sonore des cuivres, le contrebassiste est pourtant bien-là, et remplit parfaitement son rôle ; la faute aux premières traces discographiques qui sont de piètres qualités et qui ne rendent pas compte de leur présence ou si peu. Cette injustice sonore leur fera dire que leur musicalité était mise au placard pour de sombres raisons techniques.
Mais au tournant des années 40, grâce aux progrès techniques de la prise de son et à l'arrivée d'un jazz joué en petit comité, le jeu des contrebassistes va prendre du relief. Des noms commencent à circuler. Tout retour en arrière semble désormais inimaginable. C’est ainsi que l’insaisissable Charles Mingus (1922-1979), Ray Brown (1926-2002) - le complice du pianiste Oscar Peterson - ou bien Scott LaFaro (1936-1961), l'accompagnateur de Bill Evans, démontreront avec talent que le vieil instrument pouvait échanger d’égal à égal avec le piano et d'autres instruments, mais qu'il était possible pour celui qui le souhaitait d'être désormais à la tête d’un grand orchestre (Ron Carter, Charlie Haden, Charles Mingus, Henri Texier, Patrice Caratini, etc.)
OSCAR PETERSON, RAY BROWN ET NHOP : YOU LOOK GOOD TO ME (Montreux 1977)
Une différence de style qui saute aux oreilles entre les deux contrebassistes. Un style plus mordant avec R. Brown et plus coulé avec Niels Hopiels Orsted Pedersen.
L'AMBASSADRICE « WALKING BASS »
Jusqu’à l’arrivée du jazz bop, le contrebassiste se contentait de jouer à tour de bras des « walking bass », des « basses marchantes » qui ouvrent et qui ferment les harmonies sur lesquelles les solistes pouvaient s’en donner à cœur joie. Pour le contrebassiste, ce n’était guère plus expansif que le « chabada » de la cymbale du batteur, mais les bases expressives du jazz swing imposaient cela. Les jazzmen avaient surtout compris très tôt tout le potentiel qu’ils pouvaient espérer tirer de la contrebasse en exploitant son pizzicato sonore, ce qui, combiné avec une « walking bass » rondement menée, pouvait donner du rythme à une musique qui, sans elle, aurait été beaucoup plus statique.
En s’imposant comme l’une des bases dans la construction de nombreux morceaux de jazz, la « walking bass » devait déborder de son cadre pour envahir progressivement la chanson. La musique jazz étant à la mode, la « basse marchante » de la contrebasse allait résonner derrière la voix des crooners que sont Bing Crosby, Tonny Bennett, Frank Sinatra, Dean Martin ou Sammy Davis. Au même moment, comme aimantée, la France subira le même sort, toutefois avec quelques nuances…
© Platanax - Les mains du contrebassiste de jazz Frederic Bonneau (Orch. Five O'Clock - 2009)
Vous avez certainement tous en mémoire la contrebasse de Pierre Nicolas qui accompagnait Georges Brassens. La « walking bass » s'invitait parfois dans quelques chansons, comme un rendez-vous incontournable qui créait un lien indissociable entre les vers chantés et le rythme de la guitare. Charles Trenet, que le chanteur Sétois admirait, usera du même stratagème sonore, toutefois avec plus de modération que les grands orchestres de music-hall comme ceux de Ray Ventura ou de Jacques Hélian. En fait, cette modernité affichée par l’arrivée du jazz et sa « walking bass » aura cours des années 30 aux années 50 dans la chanson française, mais cessera de dominer quand les rythmes rock s'imposeront.
FACE À L’AMPLIFICATION
Dans les années 50, la contrebasse, qui avait gagné son pari d’être aussi un instrument soliste, se trouvait face à deux dangers autrement redoutables : l’amplification et l’arrivée du rock’n’roll. La guitare électrique associée à une batterie qui ne s’en laisse pas compter, c’était trop pour la pauvre contrebasse. Celle qui devait accompagner Bill Haley ne durera qu’un temps. La seule alternative à cette hégémonie de décibels consistait à suivre le mouvement en électrifiant un instrument semblable à la guitare électrique, mais en mesure de soutenir, comme la contrebasse, une tension de cordes élevée.
Au début des années 50, les fabricants de guitares Gibson et Rickenbacker chercheront à développer une contrebasse électrique, mais leurs efforts n’aboutiront pas. C'est le constructeur Fender qui apportera une première réponse crédible en 1951 en créant la « Precision bass », une guitare basse qui trouvera son rythme de croisière surtout auprès du rhythm’n’blues. Il faudra attendre la « jazz bass » de Fender, en 1960, pour voir la basse électrique se généraliser en compagnie d’autres marques devenues depuis célèbres. La Höfner ou la Rickenbacker 4001 jouée par Paul McCartney sont deux exemples parmi les plus significatifs des années 60.
Face aux premières basses électriques, les contrebassistes venus du jazz transposaient tant bien que mal leur technique sur l’autre instrument. Vu qu’il n’existait pas encore de références, ils devaient trouver une méthode sur la façon de jouer sur le manche, tout en portant l'instrument comme une guitare. De plus, contrairement à la contrebasse, la basse électrique possédait des frettes pour faciliter la justesse des notes, ce qui changeait bien des habitudes.
De son côté, la contrebasse continuait son existence. Sa principale subsistance était de vivre en cohabitation avec des musiques dans lesquelles régnaient les sonorités acoustiques, les seules qui lui laissaient la permission d’exister, de dialoguer avec les autres instruments sans s’attirer les foudres de l’amplification : le jazz bien sûr, la chanson aussi, mais également la bossa nova, le folk, la country, le blues ou encore les musiques traditionnelles.
© Uptonbass.com - Le 'Realist Upright Bass Pickup', un piézo dans un boîtier flexible qui se place entre le haut de la contrebasse et le pied de chevalet de la corde Mi.
Bien évidemment, dans les faits, il devenait de plus en plus fréquent que les contrebassistes apprennent à jouer sérieusement de la basse électrique, ceci pour faire face aux conditions acoustiques des lieux (ou en fonction du répertoire).
Dans les années 70, une lueur d'espoir arrivait, celles des premiers micros capteur piezzo conçus pour contrebasse qui devaient apporter une première solution relativement efficace pour permettre aux contrebassistes de régner comme du temps où leur jeu les rendait uniques et indispensables. Aujourd'hui, les "piezzo" sont toujours là et sont devenus encore plus performants. Leur avantage est certain car ils capturent toutes les vibrations sonores de la contrebasse, de la table d'harmonie jusqu'au prolongement de la vibration de la corde qui passe par le chevalet. On peut même disposer plusieurs cellules à différents endroits de la contrebasse afin d'obtenir une couleur plus ou moins profonde (il existe aussi des micros flexibles que l'on place à l'intérieur de la table d'harmonie). Quant au larsen (rumble), il paraît bien plus difficile à atteindre, ce qui est préférable autant pour le contrebassiste que pour la sonorisation de l'instrument !
Par Elian Jougla (Cadence Info - 08/2020)
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