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JAZZ ET INFLUENCES


LA MUSIQUE JAZZ ET SES RESSORTS ARTISTIQUES : MODE, PHOTOGRAPHIE, LITTÉRATURE, CARTOON...

C’est au cours des années 1920 que la musique de jazz aura la plus grande influence sur la culture populaire américaine. À cause de sa modernité affichée, le jazz apparaît comme le style musical capable d’apporter à l’Amérique son indépendance culturelle vis-à-vis de l’Europe. Mais pour être reconnu à sa juste valeur et s’imposer dans le pays qui l’a vu naître, le jazz aura besoin de quelques soutiens. La littérature, la photographie, les cartoons, le cinéma et même la mode deviendront ses meilleurs alliés.


LES DANCINGS DE HARLEM ET LE JAZZ

Les années 1920 sont celles de la Prohibition. L’alcool coule à flot dans des lieux peu fréquentables… mais fréquentés. On le boit dans de sombres clubs, mais aussi dans les dancings où le jazz s'exprime à sa convenance. Dans les dancings de Harlem où la jeunesse noire se défoule, il est question de mode vestimentaire. Anecdotique au départ, comme peuvent l’être de nombreuses modes, celle-ci aura pourtant une retombée considérable à l’essor du jazz et de sa respectabilité.

On y trouve les « flappers », de remuantes jeunes filles venues danser sur du jazz. S’exhibant bras nus et jupes au-dessus du genou, elles se distinguent parfois à cause de leur coupe de cheveux à la garçonne. Elles connaissent toutes les danses à la mode, du charleston au fox-trot jusqu’à ce swing dont elles raffolent. Devant ce féminisme provocant, les hommes réagissent et se présentent dans des costumes élégants, colorés, aux coupes bien larges et aux épaules rembourrées. Appelés les ‘zoot suits’, ils deviendront dans les 1930 les exemples frappants d’un style vestimentaire qui s’oppose à une mode citadine des plus moroses. L’homme de la rue porte alors un costume gris trois pièces et un chapeau feutre assorti ; une tenue qui incarne parfaitement l’employé de bureau modèle marchant sur les larges trottoirs de New York et qui sera souvent illustrée par le cinéma.

Danser au son du jazz devient tendance et les big bands de Duke Ellington, de Paul Whiteman ou de Fletcher Henderson occupent les lieux les plus en vu. Mais cette musique qui prévaut chez les Noirs et qui les singularise, n’est pas vraiment du goût chez certains Blancs. Avec ses cuivres agressifs et ses rythmes syncopés, le jazz est perçu comme une musique de transgression, à mille lieux de la rassurante musique classique. La presse conservatrice s’empressera de mettre en garde ses lecteurs sur son aspect sauvage qui déclenche, sous l’emprise de l’alcool et des rixes, d’intolérables attitudes chez les jeunes Noirs.

© www.savoyballroom.org - La piste de danse du 'Savoy' (1926)

Les musiciens noirs, afin d’apporter une meilleure image du jazz et surtout une meilleure reconnaissance sociale, s’empresseront de suivre les ‘zoots suits’ avec le secret espoir d’accéder à des salles plus prestigieuses. À cette époque, chaque signe distinctif devient important. Tous les artistes Noirs, hommes et femmes confondus, mettent un point d’honneur à se présenter bien habillés. L’apparence physique compte alors autant que les qualités artistiques. Qu’elles s’appellent Ethel Waters, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan ou Anita O’Day, les chanteuses vedettes des orchestres devaient faire attention à ce qu’elles portaient sur scène ou lors de séances photos pour les magazines. Sur une pochette de disques, la belle robe était là pour mettre en évidence leur personnalité mais aussi leur respectabilité.

C’est grâce à des musiciens et des chanteurs blancs comme Benny Goodman, Bing Crosby ou Frank Sinatra que la mode initiée par les Noirs allait devenir aussi celles des jeunes Blancs. Cette attitude servira d’accélérateur et aura pour conséquence d’améliorer l’image du jazz et ses valeurs.

Bientôt aussi respectable que la musique classique – au point d’avoir su passionner très tôt Igor Stravinsky, Darius Milhaud et bien d’autres compositeurs dits « sérieux » – les musiciens de jazz finiront par se produire dans les salles de concerts les plus prestigieuses, à l’image du Carnegie Hall de New York.


LA PHOTOGRAPHIE ET LE JAZZ

La photographie sera là dès les premières années pour immortaliser les premières grandes figures de l'histoire du jazz : Cab Calloway, Duke Ellington, Louis Armstrong, Count Basie… Au contact des musiciens, des reporters photographes deviendront d’éminents spécialistes, des amis aussi, réalisant des travaux photographiques aux qualités artistiques indéniables, des œuvres d’art qui trouveront leur place dans les galeries d’art, les musées, mais aussi auprès des collectionneurs qui chercheront la perle rare, l’inestimable cliché.

Jacquette du livre 'Jazz Life' de William Claxton

Parmi eux, nous avons William Claxton, un photographe qui se fera connaître dans les années 1950, en se spécialisant dans la pochette d’album. Devant l’œil de l’objectif, il aura les meilleurs jazzmen de l’époque : Chet Baker, Duke Ellington, Dizzy Gillespie, Billie Holiday, Charlie Parker et tant d’autres. William Claxton comprendra très vite que pour obtenir de belles photos représentatives de l’esprit rebelle qui anime le jazz, il devait placer les musiciens en confiance. Son ouvrage intitulé Jazz Life (1960) rassemble un grand nombre de clichés qui montre les musiciens de jazz dans leur vie quotidienne.

Plus instructif est l’ouvrage The Sweet Flypaper of Life réalisé par Roy DeCavera en collaboration avec le poète Langston Hughes, dont la renommée est due à son implication dans le mouvement culturel qui a secoué le Harlem des années 1920, ‘Renaissance de Harlem’. Si ce livre ne traite pas réellement du monde jazz, il permettra à de nombreux Américains (Blancs) d’avoir une vision réaliste de Harlem, en montrant la vie de ses habitants. Pour l’ouvrage, The Sound I Saw, le photographe réalisera une approche plus ou moins aléatoires en prenant des clichés au hasard des événements, sur scène et en coulisse ; Miles Davis, Elvin Jones ou Coleman Hawkins y figureront.

Pour personnifier son art, le photographe Herman Leonard jouera quant à lui avec la fumée des ambiances nocturnes pour réaliser ses plus beaux portraits. De son côté, Carl Van Vechten, un photographe originaire de Harlem, aura à cœur de faire ressortir la grande humanité de ses interprètes à une époque où cette musique traînait encore derrière elle une réputation assez sulfureuse.

Chez les photographes français, Jean-Pierre Leloir est certainement le plus connu. À partir des années 1950, il n’aura de cesse de prendre des instantanés, essentiellement en noir et blanc, de tous les artistes de jazz et de blues qui passaient à la portée de son objectif : Sidney Bechet, Miles Davis, Billie Holiday, John Lee Hooker, B.B. King… Plus tard, quand le jazz cédera sa place au rock, il participera à la grande aventure de Rock&Folk et sera l’auteur de la photo historique de l’interview réunissant les trois légendes de la chanson française : Brel, Brassens et Ferré. Citons aussi le récent Abécédaire amoureux du jazz du photographe Pascal Kober (Jazz Hot) qui, à la façon de William Claxton, prendra le temps d’entourer ses sujets d’un regard bienveillant.


LA LITTÉRATURE ET LE JAZZ

Le monde du jazz intrigue autant qu’il attire. Semblant indéchiffrable de l’extérieur, il l’est beaucoup moins quand on prend le temps de s’y arrêter. Avec la littérature, il est possible d’exprimer et de comprendre bien des choses, et le jazz possède un énorme potentiel que de grands écrivains mettront en lumière. Ils chercheront avant tout à poser des mots riches de sens pour évoquer les contextes sociaux ombrageux, manquant de transparence dans une Amérique en prise avec ses contradictions. Nombreux seront les auteurs qui aiguiseront leur plume pour décrire le jazzman, célèbre ou pas, pris dans la tourmente de ses doutes, en lutte avec la drogue ou cherchant à s'extirper de la misère la plus noire. Le jazz qui brille au firmament sera pour certains l’inaccessible étoile. Le grand public ne s’y trompera pas, et le cinéma non plus en adaptant des romans prenant pour cadre le monde de la nuit et ses musiciens.

Jacquette du livre 'Valaida' de Candice Allen

Les auteurs les plus représentatifs pourraient être Candace Allen (le roman Valaida décrira l’histoire de l’une des premières trompettistes de jazz qui dû lutter pour trouver sa place dans un monde dominé par les hommes) ; Bill Moody (avec pour leitmotiv le personnage d’Evan Horne, clarinettiste de jazz. L’auteur prenant soin de décrire avec détails la vie d’un musicien de jazz : Solo Hand - 1994, et Looking for Chet Baker - 2002) ; la romancière Tony Morrison (celle qui recevra le prix Nobel de littérature illustrera merveilleusement le Harlem des années 1920, sa folie et ses drames, avec son roman Jazz en 1992). Pour l’écrivain Michael Ondantje, le jazz servira de cadre légitime avec son roman Le blues de Buffy Bolden, trompettiste improvisateur de la première heure dont le nom est à rattacher à l’origine du jazz.

En France, Alain Gerber est un nom à retenir. Connu pour avoir été l'un des piliers du jazz sur France Musique, Gerber est aussi l’auteur d’une littérature abondante. Son style lyrique, voire enflammé, donne l'impression de proximité et d'intimité avec ses personnages. L’écrivain dresse des portraits proches de la réalité, mêlant à la fiction le vécu indispensable qui rend son discours vraisemblable. Citons Hello Louis (2002) sur la vie de Louis Armstrong, Lady Day : histoires d’amour (2005) sur la vie de Billie Holiday, Miles (2007) ou encore Paul Desmond et le côté féminin du monde (2007) et Insensiblement (2010) sur Django Reinhardt. Encore plus romancé est l’univers de Christian Gailly. Ces livres dépeignent souvent des atmosphères romantiques dont le plus célèbre est Un soir au club (2004), qui narre l’histoire du pianiste Simon Nardis qui abandonne l’atmosphère des clubs de jazz, le monde de la nuit et ses dérives, pour se reconvertir dans une profession « plus sage ».


LE CARTOON ET LE JAZZ

Aux États-Unis, dans les années 1920-1930, le spectateur qui allait au cinéma pouvait voir un cartoon avant l’entracte. Les histoires prenaient appui, le plus souvent, sur les travers de la société américaine et de sa culture. Face aux comportements absurdes des personnages, le jazz avec ses rythmes vifs et syncopés convenaient parfaitement aux scénarios imaginatifs des auteurs. Pour le grand public, cette musique-là reflétait parfaitement la modernité et le dynamisme de la société américaine, et il est fort probable que sans sa présence dans les cartoons, un grand nombre de citoyens américains n’auraient découvert le jazz que bien des années plus tard.

L’un des premiers personnages qui fera honneur à cette musique sera la célèbre Betty Boop créée par Max Fleischer. Avec ses courts cheveux, son frêle corps et sa petite robe, pour son créateur, c’est une « flapper », c’est-à-dire une jeune fille délurée (mais tout de même moins « foldingue » que les personnages inventés par Tex Avery). Pour Max Fleischer, l’excuse est toute trouvée pour faire entrer le jazz par la grande porte. Le principal invité sera le chef d’orchestre Cab Calloway dans Minnie The Moocher (1932) et The Old Man of The Mountain (1933). Celui-ci sera même caricaturé avec son large chapeau blanc et sa tenue de ‘zoot suit’ dans le cartoon Talkertoon. Plus étonnant encore, le dessin animé qui réunit Louis Armstrong et Betty Boop en duo, chantant I’ll Be Glad When You’re Dead You Rascal You. Les musiques des pianistes Albert Ammons (Boogie Doodle – 1948) et Oscar Peterson (Begone Dull Core – 1949) trouveront également leur place dans l’univers de Fleischer.


BETTY BOOP - CAB CALLOWAY : THE OLD MAN OF THE MOUNTAIN (1933)

Bien que la plupart des grands héros du jazz des années 20 aux années 40 auront droit à un traitement de faveur : Louis Armstrong (Clean Pastures – 1937), Duke Ellington (Date with Duke – 1947), Woody Herman (Rhapsody in Wood – 1947), le racisme ambiant associé à la bétise n'éviteront pas quelques dérapages, comme avec Swing Monkey, Swing (1937) où les chanteurs noirs seront incarnés par des singes.

Parmi les compositeurs de cartoons, signalons le très talentueux Scott Bradley qui était capable de répondre à toutes sortes de demande en un temps record. Face aux cadences infernales des scènes animées par Tex Avery ou par Hanna et Barbera (Tom et Jerry), Bradley écrivait de folles écritures orchestrales. Il utilisait tous les clichés possibles, passant de la musique folklorique de « cow-boy » au jazz avec la même aisance. Citons aussi Raymond Scott qui sera, à partir des années 40, un compositeur en mesure de transcender également les dessins animés les plus fous. On le retrouve dans de nombreux classiques des 'Looney Tunes' et bien plus tard chez Les Simpsons.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2020)


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