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JAZZ ET INFLUENCES

AHMAD JAMAL BIOGRAPHIE. PORTRAIT ARTISTIQUE D'UN PIANISTE DE JAZZ NOVATEUR ET À CONTRE-COURANT

Le pianiste et compositeur Ahmad Jamal a servi le jazz toute sa vie. Avec Bud Powell, Erroll Garner, Thelonious Monk, Oscar Peterson ou encore Bill Evans, Herbie Hancock et Keith Jarrett, il personnifie le piano moderne dans toute sa diversité. Porté par cette passion qui l'animait depuis son enfance, et avant que son cancer ne l'emporte à l'âge de 92 ans, Jamal posait constamment ses doigts sur le clavier et continuait de se produire sur scène comme au premier jour...


AHMAD JAMAL, L'ÉCRITURE D'UN JAZZ CONDUIT EN TRIO

Trop longtemps qualifié de “pianiste de bar”, et ce, malgré son immense talent – ce qui démontre par ailleurs que la musique de jazz n'est pas généralement comprise –, comme d'autres jazzmen d'après-guerre, Jamal devra défendre ce qu'il aimait. Une déclaration du New Yorker, surgissant des années 1950, nous en procure déjà une idée : « Son concept musical était l'une des grandes innovations de l'époque, même si son originalité dépouillée et audacieuse a échappé à de nombreux auditeurs. »

Participer à la vivacité d'un art entouré par trop de préjugés est, semble-t-il, un combat permanent. Pourtant, Ahmad Jamal n'était pas l'un de ces sidemen cachetonnant dans d'obscurs studios d'enregistrement pour servir des voix plus ou moins célèbres, c'était un chercheur, un aventurier : « J'évolue toujours, chaque fois que je m'assois au piano. J'ai toujours des idées nouvelles », disait-il en novembre 2022 au Time.

© Michele Careddu (flickr.com) – Ahmad Jamal, Yime in Jazz 2011 - Berchidda.

Pour le vaste public, Ahmad Jamal, c'est avant tout sa version du titre Poinciana en trio apparu en 1958. Un succès colossal qu'il doit précisément par son élaboration du trio piano-contrebasse-batterie et que poursuivra jusqu'au boutisme, comme une suite logique, le pianiste Bill Evans ou de façon plus exubérante, Oscar Peterson. Sa science de l'équilibre, de la mesure, voire son sens de l’espace et de la dynamique, serviront de source d'inspiration pour nombre de pianistes qui lui succéderont, dont Herbie Hancock, le fidèle accompagnateur de Miles Davis et McCoy Tyner chez John Coltrane.

Pour lui, le jazz représentait un courant musical majeur de l'histoire des États-Unis. Cette musique-là, c'était de la « musique classique », au même titre que Bach, Chopin ou Debussy reflètent la musique classique européenne. Jamal rejoignait, comme d'autres musiciens américains, ce courant dominant invité jusqu'au cœur de la Maison Blanche.

Avec les années, cet être réservé et jovial s'est métamorphosé en un véritable mentor auprès de la nouvelle génération de pianistes. Une forme de complicité s'instaurera, comme à travers l'album Emanation qu'il coproduira en 2016 pour le pianiste Shahin Novrasli. Une transmission évidente s’était opérée entre eux. Le hip-hop fera de même en capturant à sa façon la musique de Jamal. La récupération, qui sert d'exercice salvateur à une musique jugée parfois trop cérébrale pour être saisie d'un seul tenant, permet alors de changer de direction et d'ouvrir d'autres horizons. Les rappeurs Common, Nas ou Kanye West l'ont effectivement compris et ont samplé quelques-uns de ses morceaux fétiches.


AHMAD JAMAL : "POINCIANA" (live OLympia - Paris 2012)
Ahmad JAMAL, piano - Reginald VEAL, basse - Herlin RILEY, batterie - Manolo BADRENA, percussions.

À PROPOS DE LA CARRIÈRE D'AHMAD JAMAL

Né Frederick Russell Jones à Pittsburgh, en 1930, Jamal possède une excellente oreille. Sur le piano familial, il s'amuse à relever des mélodies avant de suivre une formation classique. Son admiration envers l'école française, celle de Claude Debussy et de Maurice Ravel, aura une influence dans le développement de son jeu.

Il entame sa carrière professionnelle à 17 ans. La première tournée qu'il effectue à travers les États-Unis, l'éloignera à tout jamais du cocon familial. À la fin des années 1940, quand pour d'autres musiciens le be-bop force les barrages du langage swing avec son phrasé percutant et vertical, Ahmad écoute le jazz avec une autre oreille et s'éloigne de l'école de Charlie Parker. Jamal joue dans une autre cours. Son jeu est balisé par des silences, par des ruptures, des surprises et des accents parfois romantiques. Son toucher est au final plus subtil et moins tranchant que le bop.

En 1950, il se convertit à l'islam et change de nom. En plein mouvement naissant pour les droits civiques, Jamal ne prend pas position et préfère rester à l'écart du "Black Power". D'abord pianiste de big bands, il participe à l'aventure de The Four Strings (rebaptisée ensuite The Three Strings) et grave son premier disque en 1951. Puis ce sont les premiers succès, ceux réalisés en compagnie du contrebassiste Israël Crosby et du batteur Vernel Fournier, dont on retiendra tout particulièrement le live enregistré au Pershing, club de jazz de Chicago, en 1958, et qui se vendra à plus d'un million d'exemplaires (Ahmad Jamal Trio at the Pershing : But Not For Me). L'album restera plus de 100 semaines au palmarès du Billboard. Exceptionnel, pour du jazz !

Après une tournée en Afrique, Ahmad Jamal fonde un club de jazz à Chicago, l'Alhambra, avant de s'installer à New York en 1962, période durant laquelle il fait une pause dans sa carrière et crée le label "20th Century".

AHMAD JAMAL : "THE AWAKENING" (live 1973)

Son style, à contre-courant du be-bop et de sa surenchère technique, lui permet d'émouvoir un public moins exigeant. Cependant, un tel revers lui vaudra d'être parfois critiqué, les plus sévères remarques portant sur un jeu trop timoré. L'approche artistique sera même jugée commerciale quand, dans les années 1960, il tournera le dos au free jazz en reprenant du Stevie Wonder.

Pour Jamal, ce choix, comme celui qui l'opposera au jazz-rock quelques années plus tard, était délibéré, assumé. D'ailleurs, en prenant acte du toucher délicat de l'artiste, tout conduit à vouloir dénoncer le langage obscur et violent ou les prises de position délictueuses ou démonstratives de ces musiques-là. La réponse viendra très tôt avec Awakening, gravé en 1970, un album d'une sobriété exemplaire et qui fait désormais partie de la culture musicale universelle.

Par la suite, Jamal continuera ses concerts avec un trio où l'on retrouve notamment le bassiste James Cammack et différents batteurs, dont Idris Muhammad. La sophistication des arrangements et cette forme privilégiée constituent sa "signature" préférée. Néanmoins, au milieu des années 1990, pour procurer au trio une autre énergie, Jamal engagera le percussionniste Manolo Badrena, dont la technique dynamique sera parfaite pour servir de contrepoint au jeu posé du pianiste.

En 1994, Jamal enregistre un album dans lequel il déploie la richesse de son jeu pianistique : Ahmad Jamal at home. Pour la première fois, seul au piano, il offre un condensé de son style. L'expérience se reproduira une seconde fois, en 2019, à l'aube de ses 90 ans, pour quelques titres dans l'album Ballades, enregistré avec son fidèle ami contrebassiste, James Cammack.

Au bout du chemin, Ahmad Jamal aura traversé la scène artistique musicale pendant sept décennies. Certes, l'époque de Ahmad Jamal at the Pershing : But Not for Me, enregistré en 1958, est bien loin. Pourtant, le discours semble si neuf. Le secret, Jamal en conviendra, ce sont les idées qui conduisent l'art et transportent les artistes. Se réinventer est certainement le plus difficile. « Les musiciens s'épanouissent, se construisent... Je vis une vie passionnante et, lorsque vous vivez une vie intéressante, vous continuez à découvrir. » (AFP – 2012)

Ahmad Jamal a remporté de multiples récompenses au cours de sa longue carrière. En France, il a été fait "Chevalier de l'Ordre des arts et des lettres" en 2007. Dix ans plus tard, il recevait un "Grammy Award" pour l'ensemble de sa carrière.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2023)

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