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CARLOS SANTANA, BIOGRAPHIE/PORTRAIT DU GUITARISTE

Guitar hero des années 70, Carlos Santana éveilla la conscience des musiciens « latinos » à travers ses nombreuses compositions. Cette biographie retrace les étapes marquantes de ce prince du rock latin.


LE GROUPE SANTANA, LA FRÉNÉSIE DES RYTHMES

« Jouer de la musique est pour moi une expérience physique et métaphysique ». On peut croire à la vérité de cette phrase, tellement le jeu du guitariste a su s’imprégner de ses deux notions pourtant si éloignées l’une de l’autre. Influencé au départ par le guitariste de blues B.B. King et armé de sa Gibson Les Paul, Carlos Santana a développé un style de jeu passionnément lyrique, mêlant à ses notes étirées une grande adresse technique pleine de fureur. Sa musique, aux multiples influences (blues, rock, jazz-rock, samba et salsa), préfigure ce que sera la ‘world music’ des années 80/90.

Né en 1947 au Mexique et issu d’une famille dans laquelle la musique règne comme une seconde langue, Carlos Santana monte sa première formation en 1966. Basé à San Francisco durant la période hippie, le ‘Carlos Santana Blues Band’ comprend David Brown à la basse et surtout deux musiciens qui auront l’occasion de briller à plusieurs reprises : le claviériste Gregg Rollie et un tout jeune batteur du nom de Mike Shrieve.

À la fin des années 60, sur la Côte Ouest, la musique rock trouve matière à s'exprimer dans des assemblages psychédéliques navigant en eaux troubles, mixant à volonté jazz, blues et folk. Le ‘Carlos Santana Blues Band’, avec ses accents latino-africains et ses rythmes incendiaires et hypnotiques proches de la samba, n’a aucun mal à trouver sa place.

C’est dans les clubs de la « Bay Area » qu’il faut d’abord chercher l’excellente réputation du groupe, même si pour la plupart des biographes tout a vraiment démarré du jour où Carlos a remplacé Mike Bloomfield au Fillmore de San Francisco ; son intervention sur le titre ‘Sonny Boy Williamson’ de Jack Bruce lui aurait permis de se faire connaître du grand public.

© Xavier Badosa (wikipedia) - Carlos Santana (2013)

Bill Graham, qui est déjà un promoteur de spectacles et concerts de rock réputés, prend le groupe sous son aile. Le ‘Carlos Santana Blues Band’ devient tout simplement ‘Santana’ et se trouve renforcé par deux percussionnistes, Mike Carabello et José Chepito Areas. Un premier album est publié : ‘Santana’ (1969). Quelques semaines après, le groupe explose au festival de Woodstock. Durant le concert, le public remarque l'incroyable cohésion du groupe et sa remarquable efficacité. Dominé par la présence de son jeune batteur et l'imagination débridée de son guitariste, le groupe Santana devient célèbre en quelques mois. La vente du disque s’envole jusqu'à devenir double platine aux USA.

Alors que ‘Soul Sacrifice’ devient sur scène le morceau emblématique du groupe, d’autres titres décrochent également la timbale : ‘Black Magic Woman’ (une reprise de Fleetwood Mac), ‘Jingo’, ‘Samba Pa Ti’ et surtout ‘Oye Como Va’ (de Tito Puente). Tous ces titres finement étudiés, simples et directs, démontrent que le groupe Santana est avant tout une formidable machine à swing ; qu’elle possède en son cœur des pulsations rythmiques si chaleureuses et excitantes qu’elles ne peuvent que devenir communicatives. Le succès s’explique aussi par le talent de chaque intervenant, par le son caractéristique du groupe et par l’impact de chaque mélodie qui vous trotte dans la tête une fois que vous les avez entendues.

Les albums s’enchaînent. Une même frénésie de conquête en témoigne : ‘Abraxas’ (1970) et ‘Santana III’ (1971) deviennent numéro 1 et se vendent à 6 millions d’exemplaires aux États-Unis. Renforcé par un second guitariste (Neal Schon), la rythmique gagne en efficacité et s’équilibre à travers un ‘mano à mano’ des plus enrichissants entre les deux guitaristes.

À l’occasion de l’enregistrement de ‘Caravanserai’ en 1972, la formation est profondément remaniée. Après s’être associé un temps avec le batteur Buddy Miles (Carlos Santana & Buddy Miles! Live!, avec Neal Schon, Ron Johnson et Mike Carabello), le groupe de Santana s’articule autour de Tom Coster et Richard Kermode (claviers), Doug Rouch (basse), Armando Peraza (bongos, congas), James Mingo Lewis (congas) Mike Shrieve (batterie) et José Chepito Areas (percussions).

Toutefois, la publication de cet ambitieux album marque le pas. Bien qu'il témoigne d’une évolution musicale de la part de Carlos Santana, son accueil est mitigé. Certains spécialistes estiment pourtant que ‘Caravanserai’ est l'une des pièces essentielles de la Rock-Music, que cet album a ouvert des nouveaux horizons à la musique rythmée, qu'elle soit rock, pop ou jazz (‘Every Step of the Way’, ‘All the Love in the Universe’).

L’évolution musicale se poursuit, mais sans surprises, avec le moyen ‘Welcome’ (pourtant disque d'or en 1974).


LA PÉRIODE JAZZ-ROCK

En cette année 1973, pour Carlos Santana, un vent nouveau souffle, celui du jazz-rock. Devenu mystique – tout comme son ami guitariste John McLaughlin – Santana se fait appeler Carlos « Devadip » Santana. Pour ces deux guitaristes à la technique impressionnante, il est temps de se réunir pour offrir un album lumineux : ‘Love Devotion Surrender’. Cette quête spirituelle se distingue par le choix des morceaux, dont les références ne tiennent certainement pas au hasard, en reprenant deux compositions célèbres de John Coltrane : ‘A Love Supreme’ et ‘Naima’. L’écoute du disque plonge aussitôt l’auditeur sous un déluge de notes, dans une forme de surenchère technique que le jazz-rock a souvent hélas prise pour cible.

Santana et John McLaughlin affichent leur conversion aux principes de vie du guru Sri Chinmoy « Éveille-toi, lève-toi, marche, observe, cours et élève-toi ». De son côté, McLaughlin trouve musicalement une réponse satisfaisante dans le groupe qu’il conduit, le ‘Mahavishnu Orchestra’, et qu’il relancera à plusieurs reprises dans sa carrière à travers différentes formules.

En 1974, Carlos Santana enregistre tour à tour ‘Illuminations’ avec la pianiste et veuve de John Coltrane, Alice, et ‘Borboletta’ en compagnie du bassiste Stanley Clarke et de la chanteuse Flora Purim, alors membres du ‘Return to Forever’ animé par le pianiste Chick Corea. On relèvera entre-temps l’excellent live ‘Lotus’, un triple album enregistré en 72 au Japon, le documentaire ‘Le rythme du feu’, filmé lors de sa prestigieuse tournée en Amérique du Sud, sans oublier celle qu’il effectue en première partie d’Eric Clapton en 1975. Sa période jazz-rock s’achève avec l’album ‘Amigos’, en mars 1976.


SANTANA À LA RECHERCHE DE L’EUPHORIE RYTHMIQUE…

‘Amigos’ est né sous le signe du retour de l’euphorie rythmique des débuts. Si le batteur Mike Shrieve est parti pour fonder le groupe ‘Automatic Man’, le nouveau venu, le batteur Léon Chancles (ex Weather Report), le percussionniste Armando Peraza, le bassiste David Brown et le claviériste Tom Coster conserve au groupe son aspect novateur. Il suffit alors d’une grande inspiration pour que tout redémarre comme au premier jour. Le titre ‘Europa’ va être l’incarnation de ce nouveau départ. Cette longue ballade, ce slow qui n’en épouse pas vraiment le style, devient un énorme hit en 1976.


SANTANA : EUROPA

L’année suivante, toujours sous la direction de Bill Graham, le groupe Santana affiche son audace à travers l’album ‘Festival’ (1977). Puis ce sera autour de ‘Moonflower’, un album live où le groupe – dont la constitution est toujours sujette à de constant changement - reprend ses principaux succès. Après le brillant ‘Inner Secrets’ (1978) et ses reprises de ‘Well Alright’ de Buddy Holly et ‘Dealer’ du groupe Traffic, un chanteur remarquable fait son entrée, Alexander J. Ligertwood, en participant aux toniques albums 'Marathon' (1979) et ‘Zebop !’ (1981).

Pour perdurer dans une carrière artistique, à défaut d’innover, il faut parfois surprendre. Dans ce sens, Carlos Santana, même s’il esquisse de temps en temps un pas de côté, demeure cet artiste chaleureux, capable de s’entourer des meilleures pointures du jazz si le cœur lui en dit. Ainsi, quand son album solo ‘Swing of Delight’ sort en 1980, personne ne s’étonnera de le voir entouré de musiciens comme Herbie Hancock (piano), Ron Carter (contrebasse) et Tony Williams (batterie).

Carlos Santana, qui a ouvert une brèche dans cette rock-music trop souvent prisonnière de ses trois accords, prouve aussi que l’on peut créer une musique presque aussi simple et tout aussi efficace... ce qui, en passant, ne l’empêchera pas de reprendre un titre de Chuck Berry en 1983, ‘Havana Moon’, titre d’un album dans lequel on retrouve l’organiste Booker T. Jones (‘They All Want to Mexico’) et même le père de Carlos, José Santana (‘Verada Tropical’).

En 1987, lors d’un concert à Berlin-Est, le guitariste déclarera face au public : « Rien n’est impossible, un jour il n’y aura plus de mur ! » (sa déclaration se révèlera exacte deux ans plus tard). Son 4e album solo, ‘Blues for Salvador’ (1987) démontre que le musicien n’a rien perdu de sa fureur, que son art est intact et qu’il faut encore compter sur lui. De cet exercice de style, aux frontières du jazz, suivra ‘Viva ! Santana’ (1988) qui résume à travers ses trente titres ce qu’est la musique du guitariste ; la somme d’une expérience musicale unique qui a permis à la musique latine de se retrouver et de s’imposer après avoir vécu une première prépondérance dans les danses des années 50.


SANTANA À LA RECHERCHE D'UN NOUVEAU SOUFFLE

Le choc des cultures, le choc des rencontres aussi, arriveront quand Carlos Santana mettra un point d’honneur à jouer avec le vétéran bluesman John Lee Hooker en 1989. L’album ‘The Healer’ arrive à point nommé pour le guitariste « latino » qui n’a plus eu de succès depuis l’album ‘Zebop !’, huit ans plus tôt.

Après 22 ans de loyaux services, Santana quitte les disques ‘Columbia’. Le guitariste est conscient qu’il ne retrouvera peut-être plus jamais la folie des débuts, « l’orgasme musical » si cher à Miles Davis. Mais le musicien s’accroche et continue d’enregistrer et de publier de nouveaux albums : ‘Milagro’ (1992), ‘Sacred Fire’ (1992 – un live enregistré en compagnie de son frère cadet Jorge à la guitare, de Myron Dove à la basse et de Vorriece Cooper au chant).

Abordant la cinquantaine, Carlos Santana est à un tournant de sa carrière. Il diversifie d’autant plus les aspects de sa musique qu’il cherche à collaborer avec des artistes forts divers : le saxophoniste Manu Dibango, les guitaristes Johnny Lee Hooker ('Mr. Lucky’) et Andy Summers (ex-membre du groupe Police), le claviériste Jan Hammer ou le Guinéen Mory Kanté. Sa musique étant passée de mode dans la plupart des stations, la jeune génération découvre le talent et le son du légendaire guitariste en 1999 à l’occasion d’un album solo de l’ex-chanteuse des Fugees, Lauryn Hill (‘The Miseducation of L.H’), mais aussi avec son ‘Supernatural’ (1999) qu’il enregistre entouré de quelques pointures dont Eric Clapton à la guitare et Dave Matthews au chant.


SANTANA : OYE COMO VA

Pour ce musicien qui a traversé la grande époque de la ‘pop-music’, qui a permis à la musique latine de réaliser son grand retour, mais qui a aussi inventé un style et un son à la guitare, il était légitime qu’il soit honoré en 1998 d’un ‘Rock & Roll Of Fame’. Les mauvaises langues diront qu’il était temps, car depuis le début des années 2000, aucun fait notable n’est venu traverser sa carrière, non pas que le jeu du guitariste se soit éteint – celui-ci est toujours reconnaissable dès les premières notes, lyrique et expressif – mais le musicien est finalement en échec face à une musique qui, aujourd’hui, ne fait plus recette, du moins sous sa forme initiale.

Entre albums solos (‘Shaman’, ‘Shape Shifter’,‘Guitare Heaven’…), quelques participations à des sessions pour Eric Clapton, Herbie Hancock ou Shakira, ainsi que d’hypothétiques compilations, il faut admettre que le génial guitariste se cherche un public. L’usure du temps, l’évolution musicale, les nouveaux comportements des consommateurs, jusqu’au brassage des styles, tout ceci ne permet certainement pas d’y voir plus clair. Néanmoins, c’est toujours à travers des rencontres - même fortuites - que finalement la musique, la sienne et celle des autres, aura toutes les chances de mûrir et d’évoluer vers des destinations autrement orgueilleuses.

Par D. Lugert (Cadence Info - 03/2018)


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