L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui

MUSIQUE & SOCIÉTÉ


LA MUSIQUE ET SON COMMERCE

Cet article est la suite de MUSIQUE D’AUJOURD’HUI ET FAUSSES NOTES

- SECONDE PARTIE -

QUAND LA MUSIQUE FRANÇAISE S’EXPORTE…

Face à la puissante musique anglo-saxonne, que doit faire un artiste français pour s’exporter ?

S’il souhaite imposer sa langue maternelle, pas grand-chose. Le phonétisme de notre langue demeure un frein pour les pays anglo-saxons. Mais ceci n’explique pas tout, car les mélodies et surtout les rythmes sont généralement les critères les plus importants des chansons actuelles. Quand une chanson française retient l’attention, c’est souvent à cause de sa ‘tonalité’ générale.

Autre raison : l’adaptation du texte. Très souvent, dans une langue étrangère, le texte ne reflète qu’approximativement le sujet original. C’est une question de rimes et de phonétique, et non pas une question de message que le texte pourrait délivrer. Parfois, l’idée maîtresse et le titre n’ont qu’un lointain rapport avec l’original. Ceci est valable également quand une chanson étrangère est adaptée en français. Rappelons-nous la période "yéyé" avec ses chansons aux adaptations très fantaisistes. En tout cas, voir fleurir la culture musicale française dans des pays étrangers est certainement très réjouissant pour ceux qui ont cru dans le talent de leurs vedettes. Producteurs et compagnies de disques en tête !

Dans les années 80, les Gipsy Kings figuraient parmi les ventes qui s’exportaient le mieux aux États-Unis. Leur musique, d’origine gitane et enrobée de quelques reprises savoureuses, ont fait connaître au monde entier leur culture, leur identité. Quelques années plus tard, la musique électro française enflammait les pistes de danse. Arrivés très vite, comme par surprise, sans que personne s’y attende, les médias se sont empressés de souligner la patte ‘frenchy’ qui commençait à s’exporter au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les DJ’s n’étaient plus seulement des animateurs et les musiciens plus vraiment des instrumentistes… ‘Progrès’ oblige.

Pour une fois, la musique ‘commerciale’ française planait largement au-dessus de la mêlée. Car enfin, pourquoi devrions-nous toujours jouer ‘petit-bras’ ? Auriez-vous déjà oublié nos anciens ambassadeurs ? Rappelez-vous : le chanteur Jordy, mais oui, cet enfant a eu de beaux succès discographiques hors de nos frontières. Certes, ce n’est peut-être pas l’exemple le plus flatteur quand on souhaite honorer la culture française à l’étranger… Mis à part ce ‘grand ambassadeur’, qui d’autre pourrions-nous retenir ?

Ce sont pour l’essentiel des artistes qui ont déjà une longue carrière derrière eux : Vanessa Paradis, Patricia Kaas, Patrick Bruel, La Mano Negra, les Rita Mitsouko, Khaled… sans oublier Salvatore Adamo, Mireille Mathieu et Charles Aznavour.

Mais diable, où sont passés Piaf, Montand et Trenet ?

En fait, il est difficile d’obtenir des chiffres précis concernant les ventes à l’export. Les pressages ne sont pas toujours produits sur le sol hexagonal, et un disque fabriqué en Hollande peut très bien se vendre en Allemagne ou en Suède sans transiter par la France. Ce sont donc des estimations. Toutefois, la popularité des tournées d’un artiste à l’étranger et les versions enregistrées d’une même chanson dans différentes langues peuvent servir de références ou de point d’appui aux statistiques.

Depuis ses premiers succès, Mireille Mathieu est courtisée par l’Union Soviétique. Elle y retourne presque chaque année, tout comme Patricia Kaas. N’oublions pas Sylvie Vartan qui foule à l’occasion sa patrie d’origine et Charles Aznavour, l’infatigable globe trotter de la chanson française. Sa carrière à l’étranger est tellement impressionnante, qu’il serait plus facile de citer les pays où il n’a pas chanté que le contraire !

En dehors de chansons comme La mer et Comme d’habitude, maintes fois adaptées, il existe des chansons qui ont des carrières atypiques. C’est le cas de Tombe la neige de Salvatore Adamo qui incarne depuis plus de 40 ans le ‘Petit papa Noël’ au pays du soleil levant. L’interprétation de son texte en japonais fait exception, car la majorité des artistes français doivent d’abord soumettre leurs chansons dans des versions anglaises pour espérer les exporter. L’utilisation de cette langue est incontournable aussi bien pour un Johnny Hallyday, un Charles Aznavour que pour la toute dernière star de la chanson française qui souhaite lancer sa carrière en dehors de l’hexagone.

Un autre frein à l’exportation concerne les droits d’auteur qui, du côté français, sont sacrés. Peut-être même trop ! Il y a peu, l’ensemble des droits devait être versé aux auteurs avant que le produit ne quitte le territoire national (contrairement aux artistes étrangers qui ont toujours été prêts à y renoncer simplement pour conquérir de nouveaux marchés).


LA MUSIQUE À L’HYPERMARCHÉ

Pour comprendre à quel point la musique est devenue un banal produit de consommation, il suffit de se promener dans un hypermarché et de contempler le rayon de disques qui expose ses références : un nombre réduit d’artistes populaires, souvent du bas de gamme et de nombreuses compils à prix sacrifié. L’époque du disquaire de quartier est révolue. Si quelques-uns résistent encore, ils ont été obligés de se diversifier, de devenir de véritables spécialistes, de proposer de multiples services comme le troc, la vente de disques d’occasion et de collection.

Contrairement à des chaînes de magasins spécialisées comme la FNAC qui misent sur la diversité et la qualité, le disque proposé en hypermarché n’est qu’un produit d’appel destiné à promouvoir auprès d’une jeune clientèle d’autres articles vendus dans la grande surface, comme les baladeurs ou les téléphones portables issus des nouvelles technologies. Encouragés au départ par les maisons de disques, les hypermarchés sont les responsables de cette économie au marketing complaisant qui a fait disparaître la majorité des disquaires traditionnels et appauvrit la vision culturelle du consommateur lambda.

L’arrivée d’Internet dans les foyers pouvait laisser entrevoir d’heureuses perspectives. Malheureusement, la grande distribution n’a jamais renoncé à sa vocation de discounter. Le loup est dans la bergerie, infiltrant la Toile jour après jour. L’Internet change de peau et devient un supermarché à domicile toujours plus puissant et plus efficace. La folle créativité des débuts laisse place de plus en plus à une sorte de banalité, de résignation. Un commerce plus ou moins ’sauvage’ a pris place et dicte ses lois. Si les noms et le lieu ont changé, le fond, la manière d’agir et d’attirer le gogo restent les mêmes.


L’ENGAGEMENT DES MÉDIAS

COTÉ TÉLÉVISION

C’est la promotion à grande échelle. Son rôle : faire connaître et surtout faire envie. C’est en quelque sorte la vitrine de l’industrie du disque. Sa mission est donc essentielle auprès des majors. Or, si les compagnies de disques cherchent à augmenter leurs ventes, les médias visent l’audience… car qui dit audience, dit parts de marché ! Problème insoluble qui n’a toujours pas trouvé de solution heureuse.

Conséquence directe : les émissions de ‘variété’ ont disparu pour devenir des émissions dites de ‘divertissement’. En cause deux raisons majeures : 1 - Le play-back. Les spectateurs réclamaient de l’authentique. Ils ne voulaient plus voir des chanteurs et des musiciens faisant figuration. 2 - La nécessité d’inviter toujours les mêmes grandes vedettes pour maintenir l’audience (Numéro 1 des Carpentier, par exemple).

Ces mécanismes bien rodés ont fini par lasser le public. Depuis, les célèbres animateurs de la télévision, comme Michel Drucker, Patrick Sébastien ou Jean-Pierre Foucault, n’ont certes pas déserté le petit écran, mais ont proposé en remplacement des émissions basées sur le mélange des genres : music-hall, cinéma, homme politique, jeux, etc. Ces divertissements servent souvent de terrain promotionnel pour la sortie d’un film, d’un livre, d’une cause ou pour faire plus ample connaissance avec une personnalité en vue. La musique instrumentale comme la chanson ne sont pas écartés, mais leurs présences sont moins indispensables. La sélection devient plus drastique, et face à la course promotionnelle, l’artiste ne fait plus que présenter son produit sans se mettre en danger : c’est-à-dire en chantant, micro à la main. Pas de quoi faire une révolution musicale au royaume de l’audimat !

La seule émission entièrement musicale à avoir résisté à ce changement de cap est Taratata animée par Nagui. Cette endurance est due en grande partie à l’esprit ‘live’, à la qualité des invités et à leurs joutes musicales. Son seul problème est sa diffusion très tardive… Heureusement, grâce à Internet, les rediffusions permettent de contourner le problème. L’autre challenger de ce type d’émission a été One Shot Not diffusé sur Arte pendant quatre ans. Animé par l’ancien juré de la Nouvelle Star, le batteur Manu Katché, l’émission a fermé ses portes. Coûtait-elle trop cher ? Peut-être. Reste le câble et ses quelques chaînes musicales, mais celles-ci détiennent une audience plutôt confidentielle et s’adressent plutôt à un public averti.


COTÉ RADIO

Comme pour les chaînes télévisées, des conflits existent également dans ce média. Pour les majors, ce sont les versements des droits qui sont insuffisants, tandis que pour les radios, c’est la charge promotionnelle des nouveaux talents qui pose quelques problèmes.

Ces malentendus ne sont pas nouveaux. Déjà, dans les années 80, les majors du disque reprochaient aux réseaux musicaux FM de les maltraiter (NRJ et Skyrock en tête), de fouler aux pieds les engagements pris devant le CSA en programmant un nombre insuffisant de chanson française et très peu de nouveaux talents. Cette attitude entraîna la fameuse histoire des quotas, et en 1996 une loi était votée imposant aux radios la diffusion de 40% de chanson française. Au bout de quelques mois, la chanson française voyait ses ventes en nette hausse. Le pari était gagné !

À la même époque, de nouvelles dispositions seront prises par le ministère de la Culture : l’abaissement de la TVA, qui passe de 18,6 à 5,5 % pour relancer la consommation, la recherche d’un prix plancher pour redonner à la grande distribution les moyens de diversifier ses produits, et enfin, la création d’un fonds de développement pour promouvoir les jeunes talents et ainsi aider les petits labels et les producteurs indépendants.

MUSIQUE ET FAUSSES NOTES : POINT FINAL

Face à tous ces bouleversements économiques et sociaux, que doit-on penser des nouvelles technologies high-tech ? Normalement, elles sont censées nous faire partager de nouvelles émotions, de nouvelles sensations. C’est en partie vrai, surtout lorsqu’on s’arrête à leurs aspects démonstratifs. Comme toute innovation, c’est d’abord le superficiel qui l’emporte, pour le reste, c’est un autre problème que l’on aborde généralement plus tard… ou parfois trop tard ! Avec la technologie high-tech, j’ai toujours l’impression d’avoir une longueur de retard sur les événements. Pas vous ? Mais est-ce bien normal ?

© pixabay.com

La dématérialisation des supports n’a eu de cesse de bouleverser le paysage sonore. La diffusion numérique a permis d’obtenir un son parfaitement pur, de grande qualité, sur une multitude de canaux. Les radios se sont multipliés, de la radio spécialisée ‘Mozart’ à celle spécialisée ‘Beatles’. Les outils nomades sont devenus de véritables juke-boxes ambulants… Rien ne semble devoir arrêter cette course-poursuite effrénée vantant le toujours plus. Mais arrêtons-nous un instant, que diable !

Ces technologies, toujours plus nombreuses, et pour lesquelles les vendeurs ont du plus en plus de mal à faire face, ne cessent de nous provoquer en nous imposant leurs outils ‘tendance’, en nous dictant ce qui est ‘in’ et ce qui est ‘out’. L’économie change de peau pour devenir simplement une autre économie. L’individu est toujours broyé, pas à pas, méticuleusement, sournoisement. Des erreurs sont commises. Et les conséquences ?… Peu importe ! Les modes de consommation s’enchaînent à vitesse grand ‘V’ et c’est cela qui compte le plus dans une économie de marché.

Au fond, ces innovations sont-elles vraiment indispensables ? Le progrès est-il une course poursuite ? Hier encore, l’échec du Mini-Disc de Sony ou de la cassette digitale DCC de Philips sont là pour nous rappeler que ce n’est pas l’ingénieur ou l’informaticien qui décide, mais bien le consommateur. Quand le marketing se trompe, le marché est là pour sanctionner. Alors, quelles sont les frontières de l’inacceptable ? Difficile de le dire quand le tourbillon économique ne fait que nous entraîner dans la surenchère. Si le système ne s’emballe pas, c’est que nous en acceptons l’augure, bon ou mauvais.

Le premier message de la musique est de nous porter à rêver, de nous élever spirituellement. Ceux qui l’oublient ont souvent la tête penchée sur les bénéfices, scrutant les chiffres qui défilent. L’enjeu économique est bien là, gagnant, car toujours implacable, redoutable. En ces temps de crise, il se renforce et tenaille constamment plus nos fragiles pensées, sanctionnant celui ou celle qui ose franchir les quelques passages interdits qui mènent à la liberté.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 12/2011)

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