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ROCK, POP, FOLK, ÉLECTRO...

LA MUSIQUE ÉLECTRO : HISTOIRE, ORIGINES ET INFLUENCES

Aujourd’hui, la « musique électro » est omniprésente dans le paysage musical, au même titre que le classique, le jazz ou la chanson. Sa diversité comme sa montée en puissance s’expliquent essentiellement par l’essor des instruments électroniques et les différents héritages musicaux qui se sont succédé depuis les années 50.


DÉFINIR LA MUSIQUE ÉLECTRO

Repoussant de nombreuses idées préconçues, la musique électronique a su faire volte face en ignorant les instrumentations classiques et en produisant ses propres codes. Cordes, cuivres, guitare ou piano brillent souvent par leur absence, sauf quand ils doivent démontrer qu'un lien, même fragile, existe toujours entre les sons acoustiques d’hier et ceux d’aujourd’hui, totalement dévoués au numérique.

La « musique électro » est une musique qui a construit sa réputation sur l’évolution du matériel. À l’affût des nouveautés, elle est toujours prête à rebondir pour aller de l’avant. Forte de ses arguments, elle développe ses propres outils et bouscule les habitudes au sein des studios d’enregistrement, concevant de nouvelles méthodes de créations qu’elle projette sur scène à travers des spectacles d’un tout nouveau genre. Rien en effet ne semble vouloir arrêter cette musique si prompte à réagir et qui, par petites touches, ne cesse d’envahir toutes les strates des musiques actuelles.


HIER VIVAIT UNE MUSIQUE EXPÉRIMENTALE

Il n’est pas question ici de remonter aux premiers instruments électroniques, tels le Theremin ou les Ondes Martenot, ni d’évoquer les sons expérimentaux d’avant-guerre créés en laboratoire. En effet, la première référence majeure de la musique électronique se situe au tournant des années 50, quand la musique électro-acoustique, alors balbutiante, faisait appel à quelques compositeurs érudits et à de nouvelles écritures à même de transcrire le langage de ces nouvelles sonorités.

Pierre Schaeffer, Iannis Xenakis, Bernard Parmegiani ou Pierre Henry vont être les pionniers et les concepteurs de ces nouveaux paysages sonores. Des œuvres ambitieuses sont conçus (Symphonie pour un homme seul de Pierre Schaeffer et Pierre Henry en 1949, Orphée 51 ou Toute la lyre en 1951 des mêmes auteurs). Cette musique-là puise dans les ressources technologiques d’alors : ordinateur, bande magnétique, tout en n’occultant pas l’usage des instruments acoustiques.

En France, l’un des exemples les plus marquants proviendra de la musique de Pierre Henry à laquelle le compositeur Michel Colombier contribuera : la Messe pour le temps présent, musique de ballet servant d’illustration sonore à une chorégraphie de Maurice Béjart en 1967. À mi-chemin de l’expérimentation sonore et de la musique « pop », la Messe pour le temps présent connaîtra son heure de gloire avec son « Psyché Rock ».

Les sons électroniques attirent les compositeurs en soif d’aventures. En France comme aux États-Unis, l’expérimentation sonore est la première clé qui ouvre des portes vers l’inconnu. Ces nouvelles visions sonores, ces nouvelles attitudes vis-à-vis de la création musicale entraîneront bien évidemment du rejet chez de nombreux compositeurs « conservateurs » ou non progressiste. Dans les années 50, pour le commun des mortels, la musique électro-acoustique n’est encore qu’une suite d’expérimentation sans logique apparente, qui se cherche, et qui erre dans de multiples directions avec des projets parfois irrationnels sans lendemain.

John Cage inspire la musique minimaliste. Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass suivent le même chemin en produisant une musique aux motifs répétitifs, aussi bien mélodique que rythmique qui, en évoluant lentement, transforme petit à petit l’image sonore première.

L'exploration des sonorités électroniques relève désormais autant de l'expérimentation scientifique que de la création artistique. Les nouvelles inventions technologiques viennent se greffer à ces ornementations sonores avant-gardistes. Le synthétiseur n’en est qu’à ses balbutiements, mais ses capacités sonores attirent toujours plus de musiciens et influent sur les processus créatifs.

À partir du milieu des années 60, la bande magnétique que l’on coupe, que l’on colle, les sons fixés sur vinyle et l’arrivée de magnétophones multipistes ne sont plus seulement des techniques réservées à d’éminents spécialistes ; des groupes comme les Beatles ou les Pink Floyd sont déjà sur les rangs, prêts à dialoguer avec ces nouveaux moyens.


LE VIRAGE DE LA POP MUSIC ET LES ANNÉES 70

De nos jours, la plupart des « synthétiseurs vintages » proviennent des années 60/70 et ont pour nom MiniMoog, ARP 2600, ARP Odyssey, EMS AKS, RMI Harmonie… Ces claviers-là, mais aussi des antiquités comme les Ondes Martenot ou le Theremin, vont attirer la curiosité de quelques groupes majeurs de la « rock-music ». Leur vocation sera d’apporter la petite touche expérimentale : The Beach Boys (Good Vibrations – 1966), The Beatles (Here comes the sun - 1969), The Who (Baba O’Roley – 1971), jusqu’au Pink Floyd. Tous ces groupes les utiliseront avec plus ou moins de bonheur, la difficulté première étant d'intégrer les effets sonores sans que le style ou la personnalité du groupe n'ait à en pâtir.

En dehors de l’effet « mode », le synthétiseur sera aussi exploité par des musiciens qui vont approfondir ses possibilités sonores, toujours plus grandes, jusqu’à enregistrer des œuvres dans lesquelles l’instrument de recherche deviendra l’axe principal. En 1968, la compositrice Wendy Carlos réalise Switched-on Bach, premier sursaut d’un synthétiseur polyphonique au cœur du répertoire classique et qui se poursuivra avec la BO du film Orange Mécanique de Stanley Kubrick en 1972. La musique de Walter Carlos aurait pu être anecdotique, mais l’impact du film produira un effet rebond sur son succès et incitera d’autres productions cinématographiques à incorporer dnas les BO des sonorités électroniques : Solaris de Eduard Artemiev (1972), Les Granges brûlées de Jean-Michel Jarre (1973), Le Convoi de la Peur (1977) de Tangerine Dream.

Dans les années 70, tout s’accélère. Les synthétiseurs et autres boîtes à rythmes envahissent la scène sans ménagement. La musique dite « commerciale » fait les yeux doux et accepte que des sonorités électroniques habillent ses mélodies. L’écoute de l’instrumental Pop Corn (Hot Butter – 1972), réalisé avec un Moog en est la parfaite illustration en devenant l’un des premiers hits « électro » des pistes de danse.

Si la France et les États-Unis font rimer sons électroniques et acoustiques, ils ne sont pas les seuls. Dans les années 70, l’Allemagne sera également un fin stratège dans le domaine des musiques électroniques. Le rock progressif et planant imprime les esprits et fait reculer les frontières de la musique électronique. Des groupes comme Can, Amon Düül II, Popol Vuh, Kratwerk, et des artistes doués d'un caractère particulièrement marqué et original comme le sont Klaus Schulze et Peter Baumann, réalisent des concepts sonores puissants, singuliers, d’où surgiront plusieurs courants : la kosmische musik, le krautrock, l'elektronische muzik.

Kraftwerk marquera son temps en fédérant, autour d’une musique au style robotique et hypnotique, les prémices de l’éloignement du jeu humain au profit de la machine (Autobahn – 1974). Aux antipodes de cette musique fortement rythmée, la « musique planante » tiendra une place à part dans l’histoire de la musique électronique. Le synthétiseur, qui hier encore était un outil seulement destiné à fabriquer des bruits, est devenu un instrument de premier plan, capable de se suffire à lui-même et d’habiller des climats sereins en totale opposition avec les autres courants musicaux de l’époque. La désormais « space music » en anglais ou la « kosmische musik » en allemand, fait « vivre » sur scène tout un tas de claviers qui se répondent ou qui s’harmonisent à travers de longues plages (parfois plus de 30 minutes). Les piliers sont alors Tangerine Dream, Klaus Schulze ou Manuel Göttsching.


QUAND LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE ATTIRE UNE NOUVELLE VAGUE D’UTILISATEURS...

Des compositeurs venus d’horizons divers transportent à présent les sons électroniques aux quatre coins de la planète…

En France, François de Roubaix, compositeur autodidacte venu du jazz, expérimente dans son studio improvisé de folles idées que l’on retrouve ensuite dans ses musiques de films. 1976 sera l'année de la sortie d'Oxygène de Jean-Michel Jarre, un disque qui vulgarisera les sonorités électroniques, alors qu'au même moment un autre nom a déjà imposé sa marque de fabrique : le Grec Vangelis Papathanassiou. Après avoir suivi la route tracée par les Aphrodite’s Child, ce brillant musicien fera un virage à 180 degrés en réalisant de bout en bout les BO des documentaires animaliers de Frédéric Rossif (L'apocalypse des animaux - 1972 / L'opéra sauvage - 1975)

À l’image de ce dernier, cette totale possession de la musique en solitaire, de sa création jusqu’à sa réalisation, fera date et impliquera une autre façon de créer et de produire. Cela rejaillira avec encore plus de détermination dans les années 90-2000, quand le 7e art attirera de jeunes musiciens fans de sonorités électroniques : Air (Virgin Suicides - 1999), Massive Attack (Danny The Dog - 2005), Agoria (Go Fast - 2008), Daft Punk (Tron : L’héritage – 2010), Gaspard Auge &c Mr Oizo (Rubber - 2010) ou encore The Chemical Brothers (Hanna - 2011).


LA PARENTHÈSE DISCO

La musique disco ne va pas révolutionner l’usage des sons électroniques, car ce courant musical repose essentiellement sur des orchestrations plutôt « classiques », et s’il use de synthétiseurs, ce n’est que parcimonieusement. Ce sont surtout les voix et les envolées de cordes et de cuivres qui tiennent le « haut du pavé ». Toutefois, bien des années plus tard, après les consécrations de Abba, des Bee Gees ou de Cerrone, la French Touch récupérera l’esprit du disco, en particulier à travers sa "rythmique bétonnée" très reconnaissable. Le DJ Bob Sinclar, le duo Daft Punk et l’éphémère groupe Stardust ne seront pas les derniers à puiser dans l’imposante discothèque vinyle et en faire bon usage.

LA MUSIQUE JAZZ

Le jazz va également jouer un rôle important dans l’avancé des musiques électroniques. Avant que les courants de l’acid jazz et du nu jazz ne voient le jour dans les années 90, ce sont des pianistes de jazz aguerris qui vont s’emparer des claviers électroniques. Ces musiciens ont pour nom Joe Zawinul (Weather Report), Chick Corea (Return to Forever), Jan Hammer (Mahavishnu Orchestra) et Herbie Hancock (The Headhunters). Ces quatre piliers du courant jazz-rock vont apporter aux synthétiseurs des vertus jusqu’alors inédites en devenant le prolongement de leur brillante technique. Entre leurs mains, les synthétiseurs se transformeront en outils puissants pour répondre à leur soif d'improvisation et pour inventer des climats à même de s’intégrer dans leur jazz délibérément binaire.

Inauguré au départ par le trompettiste Miles Davis, le son électronique va habiller tout un pan du jazz sans y faire l’unanimité. Dans le domaine des claviers électroniques, c’est certainement Herbe Hancock qui a le plus œuvré. Après les Head Hunters et leur musique jazz funk, Herbie Hancock, sortira en 1981, Future Shock (1981), dont le single Rockit sera le premier hit à contenir des techniques de DJ jouant avec ses platines, comme le scratch.

À partir des années 90, les frontières s’estompent et le sampling envahit la musique. Des musiciens comme St-Germain, Jazzanova, Trüby Trio, Shazz ou The Cinematic Orchestra, venus de l'électro, affichent une nette attirance pour les sonorités issues du jazz. L’échantillonnage prend le dessus et les jeunes loups se mettent à piller tout le patrimoine musical des années passées, aussi bien dans le jazz que venu d’ailleurs. Aucune musique n’y résiste. Tout se résume en un montage savant de boucles. Ce n'est pas seulement le passage de l’analogique vers le numérique qui vient d’être franchi, mais une nouvelle façon de concevoir de la musique et d’en tirer des bénéfices. Un pas est désormais franchi.


EN CONCLUSION

Aujourd’hui, nous avons assez de recul pour comprendre et analyser l’impact de la musique électronique. Si elle a pris naissance et forme au 20e siècle, au point de créer une multitude de courants, ce n’est nullement un hasard, mais plutôt la reconnaissance d’un aboutissement, d’une reconnaissance publique. D'abord terrain expérimental, la musique électro est devenue au fil des décennies une musique populaire à même de dominer les charts, une culture de masse capable de se structurer à travers des live impressionnants réunissant parfois plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Désormais, l'esprit communautaire prôné par les raves-parties d’hier a cédé sa place à un individualisme conquérant. Sur la Toile, la musique électro occupe une place de choix avec le secret désir de renouer avec l'underground de ses débuts. Pourtant, l’argent est déjà là pour attiser les désirs de conquête, de reconnaissance, et pour outrepasser les frontières. Pas étonnant alors qu’un peu partout des festivals totalement dévoués aux musiques électroniques naissent, assurant ainsi aux artistes les plus ambitieux une place de choix pour exister et assurer la relève, ne serait-ce qu’un temps.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2017)


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Le GRM, le Groupe des Recherches Musicales, est installé depuis l'éclatement de l'ORTF à l'INA. Son site didactique permet à des auditeurs comme à des musiciens d'arpenter toutes les facettes de la musique contemporaine.


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