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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LES CHANSONS DE NOTRE ENFANCE À LA TÉLÉVISION

Les chansons de notre enfance ont-elles un pouvoir particulier ? La plupart font partie de la mémoire collective, mais elles sont si diverses par leurs styles, leurs origines, qu’il est bien difficile de leur trouver une similitude, sauf peut-être leur entrain. Ce qui est certain, c’est qu’elles créent en nous des tourbillons magiques qui défient le temps. La télévision, avec ses émissions de variétés, ses vedettes et toute son histoire, est devenue avec les années, le terrain privilégié de la nostalgie.


LES ÉMISSIONS DE TÉLÉVISION DANS LE RÉTROVISEUR

On ne peut évoquer les chansons qui ont bercé notre enfance sans évoquer la radio avec ses tubes qui passaient plusieurs fois par jour sur les différentes stations périphériques. Néanmoins, les souvenirs les plus tenaces restent le plus souvent accrochés au petit écran et aux émissions dites de « variété ».

Tout commence dans les trente glorieuses. La France s’épanouie et progressivement la télévision devient un média qui impose sa puissance, sa vision au sein des foyers. À cette époque, tout est encore timide et le média est loin d'être parfait : interruption d’images, problèmes de sons... Cependant, malgré ses imperfections, la télévision est le rendez-vous familial par excellence.

Les Beach Boys invités dans l'émission ‘Âge tendre et tête de bois’ en 1963 (source wikipedia)

En dehors des journaux télévisés, le grand public affectionne tout particulièrement les émissions de variétés. Jean Nohain avec ‘36 chandelles’ et Aimée Mortimer avec ‘L’école des vedettes’ produiront des "émissions spectacles" qui serviront de transition aux années 60.

Contrairement à aujourd’hui, les chaînes télévisées ne se bousculaient pas au portillon et il faudra attendre 1964 pour que l’ORTF daigne donner naissance à une seconde chaîne (les émissions sont encore en noir et blanc et la couleur n’arrivera qu’en 1967). Cette limite explique en grande partie l’importance et le ciblage des programmes télévisés d’alors. Par voie de conséquence, les artistes qui avaient l'occasion d’apparaître sur le petit écran étaient plutôt des chanceux.

Même si la télévision française, via l’ORTF, est encore un média « cadenassé » par le pouvoir en place, côté jeunesse, la musique et les chansons riment avec le rock’n’roll et les danses à la mode comme le twist. Nous sommes au cœur de l'époque Yéyé et l'animateur qui représente au mieux cette période est sans aucun doute l'harmoniciste Albert Raisner.

Le sourire flamboyant, Raisner proposera un style nouveau, décontracté, qui fera fureur en pleine période yéyé. Il a le contact facile avec les jeunes. Il les comprend. Toutes les vedettes montantes de la chanson française sont là : Salvatore Adamo, Frank Alamo, Richard Anthony, Dick Rivers, Johnny Hallyday, Les Surfs, Monty, Vince Taylor ou Sylvie Vartan, pour ne citer qu'eux.

Pas de conflit de générations, car Raisner invite également les artistes confirmés tels qu'Aznavour, Bécaud ou Brassens. Le mélange d'idées et de styles cohabitent sans opposition affichée. La bonne humeur est la règle. L’émission en lien avec ‘Salut les copains’ permettra par ailleurs de découvrir des groupes et artistes étrangers comme les Shadows, les Spotnicks ou la belle Gigliola Cinquetti alors victorieuse du Concours Eurovision de la chanson pour l'Italie, en 1964.

L’important, pour une émission de variété, est de posséder un style, un cachet, une ambiance particulière. L'exemple donné avec ‘Âge tendre et tête de bois’ est significatif d'une ouverture réelle, d'une écoute auprès d'une jeunesse à une époque où les vêtements sont encore étriqués. Puis arrive les événements de "Mai 68" et une forme d'enlisement se produit au sein de l'ORTF. L'audiovisuel est en crise et transporte par écran interposé le marasme politique que traverse le pays.

Quand les années 70 se présentent, la télévision française souhaite désormais offrir aux téléspectateurs un autre visage, la garantie d'un choix plus vaste, mais aussi plus ciblé. Les émissions de variété ont changé de concept et se nomment à présent des émissions de divertissement. En attendant l'arrivée de l'émission "Le Grand Échiquier" de Jacques Chancel, en 1972, l'ouverture à des musiques comme le classique et le jazz est encore bien timide. Quant au rock, n'en parlons pas ! Les émissions (quand il y en a) sont diffusées à des horaires extrêmement variables. En 1968, Bouton Rouge sera la première du genre, suivie par Pop 2 deux ans plus tard.


LES ÉMISSIONS DE VARIÉTÉS DES ANNÉES 70/80

Question de génération ou pas, on peut tout de suite associer certaines émissions populaires des années 70/80 à de célèbres animateurs : Danielle Gilbert (Midi Première), Guy Lux (Le palmarès des chansons – qui ouvrait ses portes au hit-parade), Michel Drucker (Champs-Élysées), Jean-Pierre Foucault (Sacrée soirée), Jacques Martin (L’école des fans), etc. sans oublier certains producteurs devenus presque aussi célèbres qu'eux : Maritie et Gilbert Carpentier (Numéro 1 à) ainsi que Gérard Louvin. Toutes ses émissions de divertissement ont été consacrées durant les années 70.

© Carpentier's family archives (wikipedia) - Maritie et Gilbert Carpentier sur le tournage d'une de leurs émissions, au mythique studio 17 des Buttes-Chaumont.

Dans ces émissions, les paillettes et « pattes d’eph » sont de sortie. Une galerie d’interprètes de tout poil chante leur dernier tube ; une confirmation qui verra le jour, notamment, à travers 'Champs-Élysées' animé par Michel Drucker, 'Ring Parade' par Guy Lux, sans oublier ‘Les numéros Un’ de Maritie et Gilbert Carpentier.

Dans ce fourre-tout où le meilleur pouvait côtoyer le pire, viendront se glisser les chansons festives chantées et dansées en famille. Parfois et même souvent indigestes pour ceux qui possèdent un brin de culture musicale, les chansons festives vont s’enchaîner et se hisser à la tête des ventes. Citons La chenille par La bande à Basile en 1978) ou La danse des canards interprétée par Jean-Jacques Lionel en 1980 ; des chansons qui alimenteront la popularité de l'animateur/chanteur/imitateur Patrick Sébastien lors de ses premiers concepts télévisés.

Et puisqu’il est question de légèreté et de pitrerie, s’il fallait citer l’un des artistes qui a amorcé « l’histoire des chansons de notre enfance », de façon inventive, intelligente, tout en ne se prenant pas au sérieux, c’est bien Henri Salvador. Dans ses « Salves d’Or » des années 60/70, l’élégance était de mise et les prestations des invités proches des shows américains. C’était aussi, pour Henri Salvador, l’occasion d’interpréter des chansons loufoques, drôles ou tendres qu’il accompagnait d’une galerie de personnages tels 'Zorro' ou 'Juanita Banana'.

Je ne peux que conseiller de revoir les scopitones d’alors qui constituent un sommet dans l’art d’une dérision toujours gentille, jamais méchante et sans faux pas ; un véritable enchantement pour petits et grands. D'ailleurs, la compagnie Walt Disney, n’ignorant pas le talent de Salvador, lui accordera le droit d’écrire des chansons exclusives pour la promotion de ses dessins animés et pour mettre en valeur ses personnages sur le territoire français (Les Aristochats en 1970, Le monde merveilleux de Walt Disney en 1975).


HENRI SALVADOR : 'JUANITA BANANA'

LES ÉMISSIONS POUR LA JEUNESSE

© Eriotac (wikipedia) :- La chanteuse Doushka à Perpignan lors du Téléthon 2010

Si au milieu des années 70 le « modernisme » du générique 'Chapi Chapo' ouvre le bal des premières émissions destinées tout spécialement à la jeunesse avec leur propre série ('Le manège enchanté' suivra), le phénomène va s’accentuer avec 'Les visiteurs du mercredi' sur la 1re chaîne, 'Récré A2' (animé par Dorothée et Gérard Chambre) sur la 2e chaîne et la série 'L’île aux enfants' avec le personnage Casimir sur la 3e chaîne.

Lors de la décennie suivante, 'Croque-vacances' et 'Le club Dorothée' imposeront un tout autre concept en réunissant dans un même programme des dessins animés, des séries et des rubriques ludo-éducatives. La plupart de ces séries/émissions françaises seront pourvues de chansons, mais aussi et surtout, de génériques chantés très fédérateurs sur fond de décors très colorés.

Ces émissions pour la jeunesse serviront de reconnaissance publique pour les jeunes animateurs. Elles serviront également les chanteurs et chanteuses qui partageront l’écran, au point d'atteindre les premières places des hit-parades avec un répertoire spécialement conçu pour les enfants. Deux noms vont alors se détacher : Dorothée et Douchka. Les deux chanteuses vont prendre leur envol et explosées médiatiquement…


DES CONTES ET DU GRAND SPECTACLE

Acclamées comme des rock-stars, Dorothée et Douchka se produiront sur les grandes scènes hexagonales dans des spectacles, certes très différents, mais toujours parfaitement rodés. Si la première a hérité de ses expériences télévisuelles (Le club Dorothée) pour les adapter sur scène en super concert avec son groupe Les musclés (Hou ! la menteuse et Vive les vacances en 1988 ou encore Docteur et Allô, allô Monsieur l’ordinateur en 1990), Douchka deviendra en un temps record l'ambassadrice française de la compagnie Walt Disney de 1984 à 1989 et une princesse pour les enfants avec des titres comme Mickey, Donald et moi ou Élémentaire mon cher Baloo.

Parallèlement à Dorothée et Douchka, une autre chanteuse et comédienne va s’inviter dans la cour des grands spectacles pour enfants : Chantal Goya.

© Michaël Bemelmans (wikipedia) - Chantal Goya (Charleroi 2007)

Entourée de divers personnages fétiches (dont le plus célèbre reste Bécassine), ses spectacles vont illuminer les yeux des enfants grâce à des mises en scène soignées, des tenues et des décors très étudiés. Les mélodies signées par son mari Jean-Jacques Debout accompagnent déjà de leur douce tonalité enchanteresse des spectacles conçus à la façon d’un opéra, mais avec l’entrain des comédies musicales de Broadway. À la télévision, le jeune public découvrira Au bonheur des enfants en 1978 et sur scène La planète merveilleuse (1982), Le mystérieux voyage de Marie-Rose (1984) et des années plus tard Le grenier aux trésors (1997).

Dans un registre plutôt ancré dans la réalité, les années 90 seront celles de la chanteuse Hélène (Rollès). Son personnage naturel incarnait la grande sœur idéale. De cette proximité avec son jeune public s’élèvera de nombreuses chansons dont Pour l’amour d’un garçon en 1992 (générique du sitcom Hélène et les garçons) et Je m’appelle Hélène, son plus grand succès, l'année suivante.

Alors que Dorothée, Douchka ou Chantal Goya, proposent des spectacles proches du XXL, quelques conteurs trouveront dans les « shows télévisés », un moyen de devenir populaire en apportant leur lumière, leur simplicité et sagesse. Si le nom de Henri Dès vient tout de suite à l'esprit (Flagada en 1980, Papa mon baiser en 1981, Mon gros loup, mon petit loup en 1989, Le beau tambour en 1993), le chanteur ne s'est jamais caché d'être l'héritier direct d’Anne Sylvestre et de ses « fabulettes ». Ses petites comptines trouveront grâce, dès les années 60, auprès des jeunes enfants avec leur sensible tonalité porteuse d'histoires magiques : Dans ma fusée en 1970, La petite Josette en 1976, Le gâteau en 1978, Le petit sapin en 1983.


LA PARENTHÈSE DU CONTE ÉMILIE JOLIE

En 1979, un conte musical destiné aux enfants voit le jour en France : Émilie Jolie. L’année suivante, les téléspectateurs découvrent le conte sur le petit écran. Une pléiade de chanteurs est alors invitée par son auteur Philippe Chatel, lui-même épaulé par Henri Salvador devenu pour son histoire un merveilleux conteur.

Aux côtés de Philippe Chatel et d’Henri Salvador, on peut entendre chanter Julien Clerc (Chanson d’Émilie Jolie et du grand oiseau), Georges Brassens (Chanson du hérisson en duo avec Henri Salvador) mais aussi Louis Chedid, Diane Dufresne, Françoise Hardy, Eddy Mitchell (Chanson du loup) Alain Souchon et Laurent Voulzy (Chanson du coq et de l’âne).

La présence de toutes ces vedettes ne pourra que contribuer à la promotion de ce nouveau concept spécialement destiné aux enfants. Le succès rencontré par Émilie Jolie fera date. D’un disque qui aurait pu passer inaperçu, grâce à la télévision, le conte de Philippe Chatel deviendra rapidement une comédie musicale quasi indémodable. On doit surtout au conte d’Émilie Jolie d’avoir donné le coup d’envoi aux spectacles pour enfants.

L’APPARITION DES ENFANTS CHANTEURS

Jusqu’à l’arrivée d’Internet dans les foyers, la télévision est restée l’outil le plus puissant en termes de communication. Son impact auprès des enfants et adolescents est énorme. La provocation plaît et les enfants, qui ne voient pas le mal partout, ne se privent pas à l’école de relayer ce qu’ils ont vu et entendu.

Parmi les chanteurs qui vont traverser le petit écran dans les années 60/70 - et qui amusera les enfants par ses chansons au verbe léger et à la rime rigolote -, il y aura Pierre Perret. Le chanteur s’amusait de voir certaines de ses chansons provoquer toutes sortes de commentaires et de réactions dans les familles : Vaisselle cassée (où il explique aux enfants le mode d’emploi pour casser des assiettes), Ouvrez la cage aux oiseaux (ce que feront bon nombre d’enfants) et Le zizi bien sûr (sans commentaires).

Si à la télévision, les adultes communiquent leur bonne humeur dans les émissions de variétés (Carlos, Annie Cordy, Chantal Goya, Richard Gotainer…), les enfants prendront aussi la parole en musique, seul ou en groupe dès les années 60.

© Rob C. Croes (ANEFO) National Archief - Le groupe vocal français Les Poppys signant des autographes dans le magasin de disques de Willy Alberti à Amsterdam, le 10 août 1972.

Découvert par Claude François en pleine période yéyé, Le petit prince sera le premier enfant chanteur à avoir du succès en chantant C’est bien joli d’être copains en 1963. Puis, dans les années 70, repéré par le producteur Eddy Barclay, les téléspectateurs découvriront Les Poppys, un important groupe d'enfants interprétant des chants dans la mouvance hippie des années 70, avec des titres comme Des chansons pop et Non, non, rien n’a changé. Citons aussi Roméo (Je veux être un homme en 1974) et Noam Kaniel repéré par Mike Brant (Lollipop en 1976 et Goldorak en 1978).

Paradoxalement, malgré leur jeunesse, le répertoire de ces enfants chanteurs ne s’adressait pas nécessairement à des garçons et des filles de leur âge. Depuis cette époque porteuse de changement, le vivier des enfants-stars n’a jamais cessé d’exister et de se renouveler. Ainsi, dans les années 80, le jeune public fera connaissance avec le groupe Mini-Star (six jeunes adolescents, prémices des futurs boys band et spice girls réunis) avec Danse autour de la terre en 1984, puis avec Billy (jeune adolescent fan de rockabilly dans le style Les Forbans) avec Au temps des surprises-parties en 1983.

Si votre mémoire a oublié tous ces noms, peut-être se souviendra-t-elle des jeunes chanteuses que sont Elsa (T’en vas pas en 1986) et Mélodie (Y’a pas que les grands qui rêvent en 1989) ou encore de Jordi qui, à ce jour, demeure le plus jeune chanteur (moins de 5 ans) à avoir été en haut du top des ventes avec sa chanson Dur dur d’être un bébé en 1992 ; Vanessa Paradis (Joe le taxi en 1987) étant la seule de cette génération à détenir le secret de la longévité.


RICHARD GOTAINER : 'MAMBO DU DÉCALCO' (Émission télévisée 'Les années bonheurs' de Patrick Sébastien)

Dans les années 2000, l’arrivée d’Internet dans les foyers accélère le mouvement tout en le modifiant. L’impact de l’image et des vidéos suscitent alors chez les enfants chanteurs une attitude bien plus professionnelle, si bien qu’il est parfois difficile de faire une différence notable, en termes de qualité, entre la prestation filmée des enfants chanteurs et des adultes, tant la similitude de leurs performances scéniques est voisine.

Sans complexes et poursuivant un travail acharné qui n’a rien d’amateur, les enfants du Web ne cessent de se multiplier. Par exemple, Valentina et sa chanson J’imagine en 2020 ou bien Carla Lazzari, finaliste de la 5e saison de 'The Voice Kids' et représentante de la France au concours de l’Eurovision junior 2019 avec sa chanson Bim bam toi.


EN FORME D'ÉPILOGUE…

Alors que toute une nouvelle génération d’artistes a pris place sur scène et que la télévision n’a plus la flamme enchanteresse d’autrefois en s’étant diluée dans une multitude de chaînes, ailleurs aussi, beaucoup de choses ont changé. Les styles musicaux ont évolué et de nouvelles technologies ont pris place. Depuis ‘Les numéros Un’ de Maritie et Gilbert Carpentier ou ’Sacrée Soirée’ produit par Gérard Louvin, les plus de 30 ans ont grandi, mais au fond ont-ils vraiment changé ?

Si les mots « contrainte » et « adaptation » sont entrés dans leur vocabulaire, pour autant, l’émotion ne les gagnent-ils pas encore quand ils réécoutent les chansons de leur enfance ? N’est-il pas vrai aussi que ces chansons-là parlent à l’imaginaire, mais aussi à l’enfant qu’ils ont été ? Pourtant, ces airs qui trottent parfois dans la tête peuvent aussi se transmettre comme un héritage affectif à leurs enfants et petits-enfants en évoquant quelques souvenirs heureux, précieux, quand le temps ne vient plus s’interposer et que des dialogues ouverts prennent place. N’y a-t-il pas alors, dans ces échanges entre générations, l’un des plus beaux cadeaux que la vie puisse nous offrir ?

Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2022)


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