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CHANSON


GAINSBOURG : HISTOIRE DE LA CHANSON “JE T’AIME MOI NON PLUS”

Entre Bardot qui s’en est allée et Birkin, la petite anglaise, dont la venue sur le continent se prépare, l’ami Gainsbourg mais pas encore Gainsbarre est en plein célibat et solitaire. En regain d’activité, il compose pratiquement sans arrêt, au coup par coup, sur des fragments de temps diversement morcelés ou sur de longues plages d’heures libres.


COME-BACK SUR LES FAITS

À trente-neuf ans, Serge Gainsbourg est parvenu à une grande maturité créatrice, sachant utiliser une technique du refuge, comme s’abstraire et entrer dans un silence intérieur. Il note un peu partout pour ne rien oublier de ces idées qui surgissent en tous lieux… tickets d’épicerie comme additions de restaurants servent alors de mémento.

Tantôt pensant à un rock opéra ou à un roman musical qui lui conviendrait, ambitieusement, il cherche à traduire la vision instantanée, fulgurante et durable, qui naît du mariage du mot et du son. Serge Gainsbourg songe à l’érection d’un premier monument sonore révolutionnaire d’un genre absolument inédit. Un monument consacré à la femme, en héroïne sacrifiée. Cette figure de proue, selon toute probabilité, sera celle de Brigitte Bardot… mais la vie traçant son chemin, le temps brûlant parfois les étapes, c’est une bachelière Anglaise qui sera au centre de cette aventure.

En ce quatrième trimestre 1967, les responsables de la maison de disques Philips ont donné des consignes draconiennes. Puisque le titre “Je t’aime, moi non plus” a tout pour être une bombe à scandale, autant qu’elle éclate à la surprise générale quelques jours avant le Noël ! Pourtant, dès le mois de septembre, des indiscrétions, nées dans les salles de rédaction, descendent dans la rue où elles s’enflent, devenant rumeurs… une passion intimement partagée semblerait se dessiner entre Gainsbourg et Bardot. Comme le physique de Gainsbourg n’entre pas dans les canons conventionnels de l’esthétique masculine qui seyait à Bardot, la presse quotidienne ne s’est pas souciée du sentiment qui pouvait attacher l’actrice au chanteur. Or, si la rupture physique était une évidence, des traces de tendresse avaient survécu à cet amour condamné d’avance.

Cependant, on parle beaucoup à l’époque… Sans retracer les événements d’un “adultère violent et officieux”, l’enregistrement d’un disque équivoque que la maison Philips distribuerait sous le manteau commence à faire grands bruits.

La séance d’enregistrement de “Je t’aime, moi non plus” ne trahit pas ses promesses d’intérêt. Elle bénéficie même d’un relief imprévu : la tension y est insoutenable. Il s’agit là d’une joute de sentiments où Brigitte et Serge sont venus se dire, à mots couverts, qu’ils s’en allaient l’un de l’autre, mais sans se séparer pour autant. Le premier duo érotique de l’histoire de la chanson ne pouvait être dédié qu’à la nostalgie du désamour. Au surplus de sensibilité, née d’une intimité retrouvée, se mêle la certitude d’un éloignement physique inéluctable.

Les hebdomadaires dits “à scandale” s’en mêlent, insinuant que “Je t’aime, moi non plus” ne peut être qu’une chanson vécue par un couple qui place l’érotisme au-dessus de l’amour. La provocation, sciemment instruite par Gainsbourg, n’est pas gratuite. Les réactions d’intolérance de Günther Sachs, alors époux de Brigitte Bardot, portent leurs fruits. B.B se range rapidement à son avis : l’œuvre ne peut et ne doit faire l’objet d’aucune diffusion ouverte ou clandestine. Tandis que Je t’aime moi non plus doit sortir à 40 000 exemplaires, Gainsbourg “par pure galanterie” transmet l’ordre de tout arrêter et de répondre à Brigitte : « Puisque ma chanson avec toi ne sort pas, selon ton vœu, je jure sur Dieu que je ne l’enregistrerai, de ma vie, avec aucune autre. Cette chanson était la tienne. Elle reste la tienne »

Renoncer à une idée créatrice, quelle qu’elle soit, est pour son auteur toujours un sacrifice. Au printemps 1967 : « Écris-moi la plus grande chanson d’amour du monde », avait dit Brigitte… ainsi l’amant dominé prend sa revanche sur sa dominatrice… la chanson d’amour devient grâce à Gainsbourg un produit érotique. Ne nourrissant aucune espèce de ressentiment envers Brigitte Bardot, Gainsbourg écrira l’année suivante “Initials B.B“.


GAINSBOURG/BARDOT : JE T'AIME MOI NON PLUS


UN AN PLUS TARD, NAISSANCE D'UNE NOUVELLE VERSION

Avec “Bonnie and Clyde“, la double image de Bardot et de Gainsbourg avait franchi les mers, et pour Jane Birkin la nouvelle égérie de Gainsbourg existait un profond malaise. Pourtant, Gainsbourg allait projeter sur elle toute sa dévotion. Partante et consentante, elle le sera et elle va l’être… mais après des degrés descendants, selon le jeu d’une escalade à rebours.

Après sa double séparation, affective et professionnelle, d’avec Bardot, l’embellie au beau fixe, nommée Birkin, fait un bien immense à Gainsbourg. Elle lui retire sa mauvaise image de marque de célibataire endurci livré aux faveurs moroses du “putanat”. Il devient sympathique aux jeunes gens qui voient en lui un artiste se remettant sans cesse en question.

Après une réflexion incessamment mûrie, il réalise à l’encontre de Bardot, un colossal parjure : il viole le serment qui les unissait l’un à l’autre. Dépossédant Bardot de l’exclusivité de son duo avec lui, il offre à Jane d’enregistrer une nouvelle version de “Je t’aime, moi non plus“. L’idée est de lui, certes, mais c’est Bardot qui a poussé l’idée à naître, à devenir réflexion pour enfin devenir création.

Avant de pressentir une nouvelle version avec Jane, Jeanne Moreau et bien d’autres vedettes sont venues voir Serge, rue de Verneuil, en quête d’auditions. Alors que la version avec Bardot est celle d’une voix de femme, détentrice de la supériorité magique de l’expérience, la voix de Birkin apparaît, avec son mince filet, celle d’une vierge usurpée. Gainsbourg parviendra, par amour, à donner à Birkin ce filet de voix pathétique, mais également typique, qui part pudiquement des entrailles pour éclore jusqu’aux lèvres.


“JE T’AIME, MOI NON PLUS” UNE CHANSON CULTE

Née d’auditions clandestines, la chanson deviendra culte avant même d’être à nouveau enregistrée. Jane et Serge partent pour enregistrer la chanson à Londres. Celle-ci subit une cure de rajeunissement grâce en partie à l’arrangeur Arthur Greenslade, qui a déjà travaillé avec Gainsbourg sur les titres “Initials B.B” ou “Qui est In qui est Out“.
Lors des séances d’enregistrement, le trac de Jane devient palpable, donnant à l’écoute un contraste saisissant entre la voix posée de Gainsbourg et les hésitations (halètements) continues de Jane.

Cinquante-huit semaines se sont déroulées depuis l’enregistrement avec Bardot. Sûr de lui, Gainsbourg, sans rendez-vous, est reçu par le boss de chez Philips M. Meyerstern-Mégret qui lance : “Allons-y, j’écoute !” L’effet de surprise est énorme, terrifiant ! Rien de commun avec le “Je t’aime, moi non plus”, version B.B. L’œuvre, sous des aspects plus travaillés, est devenue également plus scandaleuse. Même si les réserves émises par Meyerstern-Mégret sont bien là, la ruée sur le disque au printemps 1969 (500 000 exemplaires vendus) dément toutes remontrances à son égard : “Je t’aime, moi non plus” devient le slow sensuel de toutes les discothèques de France, mais également d’Europe et d’outre-Atlantique… Le Vatican n’a qu’à bien se tenir !


LE HASARD DU DESTIN

Une nuit, par le jeu d’un hasard cruel, Brigitte Bardot, en détente à Avoriaz, entend “Je t’aime, moi non plus“, version “Gainsbourg/Birkin” dans une boîte à la mode. Plus tard, on apprendra qu’elle s’était trouvée blême et bouleversée. Elle subissait, tardifs et inattendus, les effets de parjure.

Avec le concours de Serge, le 22 février 1969 une star du microsillon vient de naître, Jane B. Des années plus tard, en mai 1986, Brigitte Bardot décide de mettre dans le commerce la version originale de “Je t’aime, moi non plus” dont la matrice a été gravée quelque dix-neuf ans plus tôt. Serge, par téléphone, donne son accord verbal en se gardant de tout commentaire ; mais ce qui fit un succès de la version “Gainsbourg/Birkin” devient avec la version “Gainsbourg/ Bardot” un succès modeste (20 000 exemplaires). Comble d’ironie, la jeunesse irrespectueuse pensera écouter un remake, une copie anachronique et sophistiquée…

Par Elian Jougla (Cadence Info)
(source info : Gainsbourg ou la provocation permanente de Yves Salgues)


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