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CHANSON

GEORGES BRASSENS : "LE GORILLE", HISTOIRE DE LA CHANSON

Si chaque chanson possède sa propre histoire, celle intitulée Le Gorille, écrite par Georges Brassens (bien que créditée Eugène Metehen), a bien failli ne jamais avoir les faveurs du public. Et pour cause ! Si les prémices de la chanson furent créées dans des conditions assez particulières, en 1943, elle ne verra le jour que neuf ans plus tard dans le premier 33 tours de l'auteur sétois (La mauvaise réputation), avant d'être interdite de diffusion par les radios nationales durant encore trois années pour avoir dénoncé la peine de mort.


QUELQUE PART EN ALLEMAGNE...

L'histoire débute dans un stalag, en Allemagne, en 1943. La Seconde Guerre mondiale est à un tournant et le Reich manque d'ouvriers pour soutenir l'effort de guerre. Le gouvernement de Vichy, en accord avec les autorités allemandes, vote alors une loi : le STO (service du travail obligatoire). De nombreux Français, en âge de travailler, sont désormais envoyés au cœur d'une Allemagne en plein conflit armée.

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© Thierry Ehrmann flickr.com - Brassens, portrait peint.

Georges Brassens, qui a 22 ans, n'y échappera pas et se retrouvera le 8 mars 1943 dans un modeste hameau non loin de Berlin, à Basdorf, avec une valise à la main, pour un séjour qui allait durer un an.

Sa principale activité sera de réparer des moteurs d'avion. Sur les lieux, l'antimilitariste convaincu trouvera quelques appuis, des rencontres qui bâtissent de solides amitiés qui survivent au temps et aux épreuves. Parmi elles, il y aura Pierre Onténiente, un homme discret qui possède des qualités qui ne peuvent que séduire Brassens. Surnommé « Gibraltar », Onténiente deviendra le confident, l'homme de confiance indispensable et précieux.

Dès qu'il s'éloigne de l'usine, Brassens n'éprouve qu'une envie : chanter et écrire des chansons. Il ne dispose d'aucun instrument et il se contente de taper sur ce qu'il trouve à portée de main en imaginant la suite quelque part dans sa tête. Brassens détenant une mémoire excellente, il compte sur elle pour que les mélodies qu'il marmonne puissent un jour prendre vie musicalement.

Vis-à-vis de ses camarades, Brassens est un énergumène, le genre d'olibrius qui distrait et qui provoque une part invisible d'un bonheur éphémère. De ces airs qui lui trottent, il y a un qui revient sans cesse et qui l'amuse. Il l'a intitulée La Ligne brisée ; un titre qui s'inscrit dans la situation du moment et qui résonne comme une ode pour la liberté.

La mélodie est facile à retenir et Brassens parvient à la rendre populaire autour de lui, au point que La ligne brisée se transforme en "chant du départ" pour les camarades qui se rendent à l'usine. Or, les gardes (qui étaient généralement des planqués de l'armée allemande), peut-être par crainte d'être envoyé à l'Est pour combattre les Russes, observeront cette "agitation sonore" d'un mauvais œil, la prenant comme une manœuvre visant un complot d'évasion, un acte de résistance... Alors que dans les faits, rien de tout cela ne devait se produire.

Le véritable mérite de La ligne brisée est d'avoir été le socle de la chanson Le Gorille. Neuf ans plus tard, après avoir été découpée, réadaptée, tout en accordant au célèbre « Gare au gorille » une place de choix (le vers était déjà présent dans le texte initial), la chanson de Brassens était devenue, sur un ton badin, un plaidoyer contre la peine de mort.


L'HISTOIRE DU GORILLE EN RÉSUMÉ

Comme souvent, chez l'auteur, il y a une morale, une vision du "Qu'en dira-t-on" qui se traduit par "Vous en pensez quoi ?"

Un gorille s'évade de sa cage : « L'patron de la ménagerie / Criait, éperdu "nom de nom ! / C'est assommant, car le gorille / N'a jamais connu de guenon ! »

Face à l'animal, une vieille dame et un juge : « Tout le monde se précipite / Hors d'atteinte du singe en rut / Sauf une vieille décrépite / Et un jeune juge en bois brut. »

Le gorille ignore la dame âgée et choisit le juge : « Le juge pensait, impassible / "Qu'on me prenne pour une guenon / C'est complètement impossible" / La suite lui prouva que non ! »

Brassens s'adresse alors à nous : « Supposez que l'un de vous puisse être / Comme le singe, obligé de / Violer un juge ou une ancêtre / Lequel choisirait-il des deux ? »

Estimant que l'animal ne brille ni par le goût ni par l'esprit, Brassens apporte une réponse sans équivoque : « Lors, au lieu d'opter pour la vieille / Comme l'aurait fait n'importe qui / Il saisit le juge à l'oreille / Et l'entraîna dans un maquis ! »

Viens la morale de la triste aventure subie par le juge (et la critique sur la peine de mort) : « Car le juge, au moment suprême / Criait "maman !", pleurait beaucoup / Comme l'homme auquel, le jour même, / Il avait fait trancher le cou. »


GEORGES BRASSENS : "LE GORILLE"

UNE CHANSON QUI HEURTA LES "BIEN-PENSANTS"

En partant d'un petit bout de mélodie et d’une vers noyée dans un délire écrit en captivité, Brassens a composé une chanson culte, un ironique plaidoyer contre la peine de mort. Mais en 1952, quelques années après la fin de la guerre, dans l'époque trouble qui suivit, entre douleur, rancœur et soif de distraction, il était délicat pour un artiste peu connu, de prendre position contre la peine de mort sans soulever des boucliers d'amertume.

De plus, sur le premier album figure La Mauvaise Réputation et Hécatombe. Deux chansons qui dénoncent également. La première cautionne le respect à la différence avec un zeste d'humour en s'attaquant aux "braves gens" (« Non, les braves gens n'aiment pas que / L'on suive une autre route qu'eux / Tout le monde médit de moi / Sauf les muets, ça va de soi. »), et la seconde prend pour sujet l'anarchie, avec des gendarmes qui se font rosser par des mégères de Briv'-la-Gaillarde (« De la mansarde où je réside, / J'excitais les farouches bras / Des mégères gendarmicides, / En criant: "Hip, hip, hip, hourra !" / Frénétiqu' l'une d'ell's attache / Le vieux maréchal des logis, / Et lui fait crier: "Mort aux vaches ! / Mort aux lois ! Vive l'anarchie' ! »"

Or, en 1952, les cours de moralité qui tentaient de maintenir un climat serein dans la société de l'époque, pouvaient-ils s'accorder avec un auteur qui, visiblement, cherchait à s'amuser en peignant les travers de ladite société ? Dès lors, il devenait normal, qu'à sa sortie, la chanson Le gorille ne fasse pas l'unanimité. « Là, j’ai voulu raconter une histoire pour m’amuser. Mais à la fin de cette histoire un peu burlesque, une sorte de morale est venue. En prime, je n’y avais pas pensé », racontera Brassens à André Sève ("Brassens : toute une vie pour la chanson" - 1975).

La réaction la plus vive proviendra des programmateurs de radio qui exercèrent une sorte d'autocensure collective. Seul la station Europe 1, nouvellement créée, prendra le risque de diffuser Le Gorille avec l'appui de son directeur des variétés, Lucien Morisse. Après quelques diffusions, le « Gare au gorille », qui conclut chaque strophe, était dans toutes les têtes !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 02/2023)

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